Magazine Journal intime

Desintoxication 72h chrono

Publié le 08 avril 2009 par Orangemekanik

picnik-collage.1233620654.jpg

Quand j’ai rouvert les yeux, il faisait jour. Y’avait toujours autant de larmes sur mon visage. Comme si, tout en dormant, j’avais fait que de pleurer. C’est la faim qui m’a réveillée. Et une furieuse envie de pisser. Tout était calme. J’examinai les lieus. Autour de moi, des murs en ciment gris/blanc, froid et à peine enduits. Au plafond, une vulgaire ampoule qui pendait. J’en pouvais plus d’être là. A attendre. Sans nouvelles de moi et de ma vie. J’avais une main dans le coma. Une crampe à l’autre. Le cœur plein d’hématomes. Le cerveau en loque. Pendant que mon corps, lui, était mort. Vu d’en haut. Quand enfin au loin j’ai entendu l’espoir. Des éclats de rire, des bribes de voix qui avaient l’air humain. Des portent claquaient. Des clés s’entrechoquaient. Ca bougeait. Il y avait de la vie. On allait me sauver. C’était sûre.
La clé tourna deux fois dans la serrure. Une dame entra, avec un balai et un sceau. Suivie d’une autre qui trainait un chariot de linge propre qu’elle laissa à la porte. Leurs visages m’étaient familiers. Je savais que je les connaissais. Mais je savais plus d’où. On aurait dit les femmes de ménage de l’HP où j’habitais avant. Peut être que pour arrondir leurs fins de mois, elles faisaient le ménage dans plusieurs bâtiments. Et qu’elles travaillaient là également. Oui mais où, là ?
Sans même me calculer, les deux dames s’affairent à leur tâche, fredonnant “belle” de “Notre dame de Paris“. Comme si j’étais pas là. Poliment, je les interpelle :
« Détachez moi là… Vous voyez pas que c’est pas le moment de faire le ménage. Je suis où ? Et vous ? Qu’est ce que vous faites là ? On se connaît, vous et moi ? Non ? »
L’air stupéfait et inquiet à la fois, l’une d’elle me dit :
« Mais vous parlez ?!… C’est incroyable ça !… Comment ça se fait ? »
J’ai l’impression de dire mes tous premiers mots.
« Comment ça je parle ? Bien sûre que je parle. C’est quoi ce délire ? Détachez moi là… je vais pas m’envoler ! »
Voyant que je m’agite, elle fait :
« Restez calme Madame K. Les médecins vont passer vous voir. On va vous détacher. Vous pourrez aller faire pipi. Et si vous êtes bien sage vous pourrez retourner dans votre chambre. »
Les médecins ? Quels médecins ? J’étais malade ? Elles connaissaient mon nom. J’avais une chambre… Je devenais cinglée ou quoi ?
Doucement, elle s’approche de moi et, voyant l’état de ma couche sans dessus dessous, me dit :
« Et ben dis donc c’est plus un lit ça. Elle est où la têtête elle est où la queuqueue ? »
Elle parlait à la Dechavanne.

C’est à ce moment là que le psy est entré. Et que comme dans la chanson, l’enfer s’ouvrit sous mes pieds. Ca m’a fait comme dans Final Escape. Mortelle Évasion. Tu sais le film d’Hitchcock où, pour s’évader de prison une ultime fois, une détenue très riche incarcérée pour le meurtre de son mari, soudoie Doc, le vieux croque mort presque aveugle du pénitencier, lui promettant de lui payer son opération de la cataracte, une fois libre. Son plan est simple. A la prochaine mort, elle se glissera dans le cercueil aux côtés du cadavre et se laissera enterrer vivante jusqu’à ce que Doc la libère. Sauf que, après des heures d’attente, quand elle craque sa dernière allumette pour s’éclairer, elle découvre avec stupeur que le macchabé qui gît à ses côté n’est autre que son complice : Doc.
J’ai les jambes coupées.
A sa question :
« Alors comment ça va aujourd’hui madame K ? », je reste sans voix. A la femme de ménage qui rabâche que je sais parler aussi distinctement qu’elle et lui, il s’exclame :
« C’est bien ça. On fait des efforts… »
Après s’être assuré que je n’allais pas lui sauter dessus, il me libére enfin de mes sangles. Et me dit qu’il me verra plus tard, dans son bureau. Une infirmière me fait une prise de sang. A mes continuelles questions elle répond inlassablement que je vais voir les médecins. Et qu’ils m’expliqueront. Mais qu’elle en revient pas que je parle aussi bien. Que je suis une miraculée. Ce qui me laisse pantoise. Avant de sortir, elle me dépose un café. Des tartines beurrées. Un sceau pour pisser. Avec un couvercle. Comme celui que ma grand-mère me mettait dans ma chambre, la nuit, quand j’étais petite. Et une bouteille d’eau que j’ose même pas la boire tellement je sais pas ce qu’ils m’ont foutu dedans. Je suis à nouveau seule dans ce taudis. Toujours en plein cauchemar. Les coups dans les murs ont repris. Les hurlements aussi. A 96 de la septième série de cent que je comptais toujours, Cécile entre. Mon infirmière préférée faisait partie du complot. Elle aussi. J’étais sciée. C’était une secte ou quoi ? L’hôpital était il au courant qu’une partie de son personnel détenait prisonniers des patients dans des pièces secrètes dont personne ne pouvait soupçonner l’existence ? Qu’est ce qu’ils me voulaient ? Pourquoi moi ? Ca se trouve il voulait réclamer une rançon à fifi ? Ou c’était des ET ? Ils allaient faire des expériences sur moi. Ca se trouve j’en savais trop. J’étais dangereuse pour eux. Et ils me cachaient là. Je me posais mille et une questions. C’était étrange cette sensation de connaître les gens. Mais pas les lieux.

Cécile m’exprime d’abord sa joie de me revoir. En pleine forme. Et me félicite elle aussi sur ma façon de parler. Mais comme ses acolytes, elle esquive toutes mes questions. Je lui conjure de me dire au moins si Fifi sait où je suis. Elle me dit que oui. Qu’il appelle tous les jours pour prendre de mes nouvelles. Et qu’il va être ravi de savoir que je suis de retour parmi eux.
« De retour parmi vous ? Comment ça ? Je reviens d’où ? Je suis déjà venue ici, avant ? »
Pour la énième fois, on me répète que les médecins me diront tout ce que je veux savoir. En partant, elle me somme de boire beaucoup, pour me réhydrater. Je lui dis que l’eau a un gout d’haldol. Qu’ils ont du mettre un flacon entier dans la bouteille. Elle me promet que non. Que ce n’est que de l’eau. Et sort. Toute façon je m’en fous de tout. Fifi sait où je suis. Pour moi y’a que ça qui compte. Dans ma tête c’est la quille. Je suis libre. Le taré d’à côté n’allait pas tarder à arrêter de cogner. Dans 46. J’allais pouvoir dormir. A moins qu’il n’embraye direct sur une nouvelle série. Fallait que j’attende cent. En fait. Pour être fixée. 102, 103, 104… toujours rien. C’est bon je peux dormir.
Ce n’est qu’après le repas de midi que j’ai vu les fameux médecins. Un repas sans verre, sans fourchette ni couteau. Pour pas se suicider. A ce qui parait. Purée-jambon. Compote. En sortant de ma cage, ils me font traverser un long couloire blanc-crade. J’ai du mal à tenir sur mes jambes. Mais j’ai les idées plus claires. Assez claires en tout cas pour apercevoir Florence. Ma copine. C’est bizarre. Mais je n’ai pas du tout envie de fumer.
Les psys me demandent tout d’abord comment je me sens. Et si je sai qui je suis? Comment je m’appelle ? Quelle question! Bien sûre que je sai qui je suis. Mais si c’était une question piège ?… S’ils voulaient juste me tester pour voir au juste ce que je savais. Et ce que je savais, c’est que ces pseudos Freud en blouse blanche faisaient de la psychiatrie clandestine dans l’arrière boutique d’un lieu inconnu. Et qu’ils employaient des méthodes d’un autre temps. Je décide de rester muette.
« Et bien alors madame K vous avez perdu votre langue ? On nous a pourtant dit qu’elle était bien pendue ce matin ? »
Silence… Tentative d’air mi-désabusé mi-”lol” de ma part. Sans succès. Je vois bien que rien ne se passe. Que je n’imprime aucune expression sur mon visage. Et que mon regard leurs fait le même effet que celui d’une huitre.
« Savez vous où vous êtes, madame K ? »
Que fallait-il répondre ? Oui ? Non ? Valait il mieux leurs faire croire que je savais ? Ou leurs avouer que je l’ignorais ? Je suis perdue.
Ils me posent enfin la quesion fatidique. Si je sais quel jour on est ? Alors que je n’ai même pas d’idée sur l’année. Voyons… Je récapitule. J’ai quel âge. 33 ans, je crois. On me dit tout le temps que j’ai l’âge du Christ quand il est mort. Ah non ça c’était l’année dernière. Je crois que j’ai 34 en fait. Je me souviens de cette photo où je tiens une pancarte « 34 ans ». C’était cet été. Oui c’est ça j’ai 34 ans. On est en 98. Donc. Mon dernier souvenir… Vitry. Ma cité. Notre départ dans le 77. La mort de mon père. Les squattes. Mon mariage avec Sincerçois. Mon fils. L’HP. Le divorce. La rue. Momo. Vince. Téo. Et tous les autres. Fifi. La fin de la galère. Le retour à Paris. Les apparts qu’on a faits ensemble. 5 en 6 ans. J’ai la bougeotte. Faut tout le temps que je déménage. L’HP saison 2. Mon placement de force. Les tortues en terre. Celle que j’étais en train de finir pour fifi : Une splendide Bob Marley. Je crois que j’avais plus qu’à faire le joint. C’était Noël. Je vois un sapin tout pourri avec une ampoule sur deux qui clignotent. Quand elles clignotent. Oui ça y est. On a fêté Noël. Y’avait tous les tarés de l’HP. Personnel compris. Y’avait même Fifi. Le pauvre. Quand j’y repense.
Fière de moi je leurs crie :
« On doit être le 26. Au pire le 27 décembre 98. »
Ils me sortent qu’on est le 8 janvier 99. Plus de dix jours manquent à ma mémoire. Je décide de pas les croire. Mais malgré moi je sors de mon mutisme :
« N’importe quoi… Fifi ne m’aurait jamais laissée dans ce trou pourri pour le réveillon du jour de l’an. »
Perplexes, dubitatifs, eux aussi hallucinent de m’entendre prononcer tous mes mot sans encombre. Jacques, l’infirmier méchant, note même que c’est la première fois de sa carrière qu’il voit ça. Je suis de plus en plus circonspecte. Ils me demandent alors :
« C’est quoi, pour vous “ce trou pourri” ? Comme vous dites. C’est où ? »
Je réponds :
« Ben l’endroit crasseux où vous me retenez en otage. »
J’ajoute même que c’est pire que l’hôpital.
De but en blanc ils me sortent :
« Vous n’avez jamais quitté l’hôpital madame K… »
Ca m’a fait comme quand mon père m’a dit qu’il cachait un matériel de survie pour fuir en cas de guerre mondiale. Ce fameux jour où je lui ai répondu :
« T’as raison : c’est plein de cinglés dans ce monde. »
Car mon père me disait toujours qu’on était dirigé par des fous. Mais comme j’avais seize ans, je voulais pas le croire. A l’époque.
Puis ils ajoutent :
« Vous êtes dans une “chambre” d’isolement. »
C’était donc ça l’isolement. L’ultime menace. Le chantage. La punition. Le trou. Comme en prison. Une “chambre” où isolation et contention permettaient au patient de retrouver ses esprits. Alors qu’en fait, il y perd encore plus la boule. Des cellules de dégrisement de cellules grises, en somme. Je leurs demande si les gens savent. Les gens de la vraie vie. Les gens de la télé. Du pouvoir. Tout ça… S’ils sont au courant ? Si c’est légal, quoi ?!…
Morts de rire, ils m’expliquent que ces “chambres” sont parfaitement légales. Que les remèdes thérapeutiques qui y sont appliqués ont largement fait leurs preuves. Que ce sont des actes médicaux reconnus. Et efficaces. Mais qu’ils vont y faire des travaux. Notamment y installer des toilettes. Et faire un peu de déco.
Attention passage dit « Cauet ». Âmes sensibles s’abstenir :
Je leurs dis que pour changer la déco murale couleur “merde étalée avec les doigts”, il suffirait de mettre du PQ dans la dite  “chambre“. Et que moi toute façon, pas question que je pisse et que je chie dans un sceau tant que les infirmières et les dames de sévices peuvent ouvrir la petite trappe dans la porte sans prévenir. Et te mater. Dans l’espoir de ne pas retourner dans l’endroit maudit, je leurs prouve aussi que j’ai l’esprit vaillant en leurs récitant par cœur l’alphabet, le numéro de téléphone de fifi et mon numéro de sécurité sociale. Je leurs dis que le président, c’est Chirac. Qu’on a gagné la coupe du monde de foot. Et j’exige de sortir d’ici. Sur le champ. Je me vois encore taper du poing en léger différé, alors que ma phrase est déjà terminée depuis dix bonnes secondes. Je suis comme en mousse. Les membres complètement désarticulés. Et quand je me vois gesticuler de façon ample et très désordonnée ces deux longs bras qui n’ont plus l’air d’être à moi, ni de vouloir m’aider à choper un de ces pourris pour lui mettre une bonne branlée, je me fais penser à Gilbert Montagné quand il aplaudit. Et je me rassois. En face de moi y’a cette pute d’infirmière qui maltraite sournoisement les habitants d’ici. Comme un souvenir fugace, je la revois en train de me pousser dans cette pièce immonde. C’est comme une fulgurance. Un éclair flou et diffus. Comme une sensation éphémère que je peux pas expliquer. Mais je sais que ce n’est pas un rêve. Je la fusille de mon regard d’huitre en mousse. Et juste pour voir, je tente :
« Vous étiez là, non, quand je suis entrée dans cette pièce. C’est vous qui m’accompagniez ?… »
Elle détourne les yeux. Elle a peur que je la balance, la conne. Maintenant que je peux parler! Mais je suis pas balance, moi. Je suis cancer. Ah ah…
Elle justifie :
« Oui c’est exact c’est moi qui ai aidé Mme K à descendre de son brancard. Et à pénétrer dans les lieus, avant que vous n’arriviez, Docteur. »
Un brancard ? Qu’est ce que c’est que cette histoire ? Et là ils me déballent tout, que j’ai failli crever en gros. La petite erreur médicale tout bête dont je te parlais. L’empoisonnement enfin… l’intoxication je veux dire :

(…) Cf : L’ironie du sort c’est que je dois ma survie à une OD médicamenteuse (…)

« Vous avez pris trop de médicaments. Vous revenez de réanimation. On a lavé votre sang. Tout désinfecté. Tout décontaminé. Vous revenez de loin mais vous êtes hors de danger maintenant. »
Ah bon ? J’avais voulu me suicider ? Je m’en souvenais pas. En plus c’est pas mon genre. Je suis pas suicidaire, moi. Il m’arrive parfois de mettre en scène ma mort pour voir la réaction de mes proches, c’est vrai. De là à me foutre en l’air pour une bande de cons qui se consoleront en se disant que je suis sûrement mieux là où je suis…
Embarrassés, ils me répondent :
« Non… Vous avez très mal réagi au lithium. On va arrêter le traitement. En attendant d’en trouver un autre, vous resterez en isolement. Sans traitement et sans contention. Simplement sous observation. Vous regagnerez votre chambre dès que vous serez moins confuse. »

Ils avaient failli tuer ma vie. Mais c’est moi qui étais confuse. J’avais crevé des pneus mais c’est moi qui  “perdais une roue” (c’est de JoeyStarr). Pour la deuxième nuit, j’ai regardé la lune. J’ai vu la terre tourner. Même sans moi. Certes. Mais à l’envers cette fois. C’était la première fois que je regrettais la rue. Quand mes murs c’était l’air pur. Le ciel, mon plafond. Avec son papier peint étoilé. La nuit.
Cette nuit là j’ai rêvé que j’étais un article de supermarché en soldes et que ma mère ne me mettait pas dans son caddy. Même en troisième démarque.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Orangemekanik 7 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog