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Tu reviens

Publié le 19 avril 2009 par Eleken

« J’aimerais pouvoir le cacher, mais ton absence est un cri qui résonne chaque seconde à mes oreilles. »

Il était tout juste 13h quand l’inspecteur est revenu au bureau. Il partageait celui-ci avec le jeune Paul qui ne manquait jamais un match de l’Olympique Lyonnais, mangeait un sandwich kebab tous les midi et pourtant qui alignait une forme olympique et l’absence de toute graisse abdominal. Une chose que son compagnon de table avait du mal à saisir, voyant pour sa part ses poignées d’amour s’accentuer années après années.  Et pour ne pas déroger à cette règle, Paul finissait ses dernières frites enduites de mayonnaise comme il terminait sa vingt-septième année.

« Alors mon écureuil, comment c’était ? »

L’inspecteur ne saisissait pas pourquoi Paul s’évertuait à l’appeler écureuil depuis prêt de deux ans mais il avait abandonné l’idée de l’interdire et s’était peu à peu fait à ce surnom. Il avait un prénom, mais l’entendre n’augurait jamais rien de bon. Alors écureuil était, sans être une bonne idée, un bon substitue.

-             Moche, comme un noyé. Le gros Thomas devenait en tenir une bonne. Pas de trace de bagarre, il a dû faire le plongeon tout seul comme un grand.

-            Dommage, Le gros Tomtom nous racontait toujours une ou deux blagues sorties de je ne sais où.  Qui s’occupe de ça ? C’est Fergera ?

-            Oh oui, et il m’a envoyé chié à peine arrivé. C’est décidément un pauvre type. Vraiment dommage que ce soit lui qui s’en occupe. Je pense que Thomas mérité mieux. Il a certainement déjà classé le dossier avec le reste de son papier toilette.

Paul ne répondit rien, perdu dans la contemplation du reste de son kebab.  L’inspecteur n’ajouta rien non plus. Il n’était nul besoin d’exprimer le dégoût que leur procurait l’inspecteur Fergera, ils en avaient déjà fait le tour il y a bien longtemps. Il posa sa veste en vrac sur sa chaise et vérifia dans son portefeuille qu’il avait encore de la monnaie. Il allait se prendre un kebab lui aussi pour changer. Il avait juste le temps avant que l’heure de sa pause ne se termine et que l’on commence à l’appeler pour la moindre broutille. Il demanda à Paul par principe s’il voulait quelque chose pour finir le repas puis se mis en route. Le kebab était juste en bas de l’édifice qui abritait le commissariat, aussi ne reprit-il pas son manteau.

Les bureaux sont composés de cloisons de plâtre qui forment chaque bureau et d’un grand « open space »  où s’entassent les secrétaires, les brigadiers et quelques autres. Le commissaire et à l’étage au-dessus avec les inspecteurs les plus huilés. C’est le premier étage ici, étage qui contient une salle d’interrogatoire. Aux rez-de-chaussée, se trouvent la salle de dégrisement et quelques cellules qui servent assez peu. La ville n’est pas très violente dans l’ensemble et la plupart du temps, la nuit ne voit passer que quelques jeunes qui ont trop bu.

Alors qu’il arrivait aux escaliers, les portes de l’ascenseur s’ouvrirent à sa gauche. Les deux brigadiers qu’il avait vu tout à l’heure près du corps de Thomas poussaient devant eux un vieil homme à la peau avinée. Un clochard qui paraissait particulièrement agité.

-          Les gars ? Qui est-ce ?

-          C’est un vieux qu’on a trouvé qui divaguait à moins de deux cent mètres de là où on a trouvé le gros Thomas. On l’aurait laissé filer sans rien dire s’il ne s’était pas mis à crier comme un dingue que Thomas avait était assassiné et qu’il connaissait l’assassin…

L’inspecteur jeta un œil circonspect à l’homme qui marmonnait maintenant pour lui tout en lâchant un filet de bave.

-          Et Fergera veut l’interroger ? demanda-t-il incrédule devant le « témoin » qui n’avait pas l’air d’avoir tous ses moyens.

-          Allez savoir pourquoi, pour une fois que Fergera prend un type au sérieux il faut que ce soit lui. Nous on l’aurait bien laissé au-dessous histoire qu’il se calme un peu. Mais Fegera doit être occupé aujourd’hui, il veut l’interroger tout de suite histoire de dire que ce qu’il dit ne vaut pas tripette et classer l’histoire avant l’heure du thé.

L’inspecteur regarda tour à tour les deux hommes et le clochard. C’était en effet bien le genre de Fergera. Pas fou au point de laisser un témoin possible traîner pour éviter de se faire remonter les bretelles par la hiérarchie mais suffisamment con pour simplement envoyer le dossier à la poubelle histoire de pas se faire chier. Fergera n’aimait pas les gens. Il ne semblait d’ailleurs pas s’aimait lui-même.

À l’instant où les brigadiers voulurent se remettre en marche, le clochard, avec une vivacité surprenante, libéra l’un de ses bras et attrapa la manche de la chemise de l’inspecteur. Il ne tira pas dessus, mais cria au contraire avec force.

« C’est elle ! Elle arrive ! Elle arrive ! »

L’inspecteur repoussa l’homme à bout de bras et lui intima de se calmer. Parfois cela suffit. Il a une voix qui porte. Mais dans ce cas, les yeux de l’homme roulaient dans leurs orbites. Il était clairement fou. Il savait que l’homme ne dirait rien d’exploitable dans la salle d’interrogation. Rien qui valut d’être écrit. L’alcool, la misère, la déchéance, vivre comme une bête. Cet homme était fou. Il valait mieux le laisser en salle de dégrisement. Il s’apprêtait à leur dire quand l’homme lui bondit dessus et accrocha une nouvelle fois sa chemise. Il cracha au visage de l’inspecteur ces mots infectés de mauvais vin.

« Elle est Rouge… Elle est Rouge comme la colère… »

L’inspecteur… Alexis se sentit vaciller. Il n’était pas possible qu’il ait entendu cela. Pas après tout ce temps. Pas après tout ça. Cela ne pouvait pas arriver… Cela ne devait pas arriver… Sentant ses jambes faiblir à le porter il s’appuya contre le mur tandis que les brigadiers emmenaient fermement le vieil homme en salle d’interrogatoire…  Mais si c’était vrai… Alors il lui fallait recommencer à se battre. Et en lui-même ne raisonnait qu’une phrase, qu’un leitmotiv qui obscurcissait tout autour de lui… Le clapotis de l’eau. Une goutte qui ébranle la surface de l’eau. Et dessus s’y reflète…

« Cette lune rousse d’automne. Es-tu de retour ? »


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