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Exploration nocturne

Publié le 21 avril 2009 par Jekyllethyde

Exploration nocturne


Pour que l’événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu’on se mette à le raconter.   Sartre

S’éloigner du quotidien linéaire l’espace d’une nuit, découvrir, explorer, s’approprier la magie du monde souterrain. Un monde dans lequel nous évoluons passivement, contraints de subir, notamment, les  agressions visuelles de la publicité. Un lieu déshumanisé et mécanique qui cache néanmoins une étrange face invisible, hors du temps, imprégnée d’histoire. Voilà ce qui les a traînés sous terre : l’envie d’enjamber les interdits, les règles pour aller voir d’eux-mêmes…

2h30. Dans l’ombre des escaliers, des rires et cris parviennent à leurs oreilles, probablement depuis la queue devant le fameux club parisien de l’autre côté du boulevard. Des témoignages nocturnes qui se transforment en murmures lorsque la grille s’ouvre, et disparaissent aussitôt que nos trois ombres se sont faufilées à l’intérieur de la station, laissant place à un silence saisissant. Ne pas traîner car la nuit est courte… Après avoir enjambé les barrières sans un bruit, de peur sans doute, de rompre la quiétude des lieux, nos trois ombres se dirigent d’un pas hésitant vers les escaliers.
Tout à coup : bruit de bouteille brisée provenant des quais. Montée d’adrénaline. Les trois restent l’œil rivé sur la grille d’entrée quelques secondes avant de descendre silencieusement les escaliers. Pas de signe de vie sur les quais. Le bruit de bouteille ? Un mystère qui restera sans réponse ce soir… Le cœur de la station et ses artères, une quiétude étrange, contraste saisissant par rapport à ces quais habituellement bruyants, foulés par plusieurs milliers de voyageurs pressés. Pas un bruit, pas un mouvement ne vient troubler l’étrange sensation qui s’est emparée depuis quelques secondes de nos trois aventuriers, une excitation mêlée de peur leur chatouille le ventre.
Engloutis par le tunnel et sa chaleur, chacun d’entre eux retire une couche de vêtement avant de se mettre à marcher. L’objectif de ce soir : une des stations fantômes du réseau parisien. Stations abandonnées, dites inaccessibles, fermées au public pour des raisons historiques ou commerciales.

Un lieu aperçu maintes fois au travers des vitres sales de la rame de métro fonçant à toute vitesse dans ces tunnels sombres et poussiéreux.
Le bruit des cailloux foulés par leur pied est accompagné par celui du  courant électrique alimentant le 3ème rail, 750 V, et les lampes qui guident leurs pas. Vient également s’immiscer plusieurs fois pendant le trajet, le bruit d’imposants ventilateurs, enfoncés dans leur niche grillagée, brassant l’air renfermé du tunnel vers la surface. Cette foutue surface qui leur rappelle sa présence par la grille située une dizaine de mètres au-dessus, laquelle leur fait parvenir  les témoignages sonores de l’activité qui règne encore malgré l’heure tardive. Progressant rapidement à travers le long tunnel, G, N et E arrivent à un premier croisement, enjambent le 3ème rail, traversent les voies puis poursuivent leur chemin jusqu’à la station dont ils aperçoivent la lumière, plus vive, à une centaine de mètres, cloisonnés par un mur carrelé parcouru de “fenêtres”. Le silence presque solennel qui avait accompagné les trois explorateurs est subitement interrompu. Agenouillés sur les voies à la moitié des quais, attentifs, ils tentent de capter l’origine et la nature de ce qu’ils semblent avoir entendu, une voix ou deux ? Peut être aucune… Auraient-ils été vus entrain d’ouvrir la grille et de pénétrer dans la station une vingtaine de minutes auparavant ?  N. se risque à hausser la tête par-dessus une des fenêtres, “Nettoyeur, on continue”.

Les rats d’égouts reprennent discrètement leur marche, de nouveau avalés par les entrailles du monstre souterrain. Le tunnel, qui descend légèrement, est distinctement séparé en deux par un mur épais, ruisselant de tuyaux et autres installations. La lumière jaunâtre des lampes, disposées de chaque coté tous les 10 mètres environ, révèle des murs étrangement propres. Quelques tags, pas de graffitis, certainement parce que la largeur du tunnel ne leur permet pas d’être vus depuis l’intérieur d’une rame. Toujours le 3ème rail et son doux ronronnement. La faible largeur du boyau se révèle être étrangement rassurante.

Exploration nocturne

« On y est les mecs » : dans la noirceur du virage effectué par le long tunnel, se profile un quai faiblement éclairé. Pas après pas, la station se découvre.
Si l’endroit semble complètement laissé à l’abandon depuis très longtemps, le lieu a en tout cas fait l’objet de nombreuses visites au vu des murs recouverts de peinture. Un véritable musée : certaines œuvres ont plus de 15 ans. Lieu définitivement hors du temps, en raison de son histoire et l’état de ses installations tout autant que de son éclairage intimiste.  Chacun des trois curieux, vadrouille ça et là comme excité à l’idée de découvrir un trésor caché. Au centre du quai : un poste de travail, vide à l’exception de quelques outils. Aux extrémités : deux couloirs, l’un des deux menant sur un escalier en haut duquel une ancienne sortie a été condamnée… Quelques meubles et vieilles affaires traînent au milieu de déchets en tout genre, l’endroit a accueilli d’autres fantômes…

Complètement absorbé par le lieu et l’atmosphère qui s’en dégage, E se rend soudain compte qu’il est seul depuis un moment, il émerge d’un couloir complètement obscure. Sifflement, sifflement en retour. Il descend sur les voies et enjambe le rail électrique. Traversant la porte creusée dans le mur, il se retrouve de l’autre côté, nouveau rail à enjamber. Deux ombres au loin, à quelques mètres de lui : l’extrémité du quai, fermé par une grille aux barreaux éventrés. E est vite rejoint pas ses amis et tous trois s’enfoncent dans la pénombre vers un escalier sale, lumière glauque et atmosphère pesante, digne d’un décor de film sauf que c’est la réalité et qu’elle est bien plus prenante que n’importe quelle production hollywoodienne à gros budget.

Toujours ces bruits et un courant d’air de plus en plus intense  au fur et à mesure qu’ils montent les marches, une simple sortie ? En fait non : une salle dans laquelle se trouve un ventilateur qui dégage un sacré bordel, tant au niveau du bruit que dans la puissance du souffle. Une station pas tout à fait morte…
Les trois explorateurs visitent 2 heures durant cet inconnu labyrinthique composé de couloirs, de salles, et d’escaliers complètement abandonnés à ses visiteurs nocturnes.

5h15, il est  temps de sortir car les premiers métros ne vont pas tarder, aucune envie d’emprunter les tunnels en circulation et de prendre le risque de se faire heurter par une rame.  Pressés par le temps G, E et N empruntent les voies dans le sens aller pour rejoindre la station la plus proche, une de ces grosses artère s parisienne sur le quai de laquelle ils aperçoivent quelques travailleurs. Fait chier ! Changement de direction et retour à la case départ : dans l’un des couloirs de service encore utilisé de la station fantôme. Personne en vue, G, N et E empruntent une cinquantaine de mètres sans avoir la moindre idée de son issue, ils poussent une dernière porte et se retrouvent brutalement dehors dans l’ombre d’un escalier discret à proximité d’un boulevard important. Il est 5h30, paris s’éveille et certains s’enfoncent probablement déjà dans les profondeurs de la ville…

Texte + Photos : E.J

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