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Petite Philosophie du Chien (Marley & moi)

Publié le 08 avril 2009 par Kasparov
Petite Philosophie du Chien (Marley & moi)
Il y a quelques temps Marley & moi était à l'affiche. Marley est un chien insupportable, mais qui deviendra un membre à part entière de la famille. Ce synopsis peut sembler indigent, ou pour enfant. Mais c'est là un film qu'il ne faut pas sous-estimer, parce qu'il déploie plusieurs dimensions (la construction du couple, le désir de maternité et de paternité, le temps) et qu'il se révèle habile, drôle, et finalement tragique. Il est assez représentatif de ce que le cinéma américain peut faire d'honnête.
Mon but n'est cependant pas, on s'en doute, de faire une critique. Je voudrais saisir la balle au bond - c'est le cas de le dire - pour poser une simple et classique question philosophique : celle du statut de l'animalité.
La question de l'animalité a toujours embarrassé la philosophie en ce qu'elle impliquait immédiatement le statut que l'on accorderait, par différence hiérarchique, à l'humanité. Il est évident que la puissance religieuse, avec laquelle la philosophie occidentale dut composer pendant des siècles, ne sait guère que faire de cet être mitoyen, l'animal, qu'on ne semble pas pouvoir, de toute évidence, réduire à l'inanité de la pierre, mais qu'on ne voudra surtout pas identifier aux rotondités éternelles de notre Ame humaine.
J'énumérerai seulement deux propositions majeures pour dégager la question finale :
La position cartésienne. Il n'existe que deux substances. La substance pensante et la substance étendue. L'homme, capable de conscience, le fameux cogito, est substance pensante, âme, esprit – dans un corps. L'animal ne peut être que substance étendue, incapable qu'il est d'énoncer sa conscience de soi. Il est donc animal-machine.
Le renversement opéré par La Mettrie, dont les Lumières sont de matérialisme forcené : L'homme lui aussi est une machine. Il n'y a pas de substance pensante, d'âme en soi. La différence entre l'homme et l'animal n'est pas qualitative, encore moins substantielle. Elle dépend seulement des différences organiques.
Position matérialiste, La Mettrie, ou spiritualiste, Descartes.
S'il est évident que le spiritualisme est une fable, le matérialisme doit tôt ou tard se confronter à la question de l'extra-matériel. Il doit reconnaître que l'humanité ne se laisse pas entièrement comprendre en termes de constitution physique et biologique. Bien entendu, une telle constitution est condition nécessaire. L'esprit (la représentation, la conscience) ne souffle pas où il veut, comme Saint-Jean – du reste dans un tout autre sens, théologique – le disait, mais où il peut. Toutefois, cette structure biologique (capacité du cerveau, en particulier) est une condition nécessaire mais insuffisante. Nous savons que les ''enfants-loups'' (le cas le plus célèbre, scientifiquement, étant assez bien illustré par le film de Truffaut l'enfant sauvage) restent dans un état de quasi-animalité, suite, même, à la volonté quotidienne de les humaniser.
Ce qui suffit, en même temps, à montrer que la frontière est ténue, entre animalité et humanité. Le cas des enfants-loups donne donc raison aux matérialistes, mais limite immédiatement la portée de leur thèse : encore faut-il que les structures physiques et biologiques aient été stimulées. Le cerveau humain est un réseau de possibilités. Sans les possibilités, point de conscience, et ni Marley ni mon chien n'accéderont jamais à ce monde de sens qui est le nôtre. Mais sans la construction sociale point de possibilités changées en conscience et en pensée effectives. Victor, l'enfant-sauvage, une fois retrouvé et éduqué, ne dépassera guère le stade du chien domestique, en particulier parce qu'il lui sera à tout jamais impossible d'accéder au symbolique, c'est-à-dire à la pensée langagière et abstraite. L'âme tardive ne viendra point en lui...
Parler de stimulation, de socialisation, de possibilités développées n'est pas encore suffisant. C'est une analyse psycho-sociologique. Le philosophe pointera plutôt, ici, le phénomène premier, corrélatif à l'émergence progressive de la conscience d'un tel corps humain : le langage articulé, porteur en lui-même, par combinaison et re-combinaison, d'infinis méandres ou nuances. Le langage est en effet ce presque-rien de matériel (sonorité entendue, visibilité lue) qui fait de l'homme un être spirituel.
L'infinité du langage, à son tour, est susceptible d'une double interprétation. L'infini peut être le signe du Divin (du Verbe), le trésor illimité ; il peut tout aussi bien être le dédale ou le sans-fond.
Le langage humain n'a pas de centre. De là qu'il peut être trésor ou dédale. Et le ''moi'' qui s'y reflète en glissant d'un mot à l'autre, sans pouvoir se ressaisir, peut dès lors interpréter cet infini qui fait son étoffe la plus intime - le sentiment et la pensée d'être soi - comme plénitude du Sens ou au contraire comme l'errance de toutes les significations.
Telle est l'inquiétude qui nous habite, et dont il faut bien faire quelque chose. Ce dont le chien tapi se passe...

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