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La politique et le Génie (Kasparov vs Poutine)

Publié le 26 avril 2009 par Kasparov
La politique et le Génie (Kasparov vs Poutine)
La politique et le Génie (Kasparov vs Poutine)
La politique et le Génie (Kasparov vs Poutine)
Garry Kasparov est considéré par les spécialistes comme le plus grand joueur d'échecs de tous les temps. Son Elo (une valeur totalement mathématique du niveau du joueur en fonction de ses résultats par rapport aux autres ; un domaine fort différent, objectivement, de la poésie ou de la philosophie, par là même) est record du monde (2851). Je vous souhaite bien du courage pour y parvenir sans devenir fou... de ne point y parvenir... Une vie (à part la sienne) n'y suffirait point. Ce jeu est aussi complexe, en son essence, que les mathématiques les plus profondes. Il y faut, de surcroît, des qualités de sportif...
Pénétrer la pensée d'un Génie est une expérience singulière et excitante. Que vous soyez joueur d'échecs ou non, vous vous régalerez d'une telle exploration de ce que l'esprit humain est, à la limite du surnaturel, capable.
Car vous savez que vous n'êtes pas un Génie, votre mère s'étant chargée de vous le faire savoir dès votre premier pipi au lit... Et vous aimeriez bien savoir ce que c'est, la pensée d'un génie. Voilà donc ce que c'est, la réflexion géniale :
(Voir le diagramme.)
La situation est complexe. Topalov (puissance élo = 2812) , qui a les noirs, a une position à la fois dynamique et solide. Du reste, c'est l'un des meilleurs joueurs du Monde. 99,9999999 pour 100 des joueurs de cette galaxie (il y a des millions d'amateurs) plient sous ses combinaisons immédiates et, surtout, sur ses vues à long terme...
Kasparov (puissance élo =2851) pense :
«  Tu vas pas faire chier, mon petit Topalov, avec ta position de Merde que je vais éclater d'une manière ou d'une autre. »
C'est ça, le génie... Une volonté de puissance, comme disait Nietzsche, portée à l'extrême...
Et, soudain, ça marche :
24.Txd4! cxd4 25.Te7+! Rb6 (Dxe7? 26.Dxd4+ Rb8 27.Db6+ suivi de mat) 26.Dxd4+ Rxa5 27.b4+ Ra4 28.Dc3 Dxd5 29.Ta7 Fb7 30.Txb7 Dc4 (la menace des Blancs était Ff1 suivi de Fxb5) 31.Dxf6 Rxa3 32.Dxa6+ Rxb4 33.c3+! Rxc3 34.Da1+ Rd2 35.Db2+ Rd1 36.Ff1! Td2 (Dxf1 37.Dc2+ suivi de mat) 37.Td7! Txd7 38.Fxc4 bxc4 39.Dxh8 Td3 40.Da8 c3 41.Da4+ Re1 42.f4 f5 43.Rc1 Td2 44.Da7 1-0
Vous avez bien évidemment suivi ? Pas si difficile que cela, d'être le meilleur au monde... Suffit d'en vouloir et de calculer... Ou plus exactement : de vouloir calculer. La Tour n'avait rien à faire en d4 ; c'est justement pour cela que Kasparov l'y place, sacrifiant l'économie matérielle de ses forces pour ouvrir des possibilités insoupçonnables mais parfaitement mathématiques. Le coup paraît absurde, à première vue. C'est un coup de débutant qui ne sait pas ce que vaut une Tour et qui la donne, au hasard, pour... rien.
Mais le coup est génial, en profondeur. La suite est une déduction prodigieuse et à peu près imparable (Selon les ordinateurs les plus pointus, néanmoins,Topalov aurait pu mieux se défendre, et espérer, peut-être, une partie nulle). Il vous faudrait penser les chiffres du Loto pour y parvenir, à cette déduction. A ceci près qu'en lieu et place du hasard il y a ici un fil logique possible, que seul Kasparov a su voir... En mathématicien guerrier...
On raconte qu'Alekhine, le champion du Monde d'antan, (puissance élo = 2727, j'imagine un peu) et Bogolioubov, son Prétendant au Titre, (puissance élo =2659, puissance élo qui est l'obsession des joueurs d'échecs, vous l'avez compris, maintenant) , deux immenses joueurs en leur temps, se retrouvant simultanément en prison pour des raisons politiques, dans la même cellule, jouèrent de nombreuses parties imaginaires, au plafond, voyant en l'esprit les cases, les pièces et les combinaisons...
Fischer (puissance élo = 2740, un record en son temps) dévasta entièrement sa chambre d'hôtel, un jour de défaite. Le cavalier en f6 avait failli, en dépit de ses calculs... Raison suffisante, en effet, pour devenir fou. Capablanca, un cubain, génial stratège asséchant les possibilités adverses, (puissance élo = 2709) ne perdit que quatre parties durant son règne de champion du monde, avant d'être battu par cet Alekhine foudroyant et imaginatif, très différent de lui, qui se présenta à son tour en alcoolique anonyme incompris (mais star en son domaine) contre son Prétendant Max Euwe, un pur théoricien hollandais (puissance élo = 2658) et perdit son titre. Mais il revint après une cure salvatrice lui en mettre une sacrée, au Max, du genre Barcelone-Lyon, rappelant à ceux qui en doutaient qu'Euwe n'était pas Alekhine. Euwe calculait ; Alekhine imaginait puis calculait.
Kasparov a, depuis quelques années, annoncé sa retraite, n'ayant plus rien à prouver, désireux de se consacrer à l'opposition à Poutine. Chouette et courageuse idée en effet : domaine dans lequel il a en tout et pour tout récolté quelques jours de Prison pour manifestation illégale et quelques maigres pour cent de l'électorat. Gageons que Kasparov, méprisé par les urnes malgré sa popularité à la Zidane en Russie, a sous-estimé le génie radical d'un Poutine (puissance élo infinie), ce Staline de la démocratie russe retrouvée : «  Tu vas pas faire chier, mon petit Kasparov, avec ta position de Merde que je vais éclater d'une manière ou d'une autre. » C'est ça, le Génie de Poutine. Point final.
Ben Oui, la Politique, c'est plus simple, niveau calcul, que les Echecs... Quel naïf, ce Kasparov, du haut de son génie tout à la fois calculatoire et poétique, de ne pas l'avoir ... compris.
Kasparov commet une erreur contre Anand, immense rival. Il s'en rend compte immédiatement.
Voilà le plus troublant chez ce génie du genre. Il n'a jamais rien caché de ses émotions. Il n'a jamais eu besoin du masque du joueur de Poker... Dans la victoire comme dans la défaite.

Kasparov, people, fait plaisir à des joueurs de club aguerri (élo 1600-2200), les affrontant simultanément (une pratique aussi courante chez les Grands Maîtres que les Colloques chez les Universitaires). Résultat attendu : 25-0.

Kasparov perd la 23ième partie pour le titre de Champion du Monde de son match contre Karpov, (élo 2740), voulant à tout prix forcer le gain alors qu'il aurait été raisonnable d'accepter la partie nulle (sa seule faiblesse psychologique, en effet). L'arbitre intervient car la partie doit être poursuivie le lendemain, 40 coups ayant été joués de part et d'autres (5 heures de combat, le peu de temps restant à chacun des joueurs pour atteindre les 40 coups, sous peine de défaite, expliquant la vitesse finale de jeu, appelée Zeitnot par les joueurs : de purs réflexes ). Mais Kasparov, évidemment conscient du désastre, abandonne sans vouloir reprendre la partie. Séville, 1987. Kasparov n'en sera pas moins Champion du Monde.

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