Magazine Journal intime

Un chien

Publié le 04 mai 2009 par Lephauste

Il y a là bas un chien, je l'entends depuis une heure, la fenêtre est ouverte, ses jappements harassent la nuit. Ce chien je le connais, c'est une énorme bête, vieille, noire et feu, un chien qu'on a mis là pour qu'il garde ce qui en rien ne le regarde. Un chantier avec des engins, des tonnes de sable de gravier et quelques milliers de litres de fuel, pour les engins. Il jappe avec la régularité qu'impose son métier, faire peur et mordre, tuer ? Il le ferait puisque personne ne s'occupe de lui sinon pour ce qu'il représente, la force brute. L'homme aime à déléguer ce que son statut d'être divin lui interdit d'assumer, tuer. Quoiqu'à croiser quelques uns des regards qu'une seule journée vous fait traverser en ce moment on pourrait croire le contraire. Des regards d'assassins passifs et désemparés.

Depuis que j'ai commencé de parler de lui, il s'est arrêté de japper, pas l'homme, le chien. C'est peut-être que tout à l'heure en me promenant j'ai essayé de lui parler par dessus les barbelés, pas à l'homme, au chien. A l'homme il n'est plus nécessaire de lui parler, il faut le laisser japper. Personne non plus pour le considérer pour autre chose que ce pourquoi on le nourrit. Je lui ai dit au chien :

- Dans un instant je serai rentré, je parlerai de toi, si tu veux bien. Pourquoi faire ? M'a-t-il rétorqué. Comme ça. Je lui ai couiné par dessus les barbelés. Toi, tu m'as l'air de manquer d'inspiration, ça fatigue hein, de faire le tocsin fêlé, au milieu de la nuit ? Ne m'en parle pas, tu as raison, c'est plus la peine. Rien les alerte les hommes, que la vie en promo et les messages à caractère communautaire. Je te comprends ! Qu'il m'a dit en se grattant la gale, juste derrière l'oreille. Moi tu vois, par exemple, je jappe comme un con mais je sais bien que personne va venir pour y toucher à ce merdier de ferraille et de fuel. Faut vivre, hein ? Et vivre pour moi c'est japper, montrer les dents dans le désert en évitant les flaques de gras au pied des bulldozer.

Voilà il s'est tu, la nuit creuse entre lui et moi la tranchée de Darwin. Lui doit s'être roulé dans un coin du chantier. Un oeil ouvert sur la lune et soupirant à la recherche du sommeil agité des chiens dont l'homme n'aime plus que la mâchoire dégainée. Et moi, je ne vais pas traîner plus loin que ce grognement las, et que je vous envoie. Puisque c'est mon métier, veiller sur ce qui n'inspire personne, après l'absorption d'un demi somnifère.


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