Magazine Journal intime

L’île de Ré

Publié le 19 septembre 2007 par Stella

Drôle de concept que celui de “terre natale”… Comme si l’homme était à ce point un animal grégaire qu’il lui faille se définir par le lieu où il a vu le jour. Est-ce donc si important dans sa constitution ? Il faut croire que oui, du moins en ce qui me concerne car chaque fois que je retourne dans l’île de Ré, je ressens au plus profond de moi-même vibrer un irrépressible sentiment d’appartenance. Je suis de l’île de Ré, quoi qu’il m’en coûte. Et parfois, il m’en coûte car j’oscille sans cesse entre l’admiration et la répulsion, entre l’amour et la haine.

J’aime Saint-Martin parce que c’est ma ville. J’en connais mieux que beaucoup les coins et recoins. J’ai arpenté durant des années ses venelles et appris par coeur leur nom. J’ai circulé sans fil d’Ariane dans les méandres des fortifications. J’en connais toutes les poternes, tous les culs-de-sacs, tous les éboulements et jusqu’aux escaliers qui ne mènent nulle part. Petite, je me sentais comme une fée clochette tintinnabulant aux oreilles de Vauban. Je suivais son crayon le long du papier à dessin et esquissais avec lui le plan de la mystérieuse étoile des remparts de Saint-Martin. Ils me semblaient alors gigantesques et imprenables. Ils hérissaient la mer de leurs angles menaçants et leur vue seule suffisait bien à décourager les abordages.

Comme ils sont tristes aujourd’hui. Aucun enfant ne court plus dans leur labyrinthe : les poternes sont obstruées, les portes de bois sont devenues de fer et de lourdes chaînes cadenassées verrouillent le moindre accès. Sécurité oblige, l’âme de Vauban s’est envolée, transformée en patrimoine national que l’on visitera peut-être, dans quelques années, comme une pyramide oubliée.

J’ai grandi sur le port, au numéro 7 du quai de la Poithevinière, dans le bureau de tabac tenu par ma grand mère. Je détourne désormais les yeux lorsque je passe devant ce qui reste à tout jamais MA maison. Je ne veux pas savoir ce que sont devenus le petit salon où il faisait toujours si chaud afin de protéger le piano de l’humidité, ou la salle à manger avec sa grande table sur laquelle trônait un énorme et vieil épiphyllum. Je ne veux pas voir ce qu’il reste des fenêtres de ma chambre, de celle de ma grand-mère ou de ma mère. Je ne veux même pas imaginer les pas des étrangers en tongs sur mes planchers cirés, au milieu de mes meubles vénérables, circulant comme autant de profanateurs sur les ruines de mon enfance.

J’aime et je déteste Saint-Martin. Je l’aime viscéralement, il est une partie de moi, je le déteste de n’avoir pas pu me garder et me protéger. Je l’aime parce que chaque carrefour est un souvenir, je le déteste de n’avoir pas su rester authentique et simple. Saint-Martin a vendu ses “clos”, (ses grands jardins intérieurs privés, clos de murs) aux promoteurs et aux gens riches. Il a cédé ses commerces aux vendeurs de fringues et aux restaurateurs. Il a troqué son garage Renault contre un hôtel, son hôpital contre un parking, son âme contre un sac d’or.


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