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Un homme affable. 2

Publié le 16 juin 2009 par Sophielucide

Le jeune avocat qui me servait de guide dans cet univers glauque à souhait  se passionnait pour cette histoire, qui n’avait, selon lui pas encore livré sa vérité.  Fabien  ne cachait pas son mépris pour cet obscur professeur et il ne comprenait pas qu’une femme, a fortiori plusieurs, aient pu s’intéresser à lui. Je le laissais exposer le triste portrait de cet homme sans envergure et m’étonnai des photos qu’il me brandit :
« - Franchement, vous lui trouvez le moindre sex- appeal, vous ?
-   Effectivement, il n’a pas l’air brillant sur ces clichés… »
Face à sa mine déconfite, je lui expliquai que j’avais rencontré la victime, quelques années plus tôt, sans entrer dans les détails.  Fabien ricana cependant en poursuivant sa diatribe : «  Charles Massier 55 ans, marié, sans enfant, sans histoire. C’est presque trop beau pour être vrai, et depuis son meurtre, on n’arrête pas de lui trouver des maîtresses, un peu partout, et cela ne date pas d’hier. Apparemment, sa femme fermait les yeux là-dessus, elle témoigne demain, on en saura peut-être davantage. Regardez cette beauté, mais qu’est-ce qu’il avait ce mec, vous pouvez me le dire ? »

J’admirais le beau portrait, façon studio Harcourt  de Monique Massier,  c’est la première fois qu’il m’était donné de contempler ses traits et je partageai un instant l’incompréhension de Fabien.  On la voyait légèrement de profil, coiffée d’un chignon discret, à peine maquillée. Elle ressemblait un peu à Rita Hayworth dans Gilda, avec une chevelure de jais et quelques années de plus. Une grande classe se dégageait d’elle et j’avais hâte de l’entendre témoigner, de connaître son point de vue sur les penchants de son regretté mari.  Fabien m’apprit qu’elle était professeur de chant et qu’elle avait connu, plus jeune un petit succès aux Bouffes Parisiens, à l’époque de sa rencontre avec celui qui allait devenir son mari.
«  Vous vous rendez-compte ? Pendant qu’il faisait la cour à sa future, il couchait avec son habilleuse ! Je l’ai appris par hasard car figurez-vous qu’il s’agit de ma logeuse, incroyable, non ? »

Il me plaisait bien ce Fabien ; moi, qui prenais l’affaire en cours, je bénissais ce charmant garçon de partager non seulement les faits relatés jusqu’ici mais encore me livrer ses impressions, me communiquer cet enthousiasme presque juvénile que j’accueillais avec le sourire. Les commentaires, pourtant pléthoriques sur la société en perdition, lus à longueur de colonnes, ne l’intéressaient pas et je lui en étais secrètement reconnaissante. Les faits, rien que les faits, c’était son seul crédo et je l’en savais gré.  Même s’il montrait une fâcheuse tendance à étaler son propre bavardage, cela me laissait le temps, de mon côté, de me faire une opinion, et  me remémorer cette idylle passagère  avec celui à qui je devais ma soutenance de thèse.
«  Finalement, je suis content que vous soyez là, vous allez pouvoir apporter un regard féminin sur quelques points qui m’échappent encore. Et si nous allions dîner ? »
Après avoir passé commande, tout en sirotant notre apéritif, nous décidâmes de nous tutoyer. Nous étions encore trop jeunes pour nous donner du « vous »,  ce « vous » lourd alors que nous étions pressés d’avancer. J’avais dix jours à rattraper,  le double de témoins à connaître,  et l’accusée surtout, avec qui je devais me familiariser.
«  Elle n’est pas sympathique, c’est là son plus grand défaut. Ni coopérative. Elle ne nie rien, accuse le coup sans émotion, c’est ce qui n’est pas bon pour nous. »


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