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Un homme affable 4.

Publié le 18 juin 2009 par Sophielucide

Ce matin de l’audition de madame Massier restera dans les mémoires, aucun doute n’est permis à ce sujet.  L’élégance et la distinction faite femme. Huit mois et quelques jours après le drame qui l’avait endeuillée, Monique était tout simplement superbe. Elle conserva durant l’interrogatoire un contrôle que toute l’assemblée admira. Sa déclaration fut précédée d’un silence total, tout le monde retenait son souffle sans cacher l’admiration pour le savoir vivre qu’elle imposait par sa seule présence. Il eut été pourtant  aisé de jouer le rôle de la veuve éplorée, agitant un blanc mouchoir de batiste fin. Elle nous épargna l’atermoiement et souhaita s’adresser à la jeune accusée qui ne parvint jamais à soutenir son regard.
«  Monsieur le Président, si vous le permettez j’aimerais faire passer un seul message. Celui de ne pas entrer dans les détails de ma vie intime, qui n’appartiennent qu’à moi. Les mois passés m’ont permis de faire ce qu’on appelle le deuil d’un amour qui aura duré près de vingt ans. Ni mon mari, ni moi ne nous sommes prétendus des êtres parfaits, nous avions chacun nos défauts. Je ne désire pas qu’on s’appesantisse sur  le caractère volage de mon époux, qui dois-je le rappeler à la cour, reste la victime de cette sordide histoire. Depuis que la presse en fait ses choux gras, j’essuie les regards compassés et affligeants des badauds ; je ne veux pas me plaindre, mais quel détournement de la situation, ne croyez-vous pas ? »

Je ne sais pas si Monique Massier avait révisé son discours, mais il était parfaitement étudié, ponctué de pauses millimétrées, que son avocat, subjugué, entretenait en posant de temps à autre sa large main sur l’épaule de sa cliente. Elle se tourna alors vers le box des accusés et s’adressa directement à Clotilde Nevers.
« Mademoiselle, sachez que je ne vous juge pas, je m’en remettrai au verdict final. J’ai mesuré à quel point vous avez souffert et le silence dans lequel vous vous emmurez depuis le début du procès, en est la preuve la plus évidente. Vous n’avez cherché ni à nier les faits, ni à vous disculper, ce dont je vous sais grée.  Je sais ce que signifie l’humiliation au quotidien, la perfidie du silence et le mépris affiché de la part de quelqu’un que l’on croit aimer ; oui, sans nul doute vous avez souffert plus que de raison ; monsieur le Président, je vous le demande avec humilité, ne peut –on en rester là ? N’avez-vous pas compris que ce procès n’a lieu que pour alimenter encore et toujours la meute en mal de sensations ? Il y a des secrets qu’il faut savoir garder, n’attendez de ma part aucune confession intime et malsaine. Cette jeune femme a son avenir à bâtir, qu’elle se soigne, c’est tout ce que je demande… »

Madame Massier toisa l’assistance, fit baisser une à une les têtes des jurés avant de se rassoir. Le dessinateur à côté duquel j’étais assis ne cacha pas son admiration. «  Quel accusée superbe, elle aurait fait ! » Je ne pus qu’acquiescer en partageant son avis. Je songeais encore, avant la pause qu’ordonna le magistrat, passablement contrarié, que décidément, Charles savait reconnaître et choisir les femmes de son entourage ; il aurait été fier de son épouse, et aurait sans doute sangloté à chaudes larmes de se voir ainsi voler la vedette.


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