Magazine Humeur

quand un "soixanthuitard" s'embourgeoise

Publié le 19 juin 2009 par Didier T.

Un petit boulot génial c’était ! Pompiste j’étais devenu ! La preuve par neuf qu’une mention au baccalauréat fraîchement obtenue pouvait vous catapulter au cœur du service essentiel d’une multinationale… British - Pétroleum disposait en effet de la seule station service du centre-ville, et c’est de cette station qu’allait démarrer cette carrière fulgurante qui m’était promise…. Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer.
Avec enthousiasme j’embrassais la carrière, saluant bien bas les dames, heureuses de pouvoir enfin faire le plein après un mois et demi de privations dues aux évènements de Mai 68 et d’être servies par un prototype de « cette jeunesse qui nous avait fait si peur »….draguant les jeunes filles qui venaient calmer la soif de leur Solex, garant pour la journée les grosses berlines noires de cadres adipeux redevenus indispensables à la bonne marche du monde… La vraie vie quoi et plein de pourboires en plus.
Hélas, trois fois hélas, mon propriétaire de patron, qui pourtant semblait m’avoir à la bonne, ne souhaita pas s’investir dans mes projets d’accession rapide au statut de cadre dynamique.
Un beau matin, un des clients habituels de la station lui confia que le pompiste qui officiait ressemblait comme deux gouttes d’eau au sale gamin qui était jadis le responsable nantais du Comté d’Action Lycéen….
« Peut-on confier la caisse à un branquignole qui, un mois plus tôt, dirigeait des manifestations au côté de ces affreux communistes et autres anarchistes qui réclamaient un meilleur partage des richesses ?… Le propriétaire de la plus grosse station service nantaise pouvait-il partager un tant soit peu les idées subversives de ce gigolo ?… Si cela venait à être connu du monde économique local, c’en était fait de sa quasi exclusivité…. »
La confidence, bien que réalisée sous le manteau, («  moi, ce que je vous en dis, c’est pour votre bien « ) fut éventée par le patron lui-même qui, à court d’argument, finit par me donner la véritable raison de mon licenciement express.
Encore une vocation abattue dès l’envol ! Inutile de se battre, d’aller plaider sa cause, le non respect du contrat d’embauche signé pour deux mois fermes. A cette époque l’air du temps n’était plus à la négociation syndicale, la droite paradait et entendait bien faire payer cher le caca nerveux qui fut le sien deux mois durant.
Trois semaines plus tard, un vrai coup de chance se présenta enfin.
Alors que je cherchais à me faire embaucher pour distribuer un petit journal local, son patron trouvant que « je présentais bien » me proposa un job un peu différent dont il me fit miroiter les avantages après avoir fermé la porte de son bureau afin d’en assurer la confidentialité.
Me fut proposé de vendre des abonnements au journal qui était un bimensuel, sachant que la totalité du prix de l’abonnement me reviendrait soit 35 francs et que la société du journal, en plus, me paierait 15 francs par bordereau rempli et dûment signé par les futurs bénéficiaires….
Royal comme job !
Et très rémunérateur quand, après lecture dudit journal « l’Echo de Chateaubriant », je constatais l’inanité de son rédactionnel dont rien n’était susceptible de retenir l’attention, mais dont les pages étaient par contre bourrées d’annonces légales issues des administrations, collectivités locales et officiers ministériels. A l’exception d’un vague éditorial qui se contentait de rendre compte du marché des bestiaux, quelques pages de publicités immobilières ou spécialisées dans le matériel agricole donnaient à ce canard l’illusion d’une assise paysanne forte et d‘un sérieux en granit.
Evidemment, 50 Francs par abonnement vendu, c’était une belle somme. Mais après lecture attentive des exemplaires répandus sur la table d’accueil, la vraie question était de savoir « qui » serait assez débile pour s’abonner à ce monument de platitudes qui justifiait la vieille blague selon laquelle mieux valait acheter un timbre que se payer un journal inutile….
Et pourquoi me payer un tel pactole pour faire rentrer des abonnements ?
C’est mon nouveau collègue, un vieux monsieur portant beau et rouflaquettes, affublé d’un nom à particule, Monsieur de Bouville, hobereau de basse Normandie dont les illustres ancêtres devaient laver leurs chemises plus souvent que leur descendant, c’est lui qui m’expliqua la combine.
De petite taille, le visage rouge brique, un soupçon de ventre, il avait du mal à fermer son éternel veston bleu roi sur une chemise à col dur, dont il s’acharnait à cacher les flétrissures d’un âge certain à l’aide d’une lavallière blanche à pois bleus qui racontait par le menu le détail de ses derniers repas. Plus qu’un personnage pittoresque, c’était une vraie caricature.
La « combine » était simple : les textes d’annonces légales étaient payés à la ligne, par les annonceurs, sur la base d’un tarif forfaitaire, selon que la parution était locale départementale ou nationale. Nous étions dans le cas d’une diffusion réputée départementale et le tarif en était extrêmement lucratif.
Seulement, pour bénéficier de ce tarif garanti et imposable à tout annonceur, il fallait, selon la réglementation, justifier d’un nombre élevé d’abonnés afin de faire échec à des annonces d’appels d’offres qui ne paraîtraient que dans des journaux anonymes et ne disposant d’aucun lecteur.
Surfant sur les obligations justifiées par la réglementation, le propriétaire du journal, était prêt à tout pour conserver son statut vis-à-vis des annonces légales. Compte tenu des bénéfices qu’il engrangeait du fait de ce tarif garanti (conjugué à la faiblesse de sa parution réelle), il était prêt à payer cher tout bordereau d’abonnement.
Après trois semaines de démarchage, sans grands succès il faut bien l’avouer, je dus aménager mon emploi du temps afin de pouvoir suivre aussi les cours en Fac de Droit où j’avais fini par m’inscrire, la perspective d’une prépa pour la Rue d’Ulm m’étant insupportable car trop scolaire.
C’est alors que retrouvant mes anciens camarades de lycée, et animal social que j’étais, après un rapide calcul, je décidais d’abandonner à mes futurs abonnés le prix de leur abonnement et de ne prétendre qu’au paiement des 15 francs par le journal.
A ce tarif, c’est par centaines que les abonnements rentrèrent, tous signés par des étudiants, souvent issus de la campagne et à qui je demandais de préciser l’adresse de leur parents pour l‘envoi du canard.
Comme prévu, le patron du journal ne fit aucun commentaire et, trop content de se faire une banque de données d’abonnements susceptibles d’être renouvelés, me paya rubis sur l’ongle. Deux mois et une voiture neuve plus tard, (ma vieille 2CV ayant été harponnée par une pauvre vieille coiffée d’un chapeau noir avec cerises sur le coté, chapeau qui lui avait, semble-t-il, caché que le feu était au rouge..) le patron me convoqua dans son bureau.
Bien en chair, portant sans discontinuer une veste de velours beige et des chemises à carreaux, chaque main arborant qui une alliance, qui une énorme chevalière de mauvais goût, il me fit comprendre que ma superbe Volkswagen 1300 bleu pâle pourrait aussi me servir à visiter des clients sérieux cette fois et essayer de leur vendre de la publicité car, « notre journal, compte tenu de son grand nombre d’abonnés » était maintenant en mesure d’intéresser des annonceurs locaux.
Bien que le vieux de Bouville en fit un caca peu noble, j’acceptais la proposition et enregistrais inconsciemment que le temps des abonnements en masse était révolu.
Mon plan de bataille était simple. Puisque le SMIG avait été augmenté sérieusement, lors des accords de Grenelle en juin dernier, le secteur le plus dynamique devrait être celui de l’équipement de la maison, de l’électrique, du meuble, des machines à laver, des autoradios et de tous les robots de cuisine.
A cette époque, seule une grande marque comme Philips disposait de nombreux magasins en ville ou était présente dans les plus gros bourgs. Rendez-vous fut pris.
Comme prévu ce gros client me passa une série de commandes de pub pour divers matériels et, alors que nous avions signé la totalité des documents, il s’ouvrit d’une difficulté très particulière : il cherchait un distributeur pour des prospectus qu’il allait recevoir de la maison mère à l’occasion du lancement d’un nouveau produit et puisqu‘il était le plus gros chiffre d‘affaire de tous les magasins Philips de l‘Ouest, il avait été chargé d‘organiser cette opération.
Je l’assurais que « nous » serions en mesure de lui faire une proposition dès qu’il disposerait d’un exemplaire du document à distribuer. Dans ma tête, il s’agissait d’une distribution sur le même territoire que celui du journal, à savoir le cœur des villes et bourgs de Loire-Atlantique.
En réalité, la distribution envisagée concernait toute la Bretagne et la région Pays de la Loire sans la Mayenne !!! 350.000 documents à distribuer autour des magasins de la marque, documents qui seraient lus dans un lecteur optique et permettrait aux heureux gagnants de repartir du magasin avec le nouvel objet culte : la fameuse K7 !
J’allais être associé au lancement de la K7, ni plus ni moins. Le roi n’état pas mon cousin et je n’eus aucun mal à convaincre mon patron que je pouvais assurer cette distribution en faisant travailler le week-end les étudiants qui rentraient chez leurs parents, et en lui garantissant des contrôles systématiques dans les contrées les plus reculées, notamment le Finistère et les Côtes du Nord. Après tout, j’avais le droit, moi aussi de prendre du bon temps.
C’est donc à la cafeteria de la fac que j’organisais mon business, convoquant les distributeurs, sélectionnant « mes » contrôleurs, distribuant les cartes où étaient indiqués les magasins à couvrir etc.. Mon expérience d’organisateur acquise à la tête du Comité d’Action Lycéen fit merveille et après avoir payé tout ce petit monde, je connus des mois de novembre et décembre où mes gains mensuels atteignaient le quadruple de ceux de ma mère pourtant sous-directrice d’hôpital.
Mais cette activité trépidante n’avait, aux yeux de cette dernière, qu’un défaut majeur. Elle m’éloignait des cours et des amphis où j’étais censé devenir un juriste émérite…
Sans m’en prévenir, elle prit contact avec un de ses partenaires de bridge, le Recteur d’Académie qui, pour lui être agréable, lui indiqua qu’un poste de pion d’externat devrait être pourvu à la rentrée de janvier à La Roche /Yon.
C’est alors que je lui racontais, avec moult détails, la dernière affaire que j’avais signé et qui consistait à glisser, dans les pointes d’antennes des voitures, des petites boules de toutes les couleurs avec inscrit dessus « rasoirs Braun - une classe au dessus ».
J’avais conçu la campagne et ciblé les lieux et moments où les voitures seraient nombreuses et majoritairement conduites par des hommes : les soirs de match de football en priorité et les autres rencontres sportives. Et j’en étais très fier, d’autant que cette opération était fort bien payée.
Là encore, Nantes Angers, Laval, Rennes, Lorient, virent pousser sur les voitures ces drôles de petites boules. Quand j’eus fini ma péroraison, elle me dit tout de go: « maintenant que tu t’es bien amusé, que tu as un peu d’argent devant toi, il faut commencer à être sérieux et te consacrer aux études et tu as de la chance car tu as déjà, grâce à moi, un poste de pion qui t’attend à La Roche/Yon » 
Le ton utilisé était à la fois tendre et ferme, très ferme même. Impossible d’y résister
Le 6 janvier au matin, je me présentais chez la Directrice du CET féminin Branly de La Roche / Yon. Cet établissement où étaient enseignées la cuisine et la couture avait aussi une section « comptabilité » qui avait vu arriver quelques élèves du sexe mâle, ce qui justifiait l’embauche d’un surveillant d’externat masculin. A l’exception de ces élèves, du prof de cuisine et de celui de comptabilité, j’étais le seul mec dans un environnement intégralement féminin.
D’aucuns pourraient croire que cette fonction fut une sinécure…qu’ils en soient détrompés définitivement.
Qui n’a pas vécu sa première surveillance d’étude devant une salle complète de jeunes filles en fleur dont certaines s’étaient battues pour occuper le premier rang et dévisager effrontément le nouvel arrivant, n’a qu’une petite idée de ce qu’il faut y subir. Les regards appuyés, les clins d’œil, les sourires en coin les petits rires retenus à grand peine ne sont que des hors d’œuvre. Là haut sur son estrade, si le pion voit toute la salle, il est surtout offert à la vue de toutes, d’autant que le bureau n’est pas fermé au dessous.
Au premier rang, c’est à un concours de drague que j’étais convié. Avec volupté, l’une se déchaussait lentement se caressant la jambe avec le pied, l’autre avachie sur sa chaise, ouvrait les cuisses de façon non équivoque, une autre encore dégageait la bretelle de son soutien gorge et en tirait la réglette tout en se caressant la poitrine que je devinais sous le corsage ouvert, la dernière, celle qui était le plus à ma gauche, se suçait les doigts un à un avec gourmandise, me fixait et quand je la regardais, ne baissait pas le regard .
« Force toi à regarder à partir du second rang » me disais-je « et surtout, veille à ne pas bander » . Un vrai supplice !
J’avais beau me dire que ces pauvres filles, dont certaines étaient belles, étaient là en formation pour aller trimer à pas cher, chez « Boum », une usine de fringues fabriquant des jeans, que les autres majoritairement n’auraient pour horizon que les murs de cantines scolaires où elles officieraient; me dire qu’elles étaient mineures et que moi, sans l’avoir fait exprès, j’étais passé de l’autre côté de la barrière. C’était plus fort que moi, tel un entomologiste mon regard se posait instinctivement sur le premier rang !
Et encore, il ne s’agissait là que des élèves….et pour avoir résisté à d’autres assauts moins démonstratifs mais tout aussi explicites de la part de mes collègues féminines et de plusieurs enseignantes, je puis témoigner comme Marie Paule Belle et Françoise Mallet-Jorris qu’ « on peut dire sans vouloir être chauvin qu’on s’amuse dans les p’tits patelins »…!!
Ce n’est pas ma vieille logeuse qui me contredira, elle qui m’avait dit lors de mon arrivée que  bien sûr, cette chambre confortable au parquet fleurant bon la cire et l’encaustique « n’était pas faite pour recevoir ….et qu‘elle y veillerait » !! Sur six mois que dura mon job au collège, elle n’eut pas à faire le lit et le ménage trop souvent…
Cette cité napoléonienne, aux rues tirées au cordeau, était alors gérée par une équipe municipale dans laquelle Philippe de Villiers eut fait figure de gauchiste. Préfecture assoupie, la ville se réveillait en mai, à l’occasion de la Quinzaine Commerciale.
Pour l’occasion toutes les rues du centre-ville était sonorisées diffusant bruyamment les annonces de bonnes affaires que leur proposait un magasin bizarrement appelé "Pompidou", et entre chaque annonce, les habitants pouvaient demander la diffusion d’une chanson. Pour cela, ils devaient apporter leurs disques à l’Office du Tourisme.
Ils avaient inventé l’interactivité, la gestion participative de la Quinzaine !! Mai 68 y aurait semé ses petits cailloux pour l’éternité si deux zozos, un prof de comptabilité et moi-même, fatigués de comparer leur tableau de chasse respectif, ne s’étaient mis en tête de glisser, dans la pochette d’un disque de l’époque, le seul exemplaire qu’ils possédaient de l’Internationale.
La pauvre préposée aux disques de l‘Office de tourisme qui n’avait jamais entendu ce chef d’œuvre, n’y vit que du feu et laissa tourner la galette de vinyle sur la platine. C’est ainsi que retentit l’Internationale entre deux réclames du magasin Pompidou, sous le regard hilare des deux compères qui voyaient les commerçants jaillir de leur boutiques et, stupéfaits, interroger stupidement des haut-parleurs inaccessibles.
Comme on l’imagine, l’affaire fit grand bruit et on alla même jusqu’à enquêter chez le fleuriste d’où provenait le bouquet qui fut envoyé à la responsable de l’Office pour s’excuser des embarras engendrés. Tous ces souvenirs ne peuvent faire oublier qu'à la fin du premier mois de service, prenant connaissance de mon premier bulletin de salaire du collège, j'eus la désagréable impression d'avoir été grugé, et par ma mère et par l'Education Nationale ......920 Francs ! Tel était le total affiché au bas de ma fiche de paye !!! ....920 Francs ! Sur le coup j'ai cru qu'il s'agissait d'une erreur et demandais à être reçu par la Directrice qui s'esclaffa d'un rire niais ! Furieux d'un tel accueil, je claquais la porte en me maudissant d'avoir totalement oublié de me renseigner sur le niveau des rémunérations avant d'accepter l'ultimatum maternel. Peu de personnes accepteraient d'un coeur léger la division par quarante de ses revenus ! J'alignais donc mon niveau d'activité professionnelle sur la base du salaire qui m'étais alloué.....
Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu

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