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London puis 68

Publié le 19 juin 2009 par Didier T.
London puis 68
 
London puis 68 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ce fut donc une année pleine d’enseignements que je passais à Ancenis mais le baccalauréat étant une chose sérieuse, ma mère obtint pour la rentrée suivante une inscription comme externe dans le grand lycée de Nantes, le Lycée Clémenceau.
Là, il fallut vite déchanter car inscrit en terminale de philosophie, il n’y eut pas moins
de cinq professeurs dans la matière, chacun reprenant à sa guise le cours là où il le
voulait. Le résultat en fut que seul un élève redoublant passa l’examen avec succès.
Mauvaise pioche, je dus me résoudre à redoubler alors que Jo, que je revoyais de
temps en temps, avait obtenu une mention et allait s‘inscrire en Espagnol à la fac d‘Angers.
Ayant « rencontré » Cé, fille de mon boucher voisin, qui fréquentait un cours privé
que n’aurait pas renié le Couvent des Oiseaux, je décidais de la rejoindre à Londres
elle serait «au-pair» pendant les vacances afin d’améliorer sa pratique de la langue.
Mais un tel projet nécessitait un minimum de moyens que je réunis en travaillant dès le mois de Juillet comme manutentionnaire, chargeant les camions d’énormes bidons d’huile ou de graisse pour le compte de Total.
Une des amies de ma mère m’ayant trouvé du travail du côté de Manchester pour le mois suivant, c’est muni d’un viatique minimal, que je m’envolais vers l’Angleterre .
Déception ! Arrivé sur place à Marple Bridge dans la banlieue de Manchester, je constatais que cette amie ne m’avait trouvé qu’un job de «manut » dans une usine de traitement de peaux.
Hygiène inconnue dans cet établissement aux odeurs pestilentielles où je vomis plusieurs fois pendant la seule et unique journée où je m’y rendis.
Après deux semaines à chercher un nouveau boulot, sans succès, je décidais de partir vers Londres.
Ayant convaincu mon amie Cé de quitter la famille qui l’hébergeait au motif que cette dernière la prenait plus pour une bonniche que pour une « au pair », allant jusqu’à totalement disparaître le week-end, la laissant seule face à un frigo quasiment vide, on décida de vivre à Londres, ensemble, jusqu’aux derniers jours du mois d’août.
Ces fortes résolutions se heurtèrent à une dure réalité car l‘argent filait vite, il ne nous resta que cinq livres sterling en poche et la chambre qui était louée à la nuit se révéla être aussi louée aussi le jour à une famille de west-indies, des pakistanais…..(mais c'est pas une excuse)!!
Bref, il y avait urgence.
Cé n’eut aucun mal à se faire embaucher pour tenir le «sweet-bar» au Purple Pussy- Cat de Finchley Road, boîte à la mode fréquentée de temps à autres par le Prince Charles et ses amis.
Quant à moi, après une journée épuisante à démontrer mon savoir-faire de barman et serveur, je fus engagé par la grosse propriétaire juive d’une dizaine de restaurants fast- food sous enseigne "Wimpy" et affecté à celui de Kilburn comme «waiter full night» , serveur de nuit.
Aujourd’hui colonisé par les West-Indies, le quartier de Kilburn était à l‘époque le repaire d‘une diaspora irlandaise florissante, fils et filles de migrants fuyant la misère et venus chercher meilleure fortune en travaillant sur les chantiers de chemin de fer.
De toutes les fenêtre s’échappaient des chansons des Dubliner’s qui célébraient
«Paddy on the railway» comme le Chicago Blues avaient chanté les frères du Sud et, le soir venu, au sortir du pub, ces ouvriers éméchés venaient éponger leur trop grande soif de bière à l’aide de hamburgers- frites.
Le Wimpy de Kilburn était managé par Himil, un Turc qui supporta mal de voir arriver sur son territoire un employé qui n’était pas turc, comme le reste de l’équipe qui travaillait là.
Cet antagonisme cessa dès la fin de la semaine. Alors que je préparais des cafés face à
la machine, le dos tourné au bar, une altercation opposa un serveur à un client qui lui
reprochait de voler le travail d’un Anglais. D’incompréhensions en quiproquos, le ton monta et bientôt volèrent dans la salle, assiettes, verres et couverts. Le pugilat prit de l’ampleur et chacun prit parti, les poings servant d’arguments frappant…
C’est alors qu’un tabouret de bar, dévissé à dessein, frôla le tuyau de vapeur alimentant la machine à café où je m‘accrochais pour rester hors de la bagarre..
A quelques centimètres près, j’aurais été défiguré à vie. Par réflexe de peur, je fis le tour du bar, lancé la tête la première vers l’agresseur et…glissais sur une des supers glaces proposées à la vente, une « Knikburgerglory », atteignant ce dernier au plexus.
Dans un bruit d’enfer, il explosa la seule portes en vitre qui était bloquée au sol.
Allongé par terre, sur le trottoir, parmi des milliers de bouts de verre securit, je repris mes esprits et crus rêver quand je vis mon agresseur se relever tout raide, la tête en sang, comme s’il avait été actionné par on ne sait quel système hydraulique.
En fait, c’est entre les mains de deux Bobbies répondant à un appel au secours lancé par Himil que l’agresseur était relevé sans ménagement.
Malgré une porte d’entrée ayant volé en éclats, les policiers, accourus par dizaine, décidèrent de fermer et d’emmener tout le monde à la police- station. Là, chacun dut donner son nom et son adresse.
Le mien par bonheur sonnait bien localement et fut affublé d’un «O’» le précédant.
Puis je déclinais mon adresse dans Tavistock Street, un quartier plutôt huppé du côté
de Golders Green.
La grande majorité des clients irlandais m’en voulant pour la sévérité de mon intervention, les policiers me ramenèrent chez moi en me faisant promettre de les appeler si le lendemain ces menaces subsistaient. Personne ne songea à me demander mon permis de travail qui, à l’époque, était obligatoire….
Je n’eus pas à faire de nouveau appel aux policiers puisque dès le lendemain soir, Friday night, je battais mon record de pourboires notamment grâce aux Irlandais; et surtout je gagnais définitivement la confiance de l‘équipe turque du Wimpy et me voyais confier la gestion du restaurant en "take away" de 2 heures et demi à 5 heures du matin avec l‘autorisation..... ....d‘empocher pour mon compte une «partie raisonnable» de la recette effectuée….!!!
A ce train là, nous fumes rapidement à la tête d’une petite fortune composée de pièces
de guineas et de billets de sterling au profil royal qui s‘ajoutaient aux pourboires somptueux ramenés par Cé certains soirs.
C’est donc avec une certaine mélancolie mais une parfaite maîtrise de la langue anglaise que nous reprenions le chemin de Nantes pour y terminer nos scolarités.
 
En cet automne 1967, nul ne pouvait se douter que l’année scolaire, qui se présentait, se terminerait en apothéose festive.
Cette année là, j’eus la chance d’être cornaqué par un professeur de philo magistral
qui m’offrit Merleau-Ponty, Nietzsche, Piaget, Levi-Strauss et Michel Foucault pour
compagnons des penseurs grecs. J’en vins même à écrire un opuscule de quelques dizaines de feuillets consacré à la victoire de la logique aristotélicienne sur les excès poétiques de Dionysos. Bref, ayant attrapé le virus, j’envisageais de préparer Normale Sup et m’imaginais, demain, entraîner à mon tour mes futurs élèves sur la voie de la Sagesse. J’en collectionnais des chouettes..
La Basse Loire, de Nantes à Saint Nazaire, terre anarcho-syndicaliste en perpétuelle
effervescence animée par les projets de restructuration des chantiers navals ne pouvait rester longtemps insensible aux conséquences du mouvement du 22 mars 68.
Comme à son habitude, elle fit les choses en grand, dès le début du mois de mai et sous la houlette d’une FO trotkyste militante fut déclarée la grève générale.
Toute la ville fut embaumée d’un parfum pré-révolutionnaire alliant en un mariage douteux le situationnisme, un romantisme échevelé et un sentiment de ras- le- bol manifeste.
Le plus grand lycée de Nantes ne pouvait rester à l’écart d’un tel mouvement et sous la
houlette de Jean Natiez, professeur d’histoire-géo, fut organisé un sit-in dans le Jardin
des Plantes jouxtant l’établissement.
Tous les élèves furent appelés à désigner les responsables d’un Comité d’Action
Lycéen, chargé de les représenter auprès des organisations syndicales étudiantes et
face à la Direction.
Fortement politisée et cornaquée par ses pairs de la SFIO, une équipe de six gaillards
prit la tête du mouvement lycéen, que je dus présider.
Période enthousiaste où l’organisation des meetings et défilés le disputaient aux opérations consistant à entraîner d’autres établissements scolaires dans le mouvement de contestation.
Le Comité Central de Grève s’était installé en mairie, les rassemblements quotidiens étaient gigantesques et l’engagement pris devant les adultes socialistes d’empêcher la présence de lycéens lors des affrontements avec la police était de plus en plus difficile à tenir.
Un soir, alors que la préfecture avait interdit la tenue d’un rassemblement étudiant sur la place Royale, au cœur de Nantes, je partis vérifier que mes consignes étaient bien suivies et que nul lycéen du Comité n’y assistait.
Arrivé sur place, et constatant une très forte présence de CRS casqués, bottés et dûment harnachés, je me réfugiais dans la salle du café Continental, là où se prélassait avec suffisance une grande partie de la jeunesse dorée nantaise quand les salles du Molière étaient saturées.
Les larges baies vitrées de la terrasse qui donnait sur la place étaient grandes ouvertes, et sans qu’on sut jamais pourquoi, comme un seul homme, les CRS se précipitèrent à l’intérieur, embarquant tous les consommateurs, distribuant coups de matraque et de pieds aux récalcitrants qui protestaient de leur bonne foi, les assuraient de leur total soutien et du plaisir qu’ils avaient de les voir (enfin) reprendre possession de la rue !!!
Scènes cocasses dont le paradoxe, voire l’incongruité, ne cachèrent pas à mes yeux la situation d’une jeune fille coincée derrière le bar de l’établissement où elle pensait avoir trouvé refuge et, sur qui un CRS balançait avec ardeur sa matraque.
Par réflexe sans doute pavlovien, j‘agrippais l‘agresseur, le fit se retourner et lui balançais un sévère coup de poing au milieu du visage.
C’était, à n’en pas douter, la dernière chose à faire.
C’est donc traîné par les pieds et roué de coups de brodequins qu’extirpé du bar, je fus brutalement jeté sur le macadam de la place Royale.
Tous entassés dans les fourgons cellulaires, direction le commissariat central !
Là, tous les consommateurs se retrouvèrent alignés debout dans de longs couloirs mal éclairés attendant d’être interrogés. Parfois, des bureaux qui longeaient ce couloir, des cris vite étouffés nous parvenaient. Honnêtement, je n’en menais pas large.
Près de moi, un dandy, sans veste mais arborant un magnifique pull en V et de splendides charentaises pleurait la perte du chien, qu’il promenait comme chaque soir autour de la place Royale, et criait à qui voulait l’entendre qu’il était réellement, et même viscéralement, favorable aux «forces de l’ordre». Ce à quoi la quasi-totalité du couloir répondait en chœur : «nous aussi».
Dans mon coin, silencieux et perplexe, engourdi par les coups reçus et comptant mes hématomes, je me disais que, pour une fois que je contestais physiquement l’ordre établi, j’aurais au moins pu choisir meilleure compagnie que ces petits bourgeois dont les parents alertés feraient jouer leurs relations pour les délivrer rapidement.
Très vite je constatais que je ne me trompais pas.
Quand vint mon tour d’être interrogé, grande fut ma surprise de découvrir que cette grande maison disposait déjà d’un épais dossier à mon nom.
Tout y était, depuis ma fugue, mes actions militantes de collage et distribution de tracts et bien sûr mon rôle à la tête du Comité d’Action Lycéen local…
Impossible de jouer comme les autres aux « bavures policières » et aux erreurs d’appréciation. Cette fois, il fallait jouer serré.
Fort opportunément, alors que le flic s’intéressait à mon dossier personnel, je vacillais,
dodelinais de la tête et demandais à voir un médecin ou un infirmier pour calmer un
mal de tête qui, pour être réel, ne me paraissait ni urgent, ni dangereux.
Sens du théâtre, propension à la mystification, ou trouble réel ?
Toujours est-il que l’interrogatoire tourna court et vers trois heures du matin, deux
policiers me déposèrent aux bons soins du service des urgences du CHU qui diagnostiqua une fracture du rocher, juste derrière l’oreille. Ce qui n’était à l’origine qu’un stratagème pour échapper à un interrogatoire qui s’annonçait musclé me rendait en fait un énorme service car je n’avais jusqu’alors ressenti aucun symptôme
 
Remis au service hospitalier par deux policiers, je ne pouvais sortir de l’hôpital qu’entre deux autres officiers de police judiciaire, ce qui signifiait un retour à la case départ.
Au bout d’une semaine soins, jamais les médecins n’avaient imaginé qu’un tel défilé
de jeunes hirsutes et empressés viendrait s’agglutiner à la porte de ma chambre…
Quand ils envisagèrent devant moi de me remettre aux mains de l’administration de la
police, une course de vitesse s’organisa donc pour me permettre de quitter l’hôpital
accompagné de deux adjoints au maire de Nantes qui, du fait de leurs fonctions
électives, étaient officiers de police judiciaire. C’est donc sans enfreindre la loi que j’ai pu regagner le domicile familial et fausser compagnie à la police.
Des années plus tard mon crâne porte encore les traces de godillots des pandores Malheureusement, mon «évasion» me conduisit rapidement vers un autre hôpital où grand-mère de Carquefou s’éteignait doucement mais sans retour. Longtemps je lui tins la main, calquant ma respiration sur son souffle irrégulier, comme s‘il m‘avait fallu marcher à ses côtés, en respectant sa cadence. Nous étions seuls, même le repas
du midi ne lui avait pas été servi, sur la table de chevet, un petit bout de papier blanc
sur lequel une infirmière sans doute avait écrit mon prénom. Sous ce papier barré d’une élastique étaient regroupés quatre cahiers de chansons et de poésie que son époux lui avait laissés avant de partir mourir à la Grande Guerre, cinquante quatre ans plus tôt.
Écrits à la plume, la calligraphie développait majestueusement ses pleins et ses déliés
pour réunir la somme du savoir et de l’âme du seul homme qu’elle avait aimé .
C’était là son dernier cadeau,
 
De Gaule était parti à Baden-Baden, les militants du Comités de Défense de la
République avaient fait la démonstration de leurs forces sur les Champs Elysées. La révolte étudiante avait fait long feu. La bourgeoisie exigeait une reprise en main et la tenue du baccalauréat.
Compte tenu de la durée de la grève générale, rien n’était prêt et le fameux bac dû se résoudre à être oral. N’ayant évidemment rien révisé, je me présentais aux épreuves et fis même l’objet d’une délibération spéciale du jury pour m’ attribuer la meilleure note de philosophie de toute l’académie de Nantes (18/20 quand même) et décrocher donc l’indispensable mention.
 
( suite :
Un petit boulot génial c’était ! Pompiste j’étais devenu !
Déjà paru)Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu

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