Magazine Humeur

un cadeau

Publié le 23 juin 2009 par Cecileportier
J'étais en train de lire un article de Jean-Paul Fourmentraux sur les oeuvres en partage (la création collective à l'ère d'internet), et à vrai dire je n'étais pas complètement dans ma lecture, car son évocation liminaire sur la disparition de l'auteur (Barthes, Mallarmé, disparition élocutoire du poète etc.) me renvoyait ironiquement à cette grande difficulté éprouvée à débarrasser mes propres textes d'un "je" trop présent. Ma pensée s'échappait par ces petites fissures d'amour-propre, qui progressivement devenaient des béances, car s'y rajoutaient des mauvaises consciences contradictoires, à teneur logistique (doute sur la posologie des antibiotiques administrés le matin même pour venir à bout d'une maladie infantile, préparation insuffisante d'une réunion de travail à venir, retard cruel sur des factures à payer, etc).
Comme parfois, comme souvent dans ces cas là, j'ai été prise d'une crise d'éternuements à répétition (allergie à la conjonction courant d'air/contrariété). Au dixième éternuement, et devant mon incapacité à trouver quoi que ce soit dans mon sac à main, le passager en face de moi m'a tendu un mouchoir en papier, j'ai remercié, je me suis mouchée, et tout en éternuant j'ai continué ma lecture, avec le sentiment confus d'une certaine disparition, en effet : l'ambition d'être un peu auteur, ou même seulement lecteur, se retrouvait dispersée aux quatre vents. Le "je" sous la figure de l'éternuement, en quelque sorte : quelque chose d'irrepressible, de convulsif, et de très passager.
Et puis nous sommes arrivés au terminus, et tandis que je tentais de remettre de l'ordre dans le fatras de feuilles et de kleenex, j'ai senti une main se poser sur mon bras.
C'était le passager à côté de moi. Je l'ai regardé, pour la première fois. Un petit monsieur, le teint mat, le visage très ridé, les yeux noirs. Il m'a souri, puis il m'a dit quelque chose, d'un peu ânnoné. Je n'ai pas entendu, je lui ai fait répéter, et c'est vrai que je me raidissais déjà, j'envisageais qu'il m'ait touché le bras pour ensuite me taper, au sens métaphorique.
Alors il a répété ce qu'il avait à me dire, et ce qu'il avait à me dire, c'était : "bonne journée".
Ce monsieur hier matin a fait cette chose incongrue. Il a posé la main sur moi, il m'a souri et m'a dit bonne journée. Ce petit monsieur, vieil immigré, que dans un réflexe douteux j'avais déjà mis dans la catégorie de ceux qui attendent qu'on leur donne quelque chose, c'est à moi qu'il a fait un cadeau : sa main, sa parole, sans que pour une fois je n'ai besoin de rien réclamer.
Ca a duré très peu de temps, quelques secondes, le temps qu'il me dise cela, bonne journée, et que je lui souhaite la même chose en retour.
Ensuite, je me suis retrouvée sur le quai, en proie à la stupeur, à la douceur.
J'étais comme une eau subitement calmée.

Dans le métro d'après, j'ai continué ma lecture, et c'était complètement différent, j'avais l'impression qu'on me parlait de ce qui venait de se passer. Je lisais ceci : "Toutefois, l'oeuvre n'a pas ici de forme prédéterminée et n'existe semble-t-il qu'au travers d'interactions". Et puis aussi ceci : "Le monde est difficile à entrouvrir".

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