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Le bruit du silence

Publié le 25 juin 2009 par Zoridae
Le bruit du silenceLa couverture m'intriguait tandis que le résumé me semblait plutôt rebutant ; je n'ai jamais été attirée par la science-fiction, genre qui me semble privilégier souvent l'univers au style. Or, La voix du couteau avait tout du récit d'anticipation : ambiance post-apocalyptique, créatures mystérieuses, virus étrange.
C'est pourquoi, je ne m'attendais pas à être saisie dès les premières lignes par une langue drôle, imagée, poétique, au rythme heurté. Dans ce roman c'est le style qui m'a d'abord subjuguée. Le suspense, entretenu habilement par l'usage répété du cliffhanger en fin de chapitre, la découverte du monde dans lequel vit Todd, son histoire ont fini de me séduire...
"J'en sais rien. Moi je me crois"
C'est Todd qui raconte. Il aura 13 ans dans trente jours et alors, il sera officiellement un homme. Pour l'instant, il est le plus jeune de Prentissville et à cause de cela personne ne lui adresse plus la parole en dehors de ses pères adoptifs, Cillian et Ben, et d'Aaron, sombre prêtre qui ponctue ses prêches incompréhensibles de coups.
Todd n'a pas été longtemps à l'école, il sait à peine lire et il écrit comme il pense, émaillant, malgré lui, son récit de fautes d'orthographe qui évoquent les fautes de prononciation des enfants - prérapatifs pour préparatifs, criature pour créature, et effarible parce que c'est tellement évocateur ; ça n'a l'air de rien mais ce sont ces accidents d'écriture qui donnent au style sa poésie, son rythme et à la voix de Todd sa véracité.
Sans oublier les injures déguisées si savoureuses,
"- Et toi aussi, va te faire feuttre, je réponds. Sauf que je dis pas feuttre, je dis un autre mot pour feuttre."
ni les dialogues avec son chien.
"Manchee sort des broussailles et il s'assied à côté de moi stoppé là en plein milieu du sentier. Il regarde autour de lui pour voir ce que je vois, puis déclare :
- Bon popo, Todd.
- Tant mieux pour toi, Manchee.

Pas question d'avoir un autre purain de chien pour mon anniversaire prochain. Cette année, je veux un couteau de chasse comme celui que Ben porte à l'arrière de son ceinturon. Ca, c'est un cadeau pour homme.

- Popo, répète tranquillement Manchee."

Avant même de comprendre de quoi il s'agissait, j'ai ri, énormément, dès le début du roman.
Puis, en dehors de l'écriture novatrice et des aventures du jeune garçon, pleine de rebondissements, de suspense, ce qui m'a passionnée c'est l'histoire du Bruit...
A Nouveau Monde, un virus a été répandu qui a, pense Todd, tué toutes les femmes et la moitié des hommes, rendant ce qu'il en reste presque fou : le virus du Bruit. Depuis, tout n'est que vaste brouhaha car aucune pensée ne peut demeurer secrète et même les animaux pensent à leur façon répétitive, et limitée.
Le seul moyen de préserver un peu d'intimité c'est d'ajouter des pensées bruyantes à celles que l'on voudrait taire. Mais le stratagème ne fonctionne pas toujours... Car quand ils dorment les hommes laissent encore échapper une clameur, un raffut qu'ils savent même pas qu'ils pensent, même quand tout le monde les entend.

Aussi, quand Todd découvre, dans le marais, un trou dans le bruit, il est bouleversé :
Je m'élance derrière lui, courant moi aussi, mon sang pulsé, à cause que c'est là, il est là le trou dans le Bruit.
Je l'entends.
Enfin, je
l'entends pas, justement, mais quand je cours vers lui, le vide de ça me touche la poitrine et l'immobilité de ça me tire, et il y a tant de paix dedans, ou non, non, pas paix : silence - tant de silence incroyable que je commence à me sentir vraiment déchiré, comme si j'allais perdre la chose la plus précieuse que j'ai à moi, comme si c'était là, une mort, et je cours et mes yeux se mouillent et ma poitrine s'écrase, et il y a personne pour voir et je veux pas mais mes yeux se mettent à pleurer, ils se mettent à pleurer mes purains d'yeux et je m'arrête une minute et je me plie en deux et Nom, Prénom de Dieu (oh, ça va, hein), je perds une longue interminable minute, une longue purain de minute cassé là - après quoi, bien sûr, le trou s'éloigne, il s'est éloigné, il est parti.
Manchee hésite, entre le courser ou revenir vers moi, puis finalement revient vers moi.
- Pleure, Todd ?
- Ferme-la, je dis, et lui balance un coup de pied.

Je le rate exprès. Quand Todd rencontrera Viola, une fille, il sera partagée entre l'envie de la protéger et l'hostilité de ne pouvoir lire en elle. Il y aura bien des disputes entre les deux jeunes gens à cause de leur différence. Car Viola n'a pas de Bruit tandis qu'elle peut lire Todd à livre ouvert.
- Chaque fois que tu penses Oh, elle, c'est vraiment rien que du vide, ou Il se passe rien à l'intérieur d'elle, ou Peut-être que je peux la larguer avec ces deux là - je l'entends, d'accord ? Et je comprends bien plus de choses, mille fois plus de choses que je ne voudrais. - Ah oui ? je chuchote moi aussi, mais mon Bruit n'est pas un chuchotement du tout. Chaque fois que tu penses à quelque chose de débile, moi je l'entends pas. Alors, comment je serais supposé savoir ce qui se passe, si tu gardes toujours tout secret ?
Le Bruit n'est pas seulement quelque chose que les hommes subissent, c'est un véritable personnage, une arme, un miroir. Ainsi, Todd l'élève-t-il pour barrer la route à tous les questionnements qui viennent des hommes ou Le Bruit de Matthew se jette sur lui comme des mains de une douzaine de Bruits différents le tâtent, le sondent brusquement, brutalement, comme des bâtons.
Et, quand on perd un être cher, impossible de l'oublier, la douleur devient lancinante :
Son dernier Todd ? laboure mon Bruit comme une plaie.
Le Bruit, il a ça de particulier, aussi. Tout ce qui vous est arrivé continue de vous parler, sans cesse et sans cesse.

Le Bruit d'une personne peut être sincère, rouge de rage, noir ou lumineux : son bruit lui sort du corps comme une belle fanfare, toute pleine de bienvenue pas bienvenue et de bons sentiments encombrants. On peut le rendre si plat que personne ne peut le lire. On peut le donner à voir comme un film.
Son absence chez les femmes est perçu tantôt comme une force, tantôt comme une menace.
A Carbonel Downs, par exemple, les femmes sont reléguées de l'autre côté de la rivière, pour ne pas interférer dans les pensées des hommes et une musique passe jour et nuit empêchant les hommes restés entre eux de s'entendre penser.
A Farbranch au contraire, ce sont les femmes qui dirigent la ville car leur insondabilité les rend plus fortes. Auprès d'elles, les hommes semblent calmes et leur Bruit, quelquefois irrité, (...) généralement suit le cours des choses.
Le livre refermé, la petite musique de ce roman m'a poursuivi un bon moment (il faut, au passage, saluer le travail du traducteur Bruno Krebs).
Je n'avais pas prêté attention à chiffre 1 qui s'étalait sur la couverture.
Au milieu de ma lecture, tandis que la fin s'approchait fatalement, j'ai eu la joie d'apprendre qu'il ne s'agissait d'un premier tome... Depuis j'attends...
La voix du couteau - Gallimard Jeunesse - Avril 2009
Prix Guardian 2008, Booktrust Teenage Prize 2007
Illustration : Brendan Monroe

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