Magazine Humeur

Confession intime

Publié le 25 juin 2009 par Dalyna

Lecteurs, pardonnez-moi car j’ai pêché.

Avant de vous avouer mon crime et que vous me jetiez dans la fosse aux lions, je tiens à préciser que plusieurs éléments m’ayant influencée sont à prendre en compte. D’abord, il faut savoir qu’au moment des faits, j’étais dans un grand désarroi professionnel. C’était l’année dernière, les piges se faisaient rares voire inexistantes, et j’étais à la quête d’un petit boulot pour combler les fins de mois. Je faisais des missions de communication à droite à gauche, je me rendais à des entretiens foireux et n’ayant parfois aucun rapport avec mes compétences genre secrétaire pour un commissaire aux comptes. Bref, si j’avais vu une annonce de bergère dans le Lot-et-Garonne, je crois que j’aurais tenté ma chance. C’était comme on dit chez moi « la dèche au Bengladesh ».

Lecteurs, pardonnez-moi car j’ai pêché. J’ai postulé pour travailler chez TF1.

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(Je sais).

Il y a 2 ans, un projet avait vu le jour : la Fondation TF1. Une femme issue de banlieue difficile, travaillant dans la communication a mis en place un partenariat avec TF1 visant à donner plus de visibilité aux personnes provenant des quartiers dits fragiles. Chaque année, 9 recrues intégreront TF1 pour un contrat en professionnalisation d’une durée de 2 ans. Des postes de journaliste stagiaire étaient proposés en alternance avec le CFJ, école de journalisme réputée et reconnue par la profession. Je vous avoue que l’idée de retourner à l’école ne m’enchantait pas sachant que ça commence à remonter à 4 ans pour moi, et que sans vouloir me la jouer, je ne pense pas en avoir besoin. J’ai déjà fait mes études, appris les bases, et ce que je n’ais pas appris en théorie, je l’ai vite assimilé sur le terrain ensuite. Etre à nouveau stagiaire non plus ne m’emballait pas. Je l’ai déjà été un million de fois, et j’ai déjà appris l’essentiel. Mais l’avantage, c’était qu’à TF1, un stagiaire est très bien payé. Et donc, une chose en amena une autre, dèche au Bengladesh, bergerie de monsieur Seguin me faisant de l’œil … alors j’ai envoyé ma candidature.

choqué

(Je sais).

C’est là que ça devient marrant. J’ai postulé 2 fois. L’année dernière et cette année. La première fois avec beaucoup d’espoir d’être prise puisque je n’avais rien. Pour candidater, le principe est compliqué simple : tu dois te filmer en vidéo pendant 3 minutes où tu te présentes. Après, il y a un dossier de candidature super balèze à remplir où tu dois donner tes motivations, ton parcours, ta photo (normal quoi), 3 numéros de tes proches ( ? ) pour qu’ils attestent que tu n’es pas un meurtrier etc. On n’est jamais trop prudent avec les banlieusards. En gros, pour bien faire sa candidature, il faut une semaine. Le plus fastidieux, c’est la vidéo car je pense que la plupart des postulants ont du la faire en plusieurs fois. Ben oui, quand on n’est pas Roselmack, y’à toujours un moment où tu bégayes, écorches un mot, dit de la merde… Personnellement, pour ma candidature, j’ai fait une vidéo avec ma web cam toute simple, où j’ai dit ce que j’avais fait et ce qu’un contrat de pro à TF1 m’apporterait sans trop rentrer dans les détails.

La première année, je n’ai pas été prise. Je n’ai même pas été dans la première sélection, car le jury en rencontre d’abord une trentaine avant d’en garder 9. J’étais à deux doigts de m’acheter un Colley pour travailler dans le Loir-et-Cher. J’en ai même repéré un répondant au nom de Mickey mais la procédure d’adoption était simple compliquée.

colley

Alors j’ai décidé de me ressaisir. Je me suis trouvé un petit boulot dans le domaine des médias, j’ai animé ce blog activement à côté, et je dois dire que ça m’a beaucoup aidé. Cela a aiguisé mon style d’écriture, et j’étais constamment au courant de l’actualité. Et la motivation, c’est comme l’appétit : elle vient aussi en mangeant étant motivé. Plus j’étais active, et plus j’étais motivée. Du coup, je me suis démenée pour trouver des piges. Je suis encore loin d’en vivre pleinement, mais une chose est sûre : ma situation d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle de l’année précédente. Et puis toute cette année, j’ai mûri et pris un peu en assurance. J’ai eu tellement de galères, que petit à petit, j’ai commencé à cerner ce que je veux faire et surtout, je sais ce que je ne veux PAS faire même avec un couteau sous la gorge. Et ce que je ne veux pas faire même avec trois guns sur la tempe, c’est précisément du… TF1. Alors pourquoi diable ais-je postulé?

Cette année, je vivais tranquillement ma vie, quand une nana de la Fondation TF1 m’a envoyé un mail pour me dire que la sélection pour 2009 débute. Je ne réponds pas car je ne suis pas intéressée. Trois semaines après, un coup de fil inconnu et message. La même nana qui me laisse un message me répétant la même chose. Là, j’en parle un peu à droite à gauche en me disant qu’ils sont en galère de candidats ou quoi. On me répond unanimement « Vas-y tente, tu t’en fiches, ça peut être une bonne expérience ». Là, je suis tiraillée. Car d’un côté, je ne suis pas dans une situation suffisamment à l’aise pour me permettre de refuser des opportunités. Mais de l’autre… ben je n’ai pas envie de travailler pour TF1. Mais vraiment pas. Faire du Pernault, du Sept à Huit, du « gouvernement », non merci. Donc après avoir pesé le pour et le contre, je me suis rappelé de ma tentative de l’an dernier où on ne m’a même pas retenue dans les 30. Alors solution de facilité, et préférant les remords aux regrets, je me suis dit que je me sentirais mieux  si c’était TF1 qui prenait la décision à ma place.

choqué

(Je sais).

Alors rebelote. Création d’une vidéo. Cette fois, le procédé est encore plus compliqué que l’an dernier, car on doit carrément mettre sa candidature en ligne et tout le monde peut la consulter. N’importe qui. Cette règle m’a vraiment emmerdé. Car ce n’est pas tout, mais je vends des articles moi. Du coup, l’idée que les rédac chef me voient en tapant mon nom dans Google et connaissent mon parcours depuis le bac à sable, ne m’enchante pas des masses. Alors, j’ai essayé de faire un compromis. Candidater en disant le minimum sur ma vie personnelle et le maximum sur mon parcours professionnel. Le problème, c’est que tout ce qui touche à la banlieue, la té-ci etc., je l’ai volontairement squizzé. Déjà parce que je n’ai pas envie de raconter ma life perso sur le web en libre accès. Et aussi parce que pour être honnête, je ne saurais pas dire ce qu’ils attendent que je dise (phrase d’auteur ©). En regardant les vidéos des candidats retenus de l’année précédente, j’ai compris ce que le jury voulait entendre. Pour vous résumer, les candidats retenus ont dit que la banlieue, c’est trop cool, qu’ils viennent d’un milieu défavorisé, mais que c’est ce qui leur a donné cette-force-qui-guide-mes-pas (Ophélie Winter ©), qu’ils ne sont pas misérabilistes, et que quand on veut, on peut etc.

C’est là que je comprends mieux. Jusqu’ici, j’étais assez stupéfaite de cette initiative prise par la chaîne de droite. Mais là, j’ai compris. L’idée, c’est de prendre des jeunes des banlieues « fragiles », mais avec une mentalité TF1. C’est-à-dire que quelqu’un qui a des revendications, qui est un tantinet critique n’a pas sa place là-bas. En même temps tant mieux pour la chaîne qui reste fidèle à elle-même. Mais c’est dommage quand même de ne pas aller jusqu’au bout de l’idée, qui, elle était intéressante. C’est un peu comme Sarkozy qui prend Kouchner dans son gouvernement et dont tout le monde salue l’ouverture. Tu parles, une ouverture de façade seulement. Et bien, c’est le même principe dans le cas de la Fondation TF1. Pour être pris, il faut avoir un discours cliché à la Grand Corps Malade, lisse, du genre la cité, c’est trop cool, il y a des difficultés, mais c’est viable et si on a cette-force-qui-guide-mes-pas, on peut s’en sortir et blablabla. Je ne vis plus en banlieue aujourd’hui, mais sur 26 ans passés là-bas, dont 8 en cité, je n’ai jamais entendu quelqu’un raisonner comme ça et penser que c’est une force supplémentaire de vivre en cité. Au pire, on attend de se barrer, au mieux, on trouve ça normal. Mais sérieux, rentrer chez soi le soir en chantant I’m Singing in the rain téci car j’habite en banlieue difficile et que ça aide à développer mon karma, franchement, jamais vu. Alors après, je ne dis pas qu’il faille s’apitoyer sur son sort, ni que quand on vit en cité, c’est le bagne. Evidemment qu’il faut développer ses projets, que le mental joue aussi. Pour autant, il ne faudrait pas en occulter les problèmes qui s’y amoncèlent depuis des années et des années, et qui gâchent une grande partie de notre jeunesse, tout ça par manque de volonté politique. Et c’est ce qui me débecte dans ce discours de pseudo-battant, c’est qu’il permet justement l’immobilisme, et qu’il est quelque part aussi complice du système puisqu’il ne dénonce rien. Heureusement que Pasteur ne se raisonnait pas comme ça… La rage quoi ? Bah… C’est pas grave dans le fond, attends faut pas dramatiser ! Si t’as cette-force-qui-guide-mes-pas, ben tu l’attrapes pas et basta.

Après avoir envoyé ma vidéo toute simple, j’ai été regardé celle des autres. Déjà la grande majorité s’est filmée avec une caméra, quand moi, j’étais en mode web cam, comme un piquet devant mon ordi. Ensuite, la plupart d’entre eux ont fait des montages… (allez voir sur le site Wat tv puis taper Fondation TF1) genre je me filme en mode actif. Ca donnait souvent « moi en train de traverser la rue », « moi au cœur d’une cité pour attester que je suis en mode Droit de savoir opé pour TF1 », et parfois, ça virait même au comique : « moi dans ma voiture », « moi en train d’écrire » (je suis une pure femme d’affaire). Quand j’ai vu ça, j’ai souri devant mon écran en repensant à ma vidéo. En plus de ne pas avoir dit que j’étais une battante de ouf malade qui kiffe la cité, je ne m’étais pas filmée en train de faire mes courses ou aller à la sécu. C’était cuit pour moi. Bon, je charrie un peu là. Au milieu de toutes ces vidéos, j’en ai malgré tout repéré 2 ou 3 qui m’ont beaucoup plu, de filles posées, qui ont mis en avant leurs reportages, leur travail plutôt que leur force mentale. Mais elles n’ont pas été sélectionnées. Peut-être qu’elles n’ont pas assez insisté sur leur karma enrichis grâce à la vie en cité.

A mon retour de Grèce, au milieu de nos cadeaux et félicitations, une petite lettre mignonnette m’attendait avec le logo de TF1.

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En tous les cas, je m’attends d’ores et déjà à 2 types de réactions suite à ce billet, et afin de ne pas nous perdre en débats stériles, je préfère anticiper tout de suite. La première viendra d’éventuels candidats retenus, et là, ça va être radical : « Ouais, tu dis ça comme t’as pas été prise, donc t’es amère, t’es aigrie, t’es jalouse, t’es dépressive, suicidaire… ». Je répondrai en 2 mots : Trop pas. Quand j’échoue quelque part, je sais le reconnaître et je ne pratique pas la mauvaise foi. Par exemple, je n’ai pas encore réussi à caser un article au Nouvel Observateur, un hebdo que j’apprécie globalement, et bien, je vous le dis sans problème. Pour TF1, c’est différent puisque je suis ravie de ne pas avoir été sélectionnée. Mes proches pourront attester à quel point j’étais mal à l’aise dans cette démarche, avec cette sensation omniprésente de me compromettre dans l’optique de travailler pour une chaîne pareille, qui ne produit que du sensas et de la peur. On me disait autour de moi que ce n’était pas grave et qu’au pire, je pourrais toujours me barrer si ça ne me correspond pas. Mais même, ça m’obsédait. J’ai postulé uniquement pour ne pas me dire que je n’ai pas tout tenté. Donc vraiment, aucune aigreur, je vous assure. Et à la limite, si c’était ça, je ne prendrais pas le risque d’en parler ici, je retenterais simplement ma chance.

Autre réaction attendue, celle de jeunes postulants, qui conçoivent cette initiative de TF1 comme une chance et ne comprennent pas que je puisse la descendre. En soi, évidemment que je salue la démarche. Je ne peux que féliciter le principe de ce projet sensé ouvrir des portes à ceux qui n’ont jamais accès à rien. Simplement, c’est la manière dont cela est fait que je critique ici. Après avoir observé le profil des candidats retenus, je me suis fait une idée des critères recherchés. Et prendre des gens de banlieue, sous couvert d’ouverture à la diversité, tout en ne sélectionnant que ceux qui ne présentent qu’un discours aseptisé et hypocrite sur la situation des « quartiers », revient pour moi à ne rien faire du tout. Je ne vois pas l’intérêt de voir à l’écran un journaliste d’origine arabe ou indienne, si au final, il nous tient le même discours que ses confrères issus des milieux bourgeois.

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Retenter l’année prochaine ? Non, sérieux, je crois que j’ai assez pêché comme ça.


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