Magazine Journal intime

A propos des images

Publié le 01 juillet 2009 par Alainlecomte

Des images, on ne peut pas faire autrement que les interpréter, c'est notre activité cognitive permanente qui est en cause, ce que, sans arrêt, nous projetons comme schèmes autour de nous. La plupart du temps, quand nous sommes dans un univers familier, ça marche : les choses se sont stabilisées, je vois un homme qui sourit à une femme, je comprends : c'est un homme qui sourit à une femme, peut-être il ne la connaît pas et est en train de la draguer, peut-être il la connaît de longue date et il la reconnaît. Je projette ce schéma là, je sais qu'il a marché une fois, deux fois, mille fois, il s'est donc stabilisé : j'ai rencontré dans toutes ces occasions antérieures des indices qui ont témoigné de la cohérence de mon interprétation. Mais si je change d'univers, qu'est-ce qui me garantit que je vais fonctionner aussi bien en tant que producteur, générateur de schèmes interprétatifs ?

Je propose donc une interprétation, des interprétations. Je suis au Japon (voir mes récents billets). Je vois ce qui ressemble à une fontaine, avec des instruments en forme de louches, je vois des gens se rafraîchir avec, j'en vois même qui versent de l'eau dans leurs mains jointes, pour la " boire " ensuite. Je dis : c'est une fontaine et on vient s'y rafraîchir. Mais ce n'est pas une fontaine pour se rafraîchir. Car c'est dans l'enceinte d'un temple et L.D. me dit qu'en réalité, c'est une fontaine d'ablution, de purification. La grand-mère " n'apprend pas à boire à son petit enfant ", elle lui apprend " par l'exemple, la gestuelle " (L .D.), et de toutes façons, même si on porte l'eau à la bouche, on ne la boit pas.

Je me plante ensuite (un peu absurdement, j'en conviens, je n'ai comme excuse que l'euphorie qui s'est emparée en un instant de cette petite rue et qui s'est communiquée à moi, alors que j'étais venu là sans aucune arrière-pensées, je n'avais pas lu les guides qui parlent des geishas qui y passent chaque jour à une heure précise) je me plante donc devant une geisha, non, une meikko, nuance (apprentie) et je crois qu'elle me sourit, mais dit encore L.D. " elle ne vous sourit pas, elle vous supporte avec votre impudence [...] Ce n'est pas un sourire que l'on voit sur son visage, tout juste une pause qui sied à son rôle. Elle vous facilite la photo ". Et il ajoute : " Les expressions du visage ne sont pas internationales. Un rire ici peut signifier la gêne ou la tristesse. ". Dont acte. Ce que l'on ressent dans ces cas de méprise, c'est évidemment une certaine honte. Si on s'est trompé dans ces quelques cas, qu'est-ce que cela a dû être dans d'autres ! Horreur, gouffre, vertige de l'incompréhension, du malentendu. Du long malentendu. Se peut-il que nous aimions une chose (une personne), que nous nous enthousiasmions pour un pays, un voyage et qu'en réalité nous soyons dans l'incompréhension totale ? Oui, c'est possible. Se peut-il que le voyage, cette " distraction " typiquement occidentale, par laquelle nous croyons atteindre un savoir indispensable (aller vers l'autre, n'est-ce pas, " comprendre " la différence etc.) ne serve finalement qu'à nourrir le malentendu ? Oui, c'est possible.

Peut-être seuls les anthropologues, ou les ethnologues, devraient être autorisés à voyager : ils ont au moins acquis des méthodes d'interprétation, ils utilisent un arsenal scientifique, ils ne visent pas une quelconque empathie mais seulement une connaissance méthodique, rigoureuse. Certains peuvent même se donner comme règle : " je n'interprète pas " (les écrits des ethnométhodologues, comme Garfinkel, Sacks... sont sans doute à lire ou relire ici).

Mais possédons-nous (possèdent-ils eux-mêmes) les moyens, les outils qui permettent de trancher sur la question des " variations " (de comportements, de coutumes, ...), quelque chose qui nous permette de dire : oui, les attitudes et comportements de ce peuple sont complètement différents des nôtres, ou bien : non, finalement, nous sommes semblables ?

Il faudra revenir sur ces questions au cours de l'été...

A propos des images
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À propos de alainlecomte

<h3>Vous en une ligne</h3><p> Universitaire vivant à Grenoble mais travaillant à Paris, je m'intéresse particulièrement au langage et à son fonctionnement. Je m'intéresse également aux questions philosophiques, à l'art et à la littérature. J'aime le voyage, la montagne, l'Inde, le Jura suisse, Kenzaburo Ôé, Robert Walser, les vaches, particulièrement celles de la race d'Hérens, Filippo Lippi, Peter Handke, Marguerite Duras, Pippiloti Rist, mes collègues de l'Université Paris 8, les vallées du Ladakh, les glaces Gonzales qui sont en vente rue Servan à Grenoble etc. etc..</p>

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