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05 - Détour pour l'exploration de ses consciences (1)

Publié le 09 juillet 2009 par Collectif Des 12 Singes

Détour pour l'exploration de ses consciences
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• Moa : Namaste Uttanka. Hab ke se hay ?

• Uttanka : Atcha Atcha, ça va nickel mon pote.

• M : Je te présente une amie venue de nul part, Esperanta.

• U : Bonjour, enchanté charmante dame. Ton magnifique prénom embaume mon cœur de réjouissance et de sérénité.

• Esperanta : Bonjour, merci bien, tu es très flatteur.

• U : Ne t'en déplaise, la vertu des Orientaux, et encore plus des Indiens, est justement de ne s'émerveiller que d'une beauté splendide, pas d'enjoliver par bienséance (sinon dans ce cas, ils s'en tiennent à la simple courtoisie).

• E : Ils ne font pas de place à la flagornerie et tant mieux, c'est plus franc comme rapport. Ton prénom, … il me dit quelque chose. Que signifie-t-il ?

• U : Il est issu d'une fable du Mahâbhârata, un poème indien.

• E : Ah ouais, fais pêter !! euh pardon, je veux dire, je suis toute ouïe, peux tu me raconter cette histoire ?

• U : Avec grand plaisir, c'est demandé si gentiment ;-) : un matanga (le plus humble parmi les humbles, la plus basse caste, qualifié de non-humain) invita Uttanka, un sâdhu (saint homme vivant la méditation en ascète, avec le strict nécessaire – comme un ermite), à boire son urine pour étancher sa soif. Uttanka refusa avec indignation avant d'apprendre par la suite que le dieu Krishna s'était déguisé pour lui offrir de l'urine de soma. Uttanka avait ainsi gaspillé sa chance de rejoindre les Immortels.

• M : Explique lui aussi tant que tu y es, ce qu'est le soma, nom aussi de ton smart-shop.

• U : Les Aryens, peuple nomade du Caucase et d'Asie centrale (donc rien à voir avec les grands blonds aux yeux bleus des nazis), de langue indo-européenne, ont envahis le nord-ouest du subcontinent indien vers – 1600 de l'autre ère. Ils inspirèrent le Rig-Veda, corpus de textes de 1028 hymnes, que les brahmanes indiens (plus haute caste : les prêtres) se transmettaient de bouche à oreille de génération en génération. 120 hymnes sont entièrement consacrés à une divinité-plante dont ils chantent les vertus merveilleuses : le soma. Un poème d'un chamane s'adresse au dieu Indra :
« Comme le cerf, viens boire ici !
Boire le soma, autant que tu le désires.
Pissant généreusement jour après jour, ô puissant,
Tu atteins le zénith de ta force. »

• E : Sans vouloir t'offenser Uttanka, c'est quoi ce délire de boire la pisse de quelqu'un ?

• U : En fait, le soma est l' Amanita Muscaria (ou amanite tue-mouches). Elle était connue de toute l'Eurasie préhistorique. Elle a une particularité unique dans le monde « végétal » (les champignons ne sont ni des végétaux ni des animaux, mais des eucaryotes, organismes possédant des cellules munies d'un noyau, comme les rouilles, les levures, les moisissures ou encore certains parasites de l'humain ; dans notre cas il s'agit du fruit d'un mycélium souterrain) : elle contient une substance psychédélique dont le principe actif passe rapidement dans les urines. Dans le nord-est de la Sibérie et en Amérique Latine, les aborigènes avaient coutume de boire l'urine de ceux qui avaient pris de l'amanite tue-mouches. En Sibérie, les peuplades auraient découvert cette technique en regardant les cerfs, très friands de ce champignon, boire de l'urine : n'importe quel éleveur de rennes confirmera qu'ils sont souvent défoncés à l'amanite tue-mouches.
Pour les humains, l'effet est différent, plus profond, comme nous le dit une des plus fameuses strophes du Rig-Veda :
« Nous (les prêtres, bien sûr, ndlr) avons bu le soma,
Nous sommes devenus Immortels,
Nous sommes parvenus à la lumière,
Nous avons trouvé les dieux.
Qui peut désormais nous nuire
Et quel danger nous atteindre
Ô soma Immortel ? »

• E : Ah ouais, ça à l'air d'être puissant comme truc. Ils ont l'air bien perché !!

• U : Tellement puissant que les prêtres abusèrent de ce savoir pour manipuler le Peuple. Zarathoustra (sage afghan du 7ème siècle de l'autre ère), dans le Zed Avesta, fulmine contre ceux qui utilisent de l'urine dans les sacrifices : « Quand en finirez-vous avec l'urine dont se servent les prêtres pour enivrer le Peuple et le tromper ? » (la religion était déjà l'opium du Peuple). De même, de hauts fonctionnaires chinois se plaignirent des activités de mangeurs frénétiques de champignons rouges et de buveurs d'urine de la secte des manichéens (surgeon de la religion zoroastrienne - dieu unique et culte du feu), qui eurent beaucoup d'influence en Chine pendant plusieurs siècles.

• E : Très instructif, mais perso, la pisse je vais éviter.

• M : C'est bien compréhensible, mais tu ne sais pas ce que tu perds. Que nous conseille le chef ? : Miss Tinguette est victime d'une amnésie. C'est la première fois (hummm, la meilleure) qu'elle prend des champis, elle le sent bien et elle voudrait justement redécouvrir sa mémoire.

• U : Je dirai qu'il faudrait des hawaïens (Copelandia Cyanescens) plutôt que des mexicains (Psilocybe Cubensis) : l'effet est plus fort, mais il est surtout plus régulier, les autres fonctionnent plutôt par vagues d'euphorie.

• E : Je suis désolé, mais avec ces histoires de pisse et tout le reste, je suis plus tout à fait sûre.

• M : C'est bien que tu nous le dises maintenant, avant que tu ais pris et qu'il soit éventuellement trop tard (même si en matière de drogue, il est rarement trop tard pour bien faire) ! Bon, alors je te propose un truc : on va faire le tour du magasin, je t'explique comment fonctionnent les drogues et si tu es rassurée alors on passera à l'étape suivante, sinon, on trouvera une autre solution (même si la drogue n'est jamais une solution en soi) !

• E : Ça me va ! C'est sûrement plus prudent comme ça ! Ça me branche bien de faire un tour dans ton shop, voir tout ce que tu as de bon en biotoxines. Surtout que j'ai deux experts, qui plus est très pédagogues, hors pair.

• M : Vamos a los toxos. Si dame veux bien se donner la peine d'entrer.

• E : Quel gentleman ! Mais n'en fait pas trop non plus, ça fait un peu trop suceur, c'est flag !

• M : Glurps !, … j'en prends bonne note. Sacrée toi va !!!
Esperanta, Moa et Uttanka entrent dans le smart-shop. Uttanka part de suite conseiller un prospect, très branché par les poppys (« fleurs de pavot » en anglais).
Esperanta et Moa déambulent au gré des substances psychoactives millénairement connues et reconnues pour les plaisirs procurés (et provoqués), sans toutefois occulter les dangers inhérents à toute modification de conscience.
• Esperanta : Il y a beaucoup de monde qui vient dans ce genre de magasin ?

• Moa : Plus qu'on ne croit, et surtout pas ceux auxquels on aurait pensé à prime abord.

• E : Genre ? Développe !

• M : On a un très bon exemple avec le sieur là-bas. Il doit avoir la soixantaine, même si il ne la fait pas. Il doit être perturbé par son début d'andropause : comme les femmes, les hommes ont une chute de fertilité vers la soixantaine (en terme de vie animale c'est Mathusalem), ils produisent un sperme moins riche et ils bandent mou. Dans l'autre monde, en l'autre temps, il se serait bourré de viagra (la pilule de la sarce, parallèle à la pilule de l'Amour, l'extasie) assaisonné d'anti-dépresseur et anxiolytique pour calmer l'anxiété sexuelle. Tout ça a des effets secondaires, que l'on contrecarre avec d'autres médocs pour les atténuer à leur tour, c'est l'escalade dans les drogues légales (alors qu'avec les substances illicites l'escalade est nettement moindre voire nulle, selon les produits). Ici, Uttanka lui proposera plutôt du khat soudanais (feuille excitante équivalente au bois bandé antillais, mais en plus efficace) pour la fertilité et apparemment sieur est aussi un chasseur de dragon confirmé.

• E : Chasseur de dragon ? Quesako ???

• M : Un fumeur d'opium.

• E : Houla, je vois le genre !

• M : C'est-à-dire ? A ton tour d'expliquer !

• E : Beh, euh, voilà quoi, … un pauv' gars un peu paumé qui se shoote la tête pour fuir cette dure réalité qu'est la vie, bien éloignée d'un long fleuve tranquille.

• M : C'est bien une conception occidentale « moderne » des pratiques narcotiques. Pfff ! Viens, je ne crois pas que tu seras vraiment intéressée par toutes ces plantes.

• E : Je t'en prie, tu me permets d'en juger par moi-même ! Explique moi et je me ferai ma propre idée des drogues.

• M : Seulement si tu essayes d'admettre qu'il y a d'autres façons de consommer des drogues qu'en se défonçant les neurones !

• E : Oui si tu veux : la nature n'est pas une poubelle, ni ton corps, ni ton esprit ! {maxime d'un Teknival vers 2004 de l'autre ère}.

• M : Exactement. Car tous ceux qui picolent quelques verres comme ça, ne le font pas tous pour se mettre minable et aller poser un pâté. Certains ne boivent que pour le goût de l'alcool ou pour avoir de « petits effets », mais au moins maîtrisés (idem pour les autres drogues). Il faut bien faire le distinguo entre la personne gaie qui délire et fait rire tout le monde, et la grosse poche qui gueule comme un con et est lourd avec tous. Ce n'est pas la consommation qui est dangereuse en soit, mais l'addiction. Au Moyen Age ce terme désignait la dépendance physique (travaux manuels) d'un créancier envers son débiteur, jusqu'au règlement de la dette. Aujourd'hui cela concerne toute pratique irraisonnée, suscitée par un besoin irrépressible et souvent non nécessaire : drogue, sexe, jeu, vitesse, et le pire : pouvoir.

• E : A ça c'est sûr, comme pour tout, il ne faut pas abuser des bonnes choses.

• M : J'aime à te l'entendre dire : il « suffit » de laisser, voire d'enfermer si besoin est, la drogue à sa place, un récréatif et surtout pas un solutionneur de problèmes métaphysiques. L'autre monde avait justement fait cette erreur, des médecins prescrivant à toc de médoc anti-dépresseurs, famille des euphorisants, et en rajoutaient une couche pour contrecarrer les effets secondaires (c'est ça la véritable escalade toxicomaniaque). Les fêtards (et pas que les technoïdes, bien au contraire) prenaient des extasies, les parents des médicaments : seule l'appellation change, pas la catégorie des molécules actives. La France, avec ces chimiques et ses vins, est décidemment le pays des drogues et du plaisir, mais interdits ou blâmés pour certains (surtout les jeunes), inavoués pour tous.

• E : On est bien d'accord. Et pour ton histoire d'opium et de chasseur de dragon ?

• M : Déjà, il faut savoir que le pavot à opium est connu depuis des milliers d'années. Les Sumériens le connaissaient près de quatre mille ans avant l'autre ère et une de leurs tablettes le qualifie de plante de la joie. L'image de la capsule du pavot, un entheogène (substance qui engendre {« -gen »} dieu ou l'Esprit {« -theo »} a l'intérieur de soi {« -en »}), fut un attribut des dieux, bien avant que l'opium soit extrait de son latex laiteux. L'opium a été un objet de commerce pendant des siècles pour ses effets sédatifs (qui entraîne un apaisement, une relaxation, une réduction de l'anxiété). Il était largement utilisé aussi dans l'ancienne Egypte, notamment par les pharaons, non seulement à des fins thérapeutiques mais également pour ses propriétés psychotropes. Dans la Grèce antique, il figurait sur des monnaies et la déesse Déméter était représentée avec des plants de pavot dans ses mains. Le Népenthès, boisson procurant l'oubli de tous les chagrins décrite par Homère dans L'Odyssée, contenait vraisemblablement de l'opium (opion signifie « jus de pavot »).

• E : Ah ouais quand même, c'est une drogue qui fait partie prenante de notre Histoire !

• M : Oui, et elle a continué à l'être. C'est à Rome que sa première description scientifique en fut faite par Dioscoride au premier siècle de l'autre ère. Un peu plus tard, Pline l'Ancien signalait ses propriétés analgésiques (qui élimine la douleur) et antidiarrhéiques et c'était le principal constituant de la thériaque (contrepoison à base également de castor et de vipère) inventée par Galien. Il était d'ailleurs largement consommé dans la Rome impériale, pas seulement pour ses propriétés thérapeutiques, puisqu'en l'an 312 il y existait près de 800 magasins vendant de l'opium et que son prix, modique, était fixé par décret de l'empereur. La récolte y était faite par scarification des capsules comme c'est encore le cas aujourd'hui. L'opium a probablement été introduit aux Indes par les armées d'Alexandre le Grand vers le moins troisième siècle mais sa culture ne s'y est développée que vers le neuvième siècle après les conquêtes musulmanes. A la fin du treizième siècle, Marco Polo observa des champs de pavot dans le Badakhshan, région du nord de l'Afghanistan où se trouvent encore aujourd'hui de nombreuses plantations. Les Arabes utilisaient également l'opium, tant pour ses propriétés thérapeutiques que pour le plaisir et ils contribuèrent à le faire connaître dans tout l'ancien monde. Sous le règne des Grands Moghols, empereurs musulmans des Indes du seizième au dix-huitième siècle, la culture du pavot et le commerce de l'opium devinrent monopole d'état. L'opiophagie se développa alors puis l'habitude de le fumer, importée de Java ou de Formose (Taïwan).

• E : Et quand et comment c'est venu en Europe ?

• M : L'anglais Thomas Sydenham étudia son action au dix septième siècle et mit au point une nouvelle formulation du laudanum (préparation à base d'alcaloïdes du pavot somnifère appelée également vin/teinture d'opium). Cette drogue opiacée, la première à répondre à une formulation précise, avait été inventée par Paracelse (père de la médecine expérimentale et de l'homéopathie) un siècle plus tôt. Sans l'opium, la médecine serait manchote et bancale, écrivit Sydenham qui en consommait lui-même de grandes quantités. D'importants personnages politiques comme Pierre le Grand, Frédéric II, Catherine de Russie, Richelieu, Louis XIV et bien d'autres en consommaient tous les jours de même qu'un peu plus tard de nombreux artistes et intellectuels comme Goethe, Mary Shelley (mère de Frankenstein), Goya (pas Chantal, le peintre), etc. Si l'opium a été pendant des siècles l'un des médicaments les plus importants de la pharmacopée en raison de ses multiples propriétés physiologiques, l'abus d'opium à grande échelle en Europe est apparu au dix-huitième siècle en Angleterre, d'abord sous forme du Laudanum de Sydenham utilisé comme apéritif puis sous forme de pilules d'opium brut vendues dans les pharmacies. Au dix-neuvième siècle, des milliers d'ouvriers en consommaient en Grande-Bretagne tandis que l'habitude de fumer le chandou (opium raffiné) se développait en France.

• E : Quoi ? Mais comment l'opium est arrivé jusqu'à nos pays ?

• M : Par le biais des colonies et des importateurs de produits rares et bienfaisants. D'abord limité à la haute société, l'opium ne tarda pas à se répandre jusque dans les classes populaires. Après la chute de Napoléon (empereur français de 1801 à 1814, chute à Waterloo en Belgique), la France fut saisie d'une brusque frénésie d'anglomanie, et l'opium traversa la Manche avec d'autres modes. Cela plu tellement et l'état sentit qu'il y avait des sous à se faire, qu'en 1898 Paul Doumer (futur président) décida d'établir un monopole d'état sur l'opium cultivé dans le Sud de l'Indochine, colonie française à cette époque. Il s'agissait alors d'une industrie officielle : l'administration achetait, préparait et vendait les graines de pavot. Cela rapportait un tiers du budget de la colonie. C'est pareil ça, peu de gens savent qu'en 1916 il y avait environ 1 200 fumeries d'opium clandestines à Paris et que jusque vers 1920 de l'autre temps, il y avait de nombreuses fumeries d'opium à Toulon et sur d'autres bases de la marine. Il y a d'ailleurs un très beau chant militaire sur les plaisirs et douleurs de l'opium. Les états occidentaux ont toujours rejeté officiellement les drogues mais n'en laissaient pas moins faire (jusqu'à ce que les conduites addictives deviennent gênantes pour les autres ; pas pour le tox, lui l'état s'en fout, il ne sera jamais un Citoyen docile).

• E : Hein ? Les Français étaient des drogués durs avant la 1ère guerre mondiale ?

• M : Au XIXè siècle, l'opium (pas plus que n'importe quelle autre drogue « douce » ou dure », nuance inexistante à l'époque) ne faisait l'objet d'aucune interdiction. L'opium commença à être utilisé comme drogue au début du XIXè siècle en Angleterre. Au dix-huitième siècle, les Anglais avaient développé dans leur colonie des Indes la culture du pavot (traditionnellement utilisé pour consacrer les mariages) et, sous la domination anglaise de la Compagnie des Indes Orientales, le principal producteur était le Bengale. Si les Portugais commencèrent à l'introduire en Chine en petite quantité au début du dix-huitième siècle (12 tonnes en 1729), la Compagnie des Indes Orientales prit rapidement le relais et initièrent les Chinois (uniquement les vieux, qui pouvaient rester perchés ; la société s'en foutait car elle ne pouvait plus rien tirer d'eux) à la consommation de l'opium malgré les édits impériaux interdisant son importation. En 1798, le gouvernement anglais de William Pitt avait envoyé à Pékin la mission Mac Cartney (rien à voir avec le chanteur;-). La mission tenta d'obtenir des facilités commerciales mais l'empereur chinois préféra, par prudence, fermer son pays aux commerçants et aux missionnaires européens. Les Anglais prirent fort mal cette mesure. C'est qu'eux-mêmes continuaient d'acheter en Chine le thé dont ils étaient friands et bientôt, la balance commerciale pencha résolument en leur défaveur. Tandis qu'en Europe se terminaient les guerres napoléoniennes, en Extrême-Orient, les affaires suivaient leur cours. La Compagnie britannique des Indes Orientales (« East India Company ») joua son va-tout en accroissant ses ventes illégales d'opium en Chine en intoxiquant la jeunesse et le reste de la population ; de 100 tonnes vers 1800 à 2600 tonnes en 1838. En 1839, le gouverneur de Canton, excédé, fit saisir 20 000 caisses de drogue (de quoi faire pâlir d'envie les gangs colombiens d'aujourd'hui) et les détruisit en place publique : ce fut le prétexte qu'attendait Londres pour imposer l'ouverture du marché chinois à ses commerçants. Le « siècle de la honte » commençait pour les Chinois.

• E : Il y a un truc qui m'échappe là : les Britanniques ont fait une guerre pour obliger un pays à accepter sous la contrainte de se faire livrer une drogue (bien costaud en plus) ?

• M : Exactement : Au nom du sacro-saint libre-échange, le premier sinistre de la jeune reine Victoria, lord Melbourne, et son sinistre des affaires étrangères, Palmerston, convainquirent le parlement de Westminster d'envoyer un corps expéditionnaire pour demander raison au gouverneur de Canton. Un peu comme si les Occidentaux avaient fait une guerre contre des pays musulmans pour les forcer à leur acheter de l'alcool (pour faire du business et écouler les stocks) : belle mentalité !!!

• E : Et comment se fini cette guerre ?

• M : Un croiseur britannique bombarda Canton et occupa l'archipel voisin des Chousan. Puis une escadre remonta le Yang Tsé Kiang (le Fleuve bleu) et vint menacer Nankin, obligeant le gouvernement de l'empereur à capituler. Cette première application de ce que l'on appellera plus tard la « diplomatie de la canonnière » (droit du plus fort) déboucha sur le scandaleux traité par lequel les vainqueurs gagnèrent le droit de commercer librement dans cinq ports chinois dont Canton et Shangai. Ils obtinrent en prime la cession de l'îlot de Hongkong (port embaumé en chinois), qui commande l'accès à Canton et à la Chine du sud. À ce rocher sans eau s'ajouteront le territoire de Knowloon, sur le continent, par une convention de 1860, et les Nouveaux Territoires par un bail emphytéotique de 99 ans en 1898 (le non-renouvellement de ce bail en 1997 conduisit les Britanniques à restituer l'ensemble des territoires à la Chine).
Comble de l'humiliation, l'empereur du accorder l'extraterritorialité aux ressortissants britanniques et payer une indemnité de 21 millions de dollars d'argent. Jaloux des Anglais, les Français et les Américains s'empressèrent d'exiger de Pékin des avantages équivalents pour leurs commerçants et leurs missionnaires.

• E : Et beh, c'est pas glorieux pour les Occidentaux d'avoir coulé un empire (ça en soi c'est pas si grave, au contraire) mais pire encore une civilisation.

• M : Surtout qu'avec le traité de Nankin, l'« Empire du Milieu » (surnom de la Chine) entra dans une période dramatique tissée de guerres civiles et d'humiliations face aux « diables roux » venus d'Occident. Le Peuple fomenta des soulèvements contre le gouvernement mandchou, coupable de collusion avec l'étranger. Le soulèvement le plus notable fut celui des Tai p'ing. Il fit environ 20 millions de morts dans un empire d'environ 300 millions d'âmes. Humiliations diplomatiques et guerres civiles ne prirent fin qu'un siècle plus tard, le 1er octobre 1949, avec la victoire des communistes.

• E : J'hallucine comme juste pour une question de gros sous, nos sociétés dites modernes (par opposition aux « barbares » de l'Orient ; alors que ça marche plutôt dans le sens inverse) se sont permis de mettre sans dessus dessous une civilisation aussi puissante et plurimillénaire, mais encore plus une population aussi nombreuse. Nous avons, par nos lourdes fautes, provoqués un avènement douloureux de la Chine moderne en déstabilisant complètement l'ancienne en très peu de temps ?

• M : Malheureusement oui. La bourgeoisie et le pouvoir, autant que l'attrait de l'argent, ne connaissent pas de limites et n'ont jamais fait de sentiments : l'argent n'a pas d'odeur, et la morale se tait. La défaite chinoise se traduisit par l'importation de 3 000 tonnes d'opium en 1850. Une deuxième guerre de l'opium déclenchée en 1856 eut des conséquences encore plus graves pour la Chine. Ainsi, 6 000 tonnes furent importées en 1879, plus de 10 000 en 1886. Dans le même temps, le nombre d'opiomanes chinois dépassait 120 millions, soit le cinquième de la population. Toutefois, la culture du pavot se développa parallèlement en Chine faisant de ce pays le premier producteur mondial d'opium au début du vingtième siècle. Résultat de tout ce micmac (chez les Mac Tarmac), à la même époque, c'est à Shanghai que fut prise la première décision internationale de bannir l'usage de l'opium. Elle devait conduire à la législation internationale actuelle représentée par les différentes conventions internationales sur les stupéfiants, les précurseurs et les médicaments psychotropes. Ceci n'empêcha pas la France de continuer à produire de l'opium raffiné, dans ses bouilleries de Saigon jusqu'en 1954. Pour les relais en Europe, on recrutait dans les ports d'arrivée : c'est ainsi que se constitua le milieu marseillais. Par la suite, à la Libération, on paya ces mafieux pour briser les grèves communistes, pour coller des affiches et être gardes du corps pour les élus gaullistes et socialistes. Du coup, les politiques reconnaissants de la sauvegarde de leur pouvoir, fermèrent les yeux sur le trafic. Dans les années 60, la French Connexion vendait 80% de l'héroïne (substance issue de la morphine, elle-même issue du pavot à opium, on pensait à sa découverte en 1898 qu'elle permettrait de soigner l'addiction à la morphine, très répandue à l'époque – d'où son nom d'héroïne ; ironie du sort, car la morphine elle-même avait été préconisée comme substitut à l'opium) présente sur le marché américain (pure à 98%), en Amérique Latine et en Asie. Les pressions US parvinrent à freiner un temps l'expansion des parrains corses continentaux et marseillais dans le trafic de drogue, mais la répression ne dura guère.

• E : Bah ça alors, si on m'avait dit qu'à cette époque les Européens se toxaient à l'opium, je l'aurai pas cru.

• M : Aujourd'hui l'opium est légal (l'héroïne non car incontrôlable et personne ne peut se prétendre être assez fort contre sa dépendance induite), mais nous y faisons super attention. Tu sais, notre organisme fabrique ses propres drogues, notamment un système antidouleur, essentiel à notre survie. L'opium et ses dérivés ne font qu'utiliser ce système naturel pour procurer un état de bien-être. Les caractéristiques communes des stupéfiants capturant, c'est qu'ils suscitent des sensations agréables, mais dans le suivi, ces sensations seront supplantées en engendrant des symptômes de plus en plus désagréables et un état d'âme languissant. L'héroïne et les autres opiacés (composés chimiques présents normalement dans le cerveau tels que l'endorphine et l'encéphaline), en bloquant au niveau du système nerveux la sensation de douleur, déclenchent une sensation de jouissance incomparable. Cependant (puisque toute drogue à ses inconvénients), attaqué par la drogue, le cerveau s'adapte. Il se désensibilise au plaisir et l'addiction s'installe (d'où le manque en période de sevrage). Mais il est à noter, et la dépendance est moins risquée (quoique), que normalement, ces agents organiques sont suffisamment sécrétés lors des activités agréables, si nous faisons du sport ou l'amour (euphorie naturelle).

• E : Ça me fait penser à la C.

• M : C'est vrai que l'usage de cocaïne provoque aussi une euphorie immédiate, un sentiment de puissance intellectuelle et physique et une indifférence à la douleur et à la fatigue. Mais ces effets vont laisser place ensuite à un état dépressif et à une anxiété.

• E : Par contre j'en ai pas vu dans le magasin.

• M : C'est normal, Uttanka ne vend pas de chimiques, c'est bien pour ça que je viens ici, c'est le paradis du toxobio ! A titre personnel (mais ça n'engage que moi), je trouve que la cocaïne c'est de la merde (surtout le sale goût amer d'aspirine qui te coule sans arrêt dans la gorge). C'est vrai quoi, une pâte est obtenue en mélangeant des feuilles de coca avec un produit alcalin (le plus souvent du bicarbonate de sodium), un solvant organique (du kérosène par exemple) et de l'eau. Le mélange est agité et l'alcaloïde est extrait dans le solvant organique. L'utilisation d'un acide permet ensuite de séparer l'alcaloïde du kérosène qui est jeté. Une addition supplémentaire de bicarbonate permet d'obtenir une substance solide : c'est la pâte de coca. Cette pâte est mise à sécher. Chimiquement, cette pâte de coca est de la cocaïne base mais elle contient des résidus toxiques des produits chimiques qui ont servi à sa préparation. La cocaïne en elle-même est obtenue en dissolvant la pâte de coca dans de l'acide chlorhydrique et de l'eau. On ajoute un sel de potassium à ce mélange afin d'éliminer les impuretés. Enfin, on ajoute de l'ammoniaque ce qui provoque la précipitation du chlorhydrate de cocaïne qui peut être récupéré et séché puis conditionné en sachet de poudre blanche. Franchement, avec tous ces produits chimiques qu'on utilise aussi comme détergents pour l'entretien, ça ne donne pas envie de s'en mettre plein le pif.

• E : C'est vrai que toi c'est la nature avant tout.

• M : Ben ouais, mais il n'y a pas que ça contre la cocaïne. Excitant puissant, elle provoque une dépendance psychique importante. Il est difficile d'arrêter une consommation aiguë de cocaïne, tant la nécessité d'en reprendre est importante. Pour moi, c'est vraiment la drogue à ne pas prendre car elle te donne tellement une impression de puissance que tu peux te prendre pour une superstar et faire chier tout le monde avec des soi-disant idées fulgurantes et clairvoyantes. Et plus dur sera la chute car avec une moyenne de 20 minutes de défonce, il faut souvent se repoudrer le nez (ce qui détruit les narines au passage) sinon on redevient tristement normal. L'apaisement, même avec la consommation d'une autre substance, est très difficile car on veut absolument redevenir le leader qu'on croyait être alors que ce personnage n'est que temporairement et chimiquement créé par un cerveau trompé à l'insu de son « plein gré » (car avec la C on ne sait plus où est – et comment gérer – sa personnalité, la « molle » de tous les jours).

• E : Ça, pour avoir connue quelques nightclubers, je te confirme qu'ils se prenaient souvent pour plus grandioses, plus forts, plus beaux qu'ils n'étaient.

• M : Et surtout ils sont à fond ! Les enfants hyperactifs souffrent de trouble de l'attention et de la concentration : leur cerveau limbique (reptilien) est sur-actif et ils bougent dans tous les sens. Les gens qui prennent de la C sont souvent des personnes souffrant de l'attention et la drogue permet de se concentrer et de se calmer en même temps. La cocaïne empêche l'aspirateur à dopamine de les récupérer une fois qu'elles ont transmis leur message au neurotransmetteur suivant et qu'elles devraient être récupérées pour servir ailleurs. Les neurotransmetteurs sont donc alors surexcités. Par contre, dans le même registre mais en nettement plus soft, j'aime bien les feuilles de coca. Les légendes Incas rapportent que le dieu Soleil créa la coca pour étancher la soif, éteindre la faim et faire oublier la fatigue aux humains. Les Indiens aymaras, dont la civilisation s'est épanouie dans la région du lac Titicaca avant l'arrivée des Incas, lui ont donné le nom de khoka, qui signifie « l'arbre par excellence ». Pour l'Europe, il faut attendre 1863, quand un certain Angelo Mariani, chimiste corse, dépose les brevets de plusieurs produits de sa composition. Des pastilles à la coca, du thé à la coca et un vin aux extraits de coca, dont la réclame vante les propriétés tonifiantes et qui remporte un vif succès commercial. Le vin Mariani et son créateur deviennent bientôt célèbres dans toute l'Europe. Mais cette invention est vite éclipsée sur les marchés par une autre boisson. En 1886, un pharmacien américain d'Atlanta, John Smith Pemberton, s'inspire du vin Mariani pour concocter une potion stimulante à base de coca et de noix de cola (histoire de remplacer l'alcool, interdit en Arizona, par du sucre, qui rend autant accroc). En 1892, Asa Candler, un autre chimiste, rachète les droits et fonde la Coca-Cola Company. Une dizaine d'années plus tard, les scientifiques découvrent les dangers de la cocaïne, l'un des alcaloïdes de la feuille de coca. L'alcaloïde est alors retiré des feuilles de coca entrant dans la composition du Coca-Cola (décocaïnisée). Coca arrête la cocaïne en 1903, et la cocaïne est interdite en 1914.

• E : Si on m'avait dit que le coca contenait de la coke, je l'aurai pas cru.

• M : Et oui ma chère, il y a plein de choses que peu de gens savent. Mais l'Histoire est là pour se rappeler à nos bons souvenirs (les mauvais on y pense et puis on oublie – c'est la vie c'est la vie, après en avoir tiré les enseignements). Ainsi, même Sigmund (Freud), était un cocaïnomane patenté. C'est pour ça qu'il a eu tellement de clairvoyance quant à la nature humaine et sont attirance instinctive vers le sexe [même si du fait de sa toxicomanie il voyait le « mal » partout (notamment bien sûr le fameux complexe d'Œdipe où un bambin désire sexuellement son parent de sexe opposé : il peut y avoir de l'attirance pour l'autre, mais plutôt de la curiosité envers cet être différent dont il « faut » – sauf les homos, histoire de se simplifier la tâche – apprendre le mode de pensée et d'action)]. Pour dire, même Sherlock Holmes (donc l'auteur de ce personnage détective, Conan Doyle) était à fond de C et c'est entre autre grâce à ça qu'il était aussi perspicace, les sens toujours à l'affût et la réflexion en alerte (même si à force de trop en prendre, ça peut vite tourner dans le vide égocentrique).

• E : Et beh, avec tout ça, je me coucherai moins conne ce soir. Merci pour toutes ces lanternes en tout cas. Et ça c'est quoi, ces magnifiques fleurs, qu'ont-elles de toxantes (puisque c'est le cas j'imagine, sinon elles n'auraient pas leur place ici) ?

• M : Ah ça, on rentre dans le secteur des clefs de la perception, des hallucinogènes, des psychédéliques (qui ouvrent les portes de l'esprit) ! Ça ma belle c'est du Datura, autrement appelée « trompette des anges/du jugement/de la mort », « pomme poison », « herbe du diable », « grand carapate bâtard ».

• E: Mais qu'est ce que c'est encore que ce truc ?

• M : Attention, ça c'est du costaud ! Le datura est une substance hallucinogène naturelle issue d'une plante que l'on trouve sur tous les continents, sous des climats tempérés ou tropicaux. C'est une jolie plante, que l'on peut reconnaître en été et en automne à ses longues fleurs mauves ou blanches facilement identifiables. Elle produit un nombre important de graines qui contiennent le plus de principe actif (l'atropine, l'hyoscyamine et la scopolamine) mais tout le reste de la plante est toxique. Il y a donc de nombreux moyens de la prendre : on peut fumer les feuilles (c'est la méthode la moins risquée), faire un thé avec des graines et des feuilles ou manger les graines. Le datura a été largement utilisée et depuis fort longtemps dans les pratiques chamaniques, la sorcellerie (on pense que la sorcière sur son balai est une représentation du trip causé par le datura) et la quête de vision en Europe, en Asie, et parmi les tribus Amérindiennes. Une légende raconte que quand le Buddha prêchait, des gouttes de pluie tombaient du ciel sur des plants de datura. Le datura était également associé au culte de Shiva, le dieu indien lié aux aspects créateurs et destructeurs de l'univers. Il était consommé de plusieurs façons, en onguent enduit sur le corps pour les sorcières, fumée ou en décoction chez les Amérindiens. On suppose aussi que la lycanthropie, croyance selon laquelle un humain peut se transformer en loup (le loup-garou) viendrait de l'impression induite par le datura de se transformer en animal. Ses effets sont si puissants qu'à haute dose, la personne peut avoir l'impression que ses hallucinations sont réelles et ne plus savoir si elle est éveillée, endormie, dans le réel ou pas. Il y a tout d'abord les hallucinations auditives avec l'impression que des personnes ou des objets te parlent; ceux-là peuvent être présents, ou pas. Il y a ensuite les hallucinations visuelles très variées. Elles dépendent de beaucoup de facteurs mais on note en général des confusions au niveau des couleurs (le bleu paraît vert etc...), des visions d'animaux, de personnes ou d'objets absents, l'impression que des objets inanimés le deviennent (les murs parlent, les objets se déplacent sur leurs petites jambes etc...). Il existe aussi des hallucinations au niveau des sensations avec l'impression de voler, de ne pas ressentir la douleur, de voir son corps de l'extérieur, de devenir un animal etc... Enfin, les effets du datura se traduisent par un état important de confusion qui peut rendre la personne incapable de faire quoi que ce soit (certains rapportent avoir parlé à celui qui est dans le miroir et s'être énervé quand il s'est aperçu qu'il répétait les mêmes gestes).

• E : Beurk, ça donne pas envie ton truc.

• M : C'est sûr, ça calme bien, mais pour autant le datura était employé comme aphrodisiaque aux Indes, et des remèdes de datura existaient pour l'asthme mais furent interdits après que les gens commencèrent à les employer récréationnellement. Pour autant, le datura appartient aux solanacées, famille de plantes qui a une grande importance économique. En sont issus bon nombre de légumes et de fruits : pomme de terre, tomates, aubergines, piments et poivrons. Sont également issues de cette famille des cultures industrielles comme le tabac ou ornementales comme le pétunia. Beaucoup de plantes de cette familles sont riches en alcaloïdes et certaines sont très toxiques : belladone, morelle, mandragore, tabac et Salvia Divinorum (sauge divine) ; ces plantes étaient utilisées par les sorcières pour soigner au Moyen Age. La Salvia Divinorum contient un des hallucinogènes les plus efficaces connus : la salvinorine A. Cette plante, désignée sous le nom des « feuilles de prophétie », était très utilisée par les chamanes Amérindiens pour leur produire des visions. Tout est toujours une question de Respect de soi et de la drogue : son usage traditionnel était précédé d'une longue période de purification et de jeûne (ils n'étaient pas fous ces chamanes, ils voulaient continuer à prédire en restant « crédibles »). En effet, il y a un risque important d'overdose au datura car la marge entre une dose qui fait un effet et celle qui risque de provoquer un accident mortel est très faible. La méthode de consommation la moins risquée est de la fumer, viennent ensuite les infusions et recettes de cuisine diverses. Ces deux dernières sont beaucoup plus dangereuses et représentent un grand risque de dépression respiratoire puis d'arrêt cardiaque (overdose).

• E : Ça fait froid dans le dos ! Et le machin collé à la tige là-bas, c'est quoi ?

• M : C'est de l'ergot de seigle.

• E : Et ?

• M : C'est un champignon du groupe des ascomycètes, parasite du seigle (et d'autres céréales), contenant des alcaloïdes polycycliques, dont est tiré l'acide lysergique (duquel le LSD est un dérivé). Il fut autrefois responsable d'une maladie, l'ergotisme, appelée au Moyen Âge « Mal des ardents », liée à la présence d'ergot dans le seigle utilisé pour fabriquer le pain. Cette maladie, qui dura jusqu'au XVIIè siècle, se présentait sous forme d'hallucinations passagères, similaires à ce que provoque le LSD, et à une vasoconstriction artériolaire, suivie de la perte de sensibilité des extrémités des différents membres, comme les bouts des doigts. À cette époque, il était communément admis que ces personnes étaient des victimes de sorcellerie ou de démons. Saint Antoine était d'ailleurs le saint patron des ergotiques.

• E : Et tu prends ça toi ?

• M : Quelques fois oui, mais à dose très modérée. Pour info, l'ergot était parfois utilisé par les sages-femmes pour arrêter les hémorragies et faciliter certains accouchements. Le dernier incident majeur lié à l'ergot de seigle en France date d'août 1951, dans le village de Pont-Saint-Esprit (Gard), où la majorité des habitants auraient été atteints d'hallucinations, suite à l'absorption de pain contenant de la farine de seigle contaminée. Plusieurs personnes sont mortes d'accidents liés à leur hallucination. Pour ta gouverne, en médecine, les dérivés de l'ergot de seigle sont des molécules utilisées en particulier dans le traitement des crises de migraine. En 1938, Albert Hofmann est un jeune chercheur, féru de plantes médicinales et de champignons. Au sein des laboratoires suisses Sandoz (devenus Novartis) à Bâle, il travaille alors sur les alcaloïdes de l'ergot de seigle, dans le but de mettre au point un stimulant circulatoire et respiratoire. Mais les expériences tournent court. Cinq ans plus tard, le chimiste, saisi d'une « intuition particulière », reprend ses recherches. Le 16 avril 1943, alors qu'il manipule le puissant acide, la substance pénètre dans son sang. Albert Hofmann vit sans le savoir son premier « trip » (voyage). Pris d'une étrange sensation de vertige et d'ivresse, il est contraint de renter chez lui, cramponné à sa bicyclette, alors que la réalité se déforme. Puis il est assailli par de fantastiques images et couleurs. Trois jours après, c'est en toute conscience que le chercheur avale 250 microgrammes de LSD, une dose de cheval, passant cette fois-ci par des états tantôt « merveilleux », tantôt « terribles ».

• E : Mouais, d'un côté ça paraît sympa, mais de l'autre ça craint un max !

• M : Disons que ça peut craindre, si on ne se Respecte pas assez !!! Le LSD (Lyserg Säure Diäthylamid, diéthylamide de l'acide lysergique) est né, Hofman avait obtenu par transformation chimique de l'ergot de seigle la première synthèse du LSD, son enfant terrible, l'un des plus puissants hallucinogènes, et des moins nocifs. Jusqu'en 1966, date de son interdiction aux Etats-Unis, la substance passionne la communauté scientifique et médicale, puis s'empare de la génération hippie. Dans les années 1950, on la prescrit à certains psychotiques et alcooliques ou à des mourants. Donc tu vois bien que c'était utile ! Sandoz la commercialise pour le corps médical, sous le nom de Delysid. Cependant, les malades n'aimaient pas ces médicaments. Moins regardant, les hippies allaient directement acheter chez eux ! Mais le LSD attire aussi l'attention des militaires américains en 1953. Le Bureau des services stratégiques, l'ancêtre de la CIA, en achète un million de doses. Un plan d' « attaque lysergique » contre Cuba sera même envisagé. L'idée était de développer une arme opérationnelle pouvant produire des effets tels des troubles de la mémoire, un discrédit dû à des conduites aberrantes, des altérations du comportement sexuel, la délation, la suggestibilité et la dépendance. On avait testé le LSD mais ça rendait les soldats pacifiques et ce n'était pas ce qu'on leur demandait. Mais ce programme secret – le « MK-ULTRA » – fut finalement abandonné, les chercheurs qui y travaillaient ayant pris la fâcheuse habitude de consommer eux-mêmes du LSD... Dans les années 1960, alors que sa formule tombe dans le domaine public, le LSD sort des hôpitaux psychiatriques et des laboratoires. Les fabricants artisanaux fleurissent et la vague « psychédélique » déferle. Pendant ce temps, Albert Hofmann, toujours fidèle à Sandoz, poursuit ses recherches. A la tête du département pour les médecines naturelles, loin de l'euphorie hippie, il étudie les propriétés thérapeutiques des champignons magiques mexicains. Il continua de défendre le LSD, qui « ne crée pas d'accoutumance, n'altère pas la conscience et, pris dans des doses normales, n'est absolument pas toxique ». C'est la « plus efficace et précieuse aide pharmaceutique pour étudier la conscience humaine ». Une piste que nombres de scientifiques ont réexploré depuis. Pour info, le prix Nobel de médecine, celui qui découvrit le moyen d'amplifier l'ADN, indiqua que ce fut grâce à la prise de LSD qu'il eut cette vision pour comprendre comment démultiplier des fragments de ce code. Hofman fut aussi salué par le président de la Confédération helvétique comme un « grand explorateur de la conscience humaine ».

• E : Et comment ça marche au fait ?

• M : Le LSD pirate le système de communication du cerveau (qui passe le plus clair de son temps à discuter avec lui-même pour vérifier que tout va bien et réguler l'ensemble si besoin) ce qui provoque une altération des frontières de l'ego (comme le dit Descartes : cogito, ergo(t) sum : je pense, donc [ou comme] je suis). En plus, le glutamate libéré permet une accélération de la vitesse de communication et de la circulation d'informations, la personne se trouve ainsi turbo-boostée.

• E : Ah ouais ?

• M : Et oui, qui l'eut crû ! La sérotonine ainsi libérée provoque une hypersensibilité des sens tels que la vue (vision stéréoscopique multicolore), l'ouïe (on écoute – démarche active – des choses auxquelles normalement on ne prête jamais attention car on les entend – démarche passive – à peine), le touché (on peut palper les molécules du vide autant que vraiment rentrer en contact avec l'autre). On ressent un apaisement du corps et de l'esprit, on a un sentiment d'appartenance à son environnement et au cosmos : ce que l'on peut appeler une union mystique. Timothy Leary (1920-1996), auteur américain, psychologue, militant pour les drogues, est le plus célèbre partisan des avantages thérapeutiques et spirituels du LSD. Pendant les années 60, il a inventé et a popularisé le slogan « Turn on, Tune in, Drop out » (Branchez-vous, Soyez en Phase, Lâchez prise) [Timothy lui était carrément « wired » – attaché avec du fil barbelé ; cette maxime faisait référence a son expérimentation avec la fameuse molécule de la chanson des Beatles – eux aussi étaient « branchés »].

• E : Mais c'est qui ce gars ?

• M : Tu verras plus tard, là je ne te parle que des drogues et de leur consommation classique. Pour revenir au LSD, le côté négatif (car il y a toujours un revers à chaque médaille) est que l'on peut se sentir tellement dissous dans un grand tout, que l'on peut se morceler et devenir anxieux jusqu'à la folie. Avec l'éclat de l'ego, il peut y avoir une certaine perte d'autonomie et un décalage complet par rapport à la réalité. Il y a d'ailleurs une photo où l'on voit un chat perché au LSD, être blotti au fond d'une cage, effrayé qu'il est par une souris (tout comme peut l'être un éléphant, comme quoi la taille ne fait pas tout, voire même rien !). Ainsi, en 1966, l'acide (ou buvard, autres noms du LSD) était jugée plus dangereuse que la guerre du Vietnam (à juste titre vu les abus des hippies, cf. la chanson des Beatles Lucy in the Sky with Diamonds, allusion directe au LSD et au trip d'Alice au pays des merveilles, quand pour passer de l'autre côté du miroir elle mange des gâteaux et boit pour grandir, rétrécir, avoir le cou qui s'allonge).
• E : Tu m'étonnes, surtout qu'ils y allaient franco, eux aussi à coups de doses de cheval !

• M : Eh oui (triste soupir), trop de jeunes se sont abandonnés aux états modifiés de conscience, pour fuir la réalité morose ! (sanglot dans la voix)

• E : Tiens en parlant de tout ça, ça me fait penser que je n'ai pas vu de pilules !

• M : Normal puisque Uttanka, comme moi d'ailleurs, ne touche pas aux chimiques !!! Même si le safrole (huile de sassafras qui contient du safrole, un précurseur de l'extasie, classé sur la liste des produits stupéfiants, utilisé en aromathérapie pour ses propriétés relaxantes) et le baobab (autre précurseur des tata) sont bien naturels eux.

• E : D'accord, mais tu peux quand même me dire d'où est sortie cette drogue, vu que tu parles que de ça ici ?

• M : Même si je ne suis pas un fan de cette drogue, je vais t'en parler avec grand plaisir. Une substance, appelée MDMA (Méthylène Dioxy-Métamphétamine), dérivée de la molécule d'amphétamine, a été synthétisée pour la première fois en 1912 par des chimistes allemands de la firme Merck. Elle a été brevetée en 1914, même si on ne lui trouvait aucune utilité. Par contre, elle a été fournie comme produit stimulant et coupe-faim aux soldats de ce pays pendant la deuxième guerre mondiale. Il faut dire qu'à cette époque, les anglais, américains, allemands et japonais étaient tous à fond d'amphétamines (benzédrine) qui seront connus plus tard sous le nom de speed. Concernant les taz, c'était vraiment une contre-indication : l'ecstasy (mais perso je préfère dire extas{i}e car c'est bien de cela dont il s'agit) développe le sentiment d'empathie (capacité d'une personne qui peut ressentir les sentiments et les émotions d'une autre personne), d'euphorie et de bien-être avec les autres. La « pilule de l'Amour » (même si elle n'a jamais permis d'améliorer les capacités sexuelles, mais « seulement » les sensibilités) agit sur trois hormones du cerveau : la dopamine, la noradrénaline et la sérotonine. Ces hormones agissent normalement sur le centre du plaisir, sur le cycle de l'éveil et du sommeil, sur l'humeur, sur les émotions et sur les fonctions sexuelles. Toutes ces fonctions sont stimulées en même temps par le MDMA. Imagine l'état béat dans lequel se trouve la personne qui a consommé de l'extasie, tu vois bien que ce n'est pas très compatible avec la guerre, cette boucherie innommable !

• E : C'est clair que sur le front, ça devait être un sacré bordel avec des militaires tazés qui rêvaient plutôt de faire l'Amour que la guerre.

• M : Hihi, ils avaient même déjà inventé le slogan des hippies, des années avant eux ! C'est sûr que pour une pilule qui stimule l'humeur et la communication, s'appeler drogue pro-sociale en pleine guerre ça fait bizarre et décalé. Il n'empêche que par la suite, la CIA tenta de s'en servir comme d'un sérum de vérité (après l'opium et le LSD, ils auront tout essayé pour faire parler les rouges), sans succès. Par contre, son efficacité fut réelle dans la guerre du Vietnam, car l'extasie cible et détruit (comme le fameux search&destroy cher aux GI's au Vietnam) la peur. Par la suite, Alexander Shulgin (figure dans la communauté psychédélique, inculquant un sens de pensée scientifique raisonnable au monde de l'individu-expérimentation et de l'ingestion psychoactive) s'y intéresse dans les années 70, pour ses effets sur l'humeur. En effet, l'extasie augmente la présence de sérotonine dans les synapses (fosse où l'information passe d'un neurone à l'autre) en bloquant sa recapture. Dans une moindre mesure, elle augmente également celle de la dopamine. C'est un psychotrope possédant une composante stimulante, et dont un des effets est d'accélérer les battements cardiaques comme lors d'une forte excitation. Elle inhibe la crainte de l'autre et la peur de soi, et favorise ainsi le contact. Cette propriété l'indique pour le traitement du stress post-traumatique (comme après la guerre du Vietnam ou un viol) et elle fut donc utilisée en psychiatrie aux Etats-Unis, où elle a été rapidement retirée du marché en raison de ses effets secondaires indésirables et de la dépendance qu'elle engendrait. Mais le produit avait déjà gagné les campus universitaires et les clubs branchés.

• E : Y a des effets secondaires ? Parce que moi je croyais que c'était inoffensif, la preuve on appelle ça aussi des bonbons.

• M : Oui, beh justement, c'est loin d'en être ! En raison de son usage facile et de sa présentation « attractive », l'extasie bénéficie auprès de certains de la fausse réputation d'être inoffensive. Elle provoque tout d'abord une légère anxiété, une augmentation de la tension artérielle, une accélération du rythme cardiaque et la contraction des muscles de la mâchoire ; la peau devient moite, la bouche sèche. Suit une légère euphorie, une sensation de bien-être et de plaisir. Elle s'accompagne d'une relaxation, d'une exacerbation des sens et d'une impression de comprendre et d'accepter les autres. La dopamine (qui gère aussi le mouvement par la coordination motrice) active le noyau accumbens qui gère nos élans vitaux (sustentation – le boire et le manger ; sexe, motivation…) et le trompe pour qu'il décrète le bonheur. Mais prendre de l'extasie, qu'elle soit pure ou contienne d'autres produits, comporte de nombreux risques car les substances amphétaminiques et dérivées neutralisent certains mécanismes de défense naturelle et d'alerte de l'organisme. Elles entraînent une perte de la notion du temps, une suppression de la sensation de fatigue, de soif et de faim et de l'hyperthermie (élévation de la température du corps, les thermomètres étant débranchés). Ainsi, dans certains cas, la déshydratation et l'épuisement des danseurs ont entraîné leur mort ou des malaises soudains et intenses, proches de l'état comateux. Ceux qui ont fait usage d'extasie dans ces conditions éprouvent souvent des difficultés à « faire surface » avant plusieurs jours. Après avoir usé et abusé du robinet ouvert à dopamine, les lendemains sont moins enchanteurs. Les hormones du plaisir n'étant plus libérées en grande quantité par l'extasie, le corps subit un effet de sevrage de 24 à 72 heures (temps de restockage de dopamine/sérotonine : le blues du milieu de semaine) qui plonge la personne dans un état dépressif. En dépression suite à du stress, le thalamus et l'hypothalamus (qui gèrent l'anxiété, la peur, la faim) libère de l'ACTH qui est une des rares hormones à pouvoir se balader dans tout le corps et avertie la glande surrénale de produire du cortisol pour réguler l'état de stress. Ce système se régule au fur et à mesure, mais si le cortisol reste, la dépression s'installe. Le stress crée la perte des élans vitaux : le cerveau crée une partie du contrôle de la volonté et si il est trop stressé, on a plus envie de rien, plus goût à la vie ni au bonheur. De même, les consommateurs habituels peuvent être victimes de troubles du rythme cardiaque et d'hypertension. Mais les atteintes les plus graves et que l'on ne perçoit pas immédiatement, sont les possibles lésions des neurones cérébraux qui peuvent être irréversibles, ainsi que les crises d'anxiété, d'angoisse et les dépressions qui, pour les sujets prédisposés, peuvent être profondes et très longues à soigner. D'autant plus qu'après un certain nombre de prises, la lune de miel est finie (le verrou à dopamine est définitivement cassé et il ne peut plus y avoir de libération massive de cette substance, même en gobant à fond, ce qui détruit plus que cela ne défonce). On peut juste limiter les risques en prenant une pastille de vitamine C (ou du jus d'orange) avant et après la soirée, elle agira comme un enduit anti-oxydant (c'est un anti-radicaux libres qui protégera, un peu, les neurones lors des attaques).

• E : Mais pourquoi cette drogue rencontrait-elle un tel succès alors ? Il y a un truc caché là-dessous.

• M : C'est comme pour l'alcool ou la kétamine (anesthésique autant pour enfant et vieux que pour cheval, qui permet de se dissocier de son corps et de partir dans des rêveries absolues), mais je t'expliquerai plus tard, ça aidera à la montée des champis (si tu te sens prête et que moi aussi je te sens bien) et de tes souvenirs.

• E : D'accord, on verra ça. Mais avec tout ça, tu m'as pas encore parlé des champis, alors que c'est quand même ça qu'on est venu chercher.

• M : Mais j'y viens, puisque ça fait partie de la même famille des hallucinogènes (même si l'extasie n'est pas à proprement parler hallucinante, c'est plutôt un stimulant qui accélère l'activité du cerveau). Les champignons magiques étaient déjà consommés par les cultures d'Amérique Centrale vers -1000 et elles leurs consacraient des temples et des grottes. En Europe, les Mystères d'Eleusis (Grèce vers -1000 également) étaient un rite initiatique et de purification lié aux divinités de la Terre. Toute personne parlant le grec (donc même les étrangers) et n'étant pas un meurtrier impuni, pouvait se rendre (une seule fois, il ne faut pas abuser des bonnes choses) à Eleusis auprès de la grande prêtresse pour y boire une potion, vraisemblablement tirée des champignons (appelés « nourriture des dieux »). La personne y restait toute la nuit (pour des raisons de sécurité pour le voyageur intersidéral) et suite à la Vision (provoquée par la psilocybine, substance psychoactive), devenait un initié des grandes choses de la vie. Les portes de la perception venaient de s'ouvrir pour elle. En effet, psychédélique signifie « qui dévoile l'esprit ». Les champis auraient amenés les dieux (enthéogène), dans leurs bagages suite au voyage intersidéral offert à celui qui a pris. C'est sûrement la drogue la plus anciennement consommée car nos lointains ancêtres cueilleurs devaient tester chaque « plante » pour connaître son goût et son intérêt (gustatif voire médical, et ses dangers éventuels). Comme nombre de ramasseurs de champignons de nos jours, les humains de la préhistoire ont cueilli des spécimens qui tantôt les rendaient malades voire provoquaient la mort, tantôt les envoyaient dans d'autres perceptions de la réalité de leur esprit, corps et environnement. Par rapport aux drogues de pharmacie, c'est une drogue illégale.

• E : Ça a quelque chose à voir avec le peyotl ? Je me souviens de ce nom par rapport au groupe Lofofora !

• M : Oui, Lophophora williamsii est son nom scientifique. Le peyotl (petit cactus sans épine) est utilisé depuis des siècles dans des cérémonies religieuses, divinatoires ou thérapeutiques par les chamans des tribus d'Indiens du Mexique. Au début du XIXe siècle, cette pratique s'est étendue à des tribus des États-Unis (Apaches, Comanches, Kiowas, Navajos, etc.). Ces pratiques sont toujours en vigueur dans une cinquantaine de tribus différentes (Huichols, Coras, Tarahumaras) qui lui prête souvent une valeur enthéogène (communication avec les dieux). Il contient de nombreux alcaloïdes de type phényléthylamine, dont le plus notable est la mescaline. La complexité de sa composition permet d'expliquer les différences entre les effets du peyotl et ceux de la mescaline seule. Il est consommé soit chiqué (sniffé) soit ingéré. Il provoque de fortes nausées voir des vomissements lors de son ingestion (comme les opiacés la première fois). Les hallucinations surviennent généralement trois heures après l'ingestion et commencent par des flashs de couleur dans le champ de vision, puis se divisent en deux phases : une période de plénitude et d'hypersensibilité, suivi d'une période de calme et de grand relâchement musculaire.

• E : Et le canna alors, parce qu'il peut aussi rentrer dans cette catégorie !

• M : Le chanvre est certainement la plante psychotrope cultivée depuis le plus longtemps. En effet, déjà vers -10 000 (c'est-à-dire juste après que les glaces aient commencé à se retirer) les Chinois l'utilisaient. Cette plante a la particularité d'être utile en tout : rien ne se jette ! Ils mangeaient les graines pour se nourrir ou en faisaient de l'huile (peu grasse) ou de la farine, fabriquaient avec les tiges du papier, des filets de pêche, des cordes et des textiles. Le chanvre fut déclaré comme la première plante de guerre car on fabriquait auparavant les arcs en bambou, puis en chanvre car plus costaud. Ainsi, des terres impériales étaient cultivées exclusivement pour cette plante à usage militaire. Vers -2800, on découvrit que la plante pouvait également soigner, notamment pour redonner l'appétit et calmer certaines crises. Au IIIè siècle de l'autre ère, l'empereur romain Gallien poussa même à la consommation pour développer le bonheur et l'hilarité. Evidemment, en 484, le pape Innocent IV déclara le cannabis sacrilège car il s'agissait d'une drogue païenne (heureusement qu'il restait les sorcières pour ne pas se plier à ces règles et nous transmettre une part de ce savoir très ancien : ce qu'on appelle l'ésotérisme – Histoire officieuse – par opposition à l'exotérisme – Histoire officielle et dogmatique).

• E : Pff, c'est vrai que les chrétiens préféraient picoler le sang de Jésus (et pas que durant la messe) !

• M : Oui, pour autant la bible de Gutenberg fut imprimée sur du papier chanvre et Rabelais faisait prendre du cannabis (Pantagruélion, reine des plantes) à Pantagruel. Mais plus tard, le cannabis était nettement moins en vogue que les opiacés. Pour l'Occident en général et la France en particulier, le hachich était une découverte toute récente à cette époque (datant de l'expédition en Egypte conduite par Napoléon Bonaparte en 1798 : la consommation par les soldats fut interdite suite à une tentative d'assassinat du nabot Napo par un Egyptien). Les quelques amateurs, qui appartenaient aux couches sociales privilégiées (coût exorbitant de cette drogue, une dose de dawamesk représentant trois journées de travail d'un ouvrier), y recherchaient des sensations fortes (préparations agressives capables de produire des hallucinations), comparables à celles produites par l'opium, substance connue depuis des millénaires en raison de ses applications thérapeutiques (analgésique et sédatif, utilisé par les Babyloniens) et alors largement plus en vogue dans ces mêmes milieux.

• E : Dawamesk ? C'est quoi encore cette instrument de « toxure » ?

• M : Comme aujourd'hui, on peut fumer le haschisch mélangé à une pipe (la cigarette n'existant pas encore, le joint était inconnu) mais les vrais amateurs tendaient à considérer que les effets en étaient un peu trop faibles. Une méthode beaucoup plus efficace consistait à absorber la drogue sous forme liquide : si le thé au cannabis reste relativement modéré, le mélange de vin ou de bière au même produit est nettement plus virulent. On consommait également le hachich (selon l'orthographe de l'époque) sous forme solide, notamment en dragées parfumées au chocolat afin d'en améliorer le goût, unanimement jugé peu appétissant. Cependant, la façon la plus en vogue au XIXè siècle était de manger du cannabis sous forme de « dawamesk », terme arabe désignant une préparation venant du Moyen-Orient. On fait longuement bouillir, dans du beurre allongé d'eau, des fleurs fraîches de cannabis (réservons le terme de chanvre indien pour l'usage industrielle, ou en tout cas non-récréatif, de la plante) jusqu'à obtenir une bouillie bien épaisse que l'on passe dans un linge très fin pour en éliminer tous les débris végétaux, puis que l'on chauffe jusqu'à évaporation complète du liquide restant. Le résultat est une pâte verdâtre, sentant plutôt mauvais et au goût encore pire. On s'en servait donc pour confectionner une sorte de confiture largement parfumée à la vanille, à la pistache ou à la cannelle, mais également, exotisme oblige, à la rose ou au jasmin. Afin de corser le tout, les plus acharnés y ajoutaient un peu d'opium. Le dawamesk se prenait par doses servies dans une petite cuillère, allant de 15 à 30 grammes selon la puissance des effets recherchés. Au lieu de l'avaler directement, accompagnée ou non de biscuits, d'aucuns préféraient diluer leur confiture (la « pâture » selon le terme usité par le Club des Hachichins) dans une tasse de café brûlant afin d'en accroître encore la force. Toutefois, les avis divergeaient sur l'efficacité d'un tel mélange : ce n'étaient que des considérations empiriques car son principe actif, le THC (TétraHydroCannabinol), n'était pas encore connu car seulement isolé à la fin du XIXè siècle.

• E : Ah ouais, ils n'y allaient pas avec le dos de la cuillère.

• M : C'est le cas de le dire, ils prenaient même plutôt des cuillères à soupe, voire des louches.

• E : Et le Club des Hachichins c'est la jet-set des toxoplasmes ? Ça sort d'où ?

• M : Ce nom, choisi par les participants aux expériences psychédéliques, vient de l'arabe « hachchâhi » signifiant buveur de haschisch mais se réfère surtout à la célèbre secte ismaélienne qui terrorisa le Proche-Orient au Moyen-Âge pendant près de trois siècles, au point de nous avoir donné notre mot assassin. Dirigés par un chef mystérieux, retranché dans une forteresse imprenable des monts de l'Iran du Nord et surnommé le Vieux de la Montagne, les membres de la secte lui devaient une obéissance absolue, plus fondée sur un fanatisme religieux exacerbé (avec promesse de 70 vierges qui les attendaient au Paradis) que sur la consommation de haschisch à laquelle ils doivent leur nom. Les Assassins sévirent de 1090 à 1256 de l'autre ère, avec comme spécialité le meurtre politique, toujours pratiqué de manière spectaculaire, tel au poignard et en public. Leurs lointains descendants parisiens étaient nettement plus pacifiques mais ils se sentaient comme appartenant eux aussi à une élite, sorte de secte de la sensibilité et de l'intelligence d'apprécier les vertus hallucinogène de leur drogue favorite. Ainsi, loin de tout prosélytisme (prospection commerciale), ils ne recrutaient que par cooptation (entres potes), sans toutefois éprouver le besoin de se cacher le moins du monde.

• E : Tu me fais halluciner. Tout ça, c'est pas des trucs que tu apprends à l'école, même si je ne me souviens plus de ce que j'ai pu y apprendre, mais moi j'ai l'excuse d'être amnésique. Et ça marchait comment ce club, juste pour info, histoire de savoir ?

• M : Depuis 1837, un médecin aliéniste (qui soigne les aliénés, les « fous ») exerçant à l'hôpital Bicêtre (établissement des environs de Paris, accueillant les malades mentaux de la capitale), Joseph Moreau de Tours, étudiait les effets du haschisch. Ce dernier constituait pour le médecin, « grâce à l'action que cette substance exerce sur les facultés morales, un moyen puissant, unique, d'exploration en matière de pathologie mentale ; par elle, on devrait pouvoir remonter à la source cachée de ces désordres si nombreux, si étranges qu'on désigne sous le nom de folie ». Pour conduire ses recherches, non seulement Moreau de Tours absorbe lui-même du dawamesk (et pas uniquement par dévouement pour la science) pour en ressentir les effets, mais il demande à certains de ses amis de faire de même au cours de séances de dégustation organisées chez lui. Parmi ces cobayes se trouve Théophile Gautier (poète, chef de file des romantiques) qui est un observateur précieux, capable de décrire précisément son expérience de la drogue. Ces séances au domicile du docteur amateur de haschisch (sous sa version la plus forte) préfigurent les réunions n'ayant plus aucune prétention scientifique de l'hôtel Pimodan : c'est la naissance du Club des Hachichins. Eugène Delacroix, Gérard de Nerval, Balzac et Baudelaire (uniquement observateurs, du moins dans ce club-ci, il en prenait déjà suffisamment pour son compte ailleurs) fréquentaient ce lieu, tout comme le Tout Paris des arts et des lettres.

• E : Ce Théophile Gautier devait être bien perché avec toutes ces expériences « médicales ».

• M : Même pas ! Mais tu sais, le cerveau a un système cannabinoïde endogène (interne), qui est plus important que d'autres neurotransmetteurs ! Ce système est crée à partir de la graisse périphérique des neurones et joue sur le cervelet (mouvements), le tronc cérébral (coordination), les réflexes, la mémoire, l'anxiété. Le cannabis active le système cannabinoïde interne ce qui provoque un développement des sens. Le cannabis est bon contre l'anxiété et la dépression (à petite dose en tout cas, qui l'eut cru) car il bloque les anadanïdes (stimulants positivistes), qui agissent donc plus longtemps. Pour en revenir à lui, au bout d'environ un an, Théophile Gautier cessa soudain de se rendre aux soirées du Club, renonçant définitivement au dawamesk. S'en expliquant à la fin de sa vie, il précisera que cette décision ne fut pas provoquée par la peur des conséquences pour sa santé de l'usage de ce qu'il qualifie toujours de « drogue enivrante » mais pour une raison plus intellectuelle : « Le vrai littérateur n'a besoin que de ses rêves naturels et il n'aime pas que sa pensée subisse l'influence d'un agent quelconque ». Cela n'empêchera pas l'écrivain de continuer à prendre des drogues : haschisch sous des formes aux effets moins hallucinogènes, mais surtout de l'opium. Il connut d'ailleurs l'opium bien avant le hachich : huit ans avant d'écrire le Club des Hachichins et cinq ans avant Le Hachich, était paru La Pipe d'Opium.

• E : Mouais, c'est sûr, tout ce que tu me dis depuis tout à l'heure, c'est une toute autre façon de concevoir les drogues. Mais si ça a été interdit, c'est bien pour une raison de santé publique.

• M : Mais tu sais, les pires drogues étaient légales même si elles étaient notoirement mortelles, suffit de voir le tabac et l'alcool ! C'est en ça que l'état est par nature illogique puisqu'il favorise son propre intérêt (taxes) à l'intérêt général (santé). Pourtant, les scientifiques considèrent que l'éthanol est une drogue sale car elle modifie la structure même du cerveau et peut sérieusement détruire des aires fonctionnelles entières, d'autant plus que cette drogue reste ancrée dans notre culture et à ce titre promut. Après la cigarette qui n'est qu'un support pour fournir de la nicotine (dont les effets sont amplifiés par adjonction d'ammoniaque et autres saloperies chimiques) qui rend accroc (suffit de voir la queue des nicotoxs le dimanche devant les rares bureaux de tabac ouverts, qui enfilent vite un jogging et brise le farniente dominical juste pour s'acheter leur dose), la plus mortelle des drogues est l'alcool ! Directement (cirrhose du foie, troubles divers) ou indirectement (accidents, violence), la drogue liquide tue des dizaines de milliers de personne rien qu'en France (le pays des dealers embouteilleurs). Et depuis des millénaires, les plaisirs et la joie de l'ivresse se confondent avec les douleurs et agressivité de l'ivrognerie !

• E : C'est bien pour ça que comme tout bon musulman je ne picole pas. Mais, je me suis toujours demandée comment l'alcool avait été découvert ?


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