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Simenon ; un écrivain hors du commun (5)

Publié le 14 juillet 2009 par Mazet

L'Amérique

La période de l'Occupation n'a pas arrangé les rapports de l'écrivain avec son éditeur. Gaston Gallimard a certes réussi à publier les romans de Simenon durant ces années sombres, mais les ventes ne sont pas à la hauteur des espérances des deux hommes : leurs relations s'en trouvent perturbées, chacun rejetant la responsabilité sur l'autre. Avant de quitter la France, il convient donc de régler ce problème d'éditeur. Le choix de Simenon se porte alors vers un débutant, d'origine danoise, fils et petit-fils de libraire. Il s'agit de Sven Nielsen, à peine plus âgé que le romancier, et les deux hommes vont trouver rapidement un terrain d'entente. Le premier contrat est signé en juillet 1945 avec les toutes nouvelles Presses de la Cité, évinçant ainsi la maison Gallimard. Désormais, il peut partir.

C'est sur l'Amérique que Simenon a jeté son dévolu. Le 5 octobre 1945, après avoir attendu quelques semaines à Londres, il fait avec Tigy et Marc son entrée dans le port de New York. Une nouvelle vie va commencer alors qu'il a un peu plus de 42 ans. Il souhaite en effet tirer un trait définitif sur ces dernières années, mais ignore encore qu'une rencontre va bouleverser sa vie. A peine un mois après son arrivée en Amérique, alors qu'il a installé sa famille dans un village du Québec, il cherche une secrétaire bilingue, ce qui lui paraît indispensable dans ce pays. La rencontre avec Denyse Ouimet, une jeune femme qu'un de ses amis lui a recommandée, a lieu à New York et sera vraiment déterminante pour Simenon. Cette jolie Canadienne française de 25 ans sera sa maîtresse dès le premier soir de leur rencontre, dans des conditions qu'il racontera dans son roman Trois Chambres à Manhattan.

"Demain ils ne seraient plus seuls, ils ne seraient plus jamais seuls, et quand elle eut soudain un frisson, quand il sentit, presque en même temps, comme une vieille angoisse oubliée au fond de la gorge, ils comprirent tous les deux qu'ils venaient, au même instant, sans le vouloir, de jeter un dernier regard sur leur ancienne solitude.
Et tous les deux se demandaient comment ils avaient pu la vivre.
Il n'y aurait plus de chambre à Manhattan. Il n'en était plus besoin. Ils pouvaient aller n'importe où désormais, et plus besoin n'était non plus d'un disque dans un petit bar ..."

  Georges Simenon
  Trois Chambres à Manhattan

Les années américaines vont donc être celles d'un certain bonheur pour le romancier. La secrétaire va prendre très vite une place de plus en plus importante dans la vie professionnelle et sentimentale de l'écrivain. Entretemps Simenon, qui a de nouveau la bougeotte, s'installe dans le Nouveau-Brunswick, puis voyage à travers les Etats-Unis. Denyse fait bien sûr partie du convoi (il y a en effet deux véhicules pour transporter l'épouse encore légitime, la secrétaire, Marc et... son institutrice !). Après cette errance, Simenon pense pouvoir se fixer en Arizona, ce pays qu'il aime pour sa lumière, son climat et son style de vie. Malgré l'attrait incontestable de Tucson ou de la petite ville de Tumacacori, près de la frontière mexicaine, il ne parvient pas vraiment à s'intégrer dans ce décor qui le change peut-être un peu trop de sa Belgique natale... Son activité littéraire est importante et de grands romans dont certains d'inspiration américaine verront le jour. Il ne néglige pas non plus la littérature alimentaire en relançant, avec Maigret se fâche ou Maigret à New York, les aventures du célèbre commissaire qu'il avait mis à la retraite prématurément !

Comme pour marquer cette nouvelle étape d'une vie, le romancier décide de changer de domicile une fois de plus. Un peu par hasard, il échoue dans une région qui fait vraiment contraste avec le sud : la Nouvelle-Angleterre réputée pour ses lacs et ses forêts et qui rappelle la vieille Europe. Lakeville, petite ville du Connecticut, séduit immédiatement cet homme qui recherche toujours la sécurité. La maison idéale, si souvent convoitée, il l'a trouvée tout de suite avec " Shadow Rock Farm " qu'il va acheter presque sur-le-champ. Au bord du lac, à la lisière de la forêt, le lieu ne manque pas de charme, d'autant qu'il se révèle confortable et pratique. Simenon s'installe donc à Lakeville avec le bébé John et Denyse, sans oublier l'indispensable Boule qui a fini par rejoindre le couple, ou plutôt le trio. En effet Tigy, qui s'occupe de Marc, habite dans une petite maison du village voisin : cela fait partie des conventions exigées lors du divorce. Elle s'accommode assez mal de ce mode de vie, selon le témoignage recueilli par Fenton Bresler : " Non, ces années à Lakeville ne furent pas pour moi celles d'un temps heureux ".

Le bonheur de Simenon, réel lorsqu'il s'installe dans le Connecticut, est pourtant éphémère car Denyse prétend s'occuper de tout : elle règne sur la cuisine, dirige le secrétariat, devient le manager du romancier. L'entreprise Simenon fonctionne à plein rendement. Les romans se suivent à un rythme impressionnant, aussitôt publiés par les Presses de la Cité, puis traduits dans le monde entier grâce à des contrats régulièrement actualisés. Il n'oublie pas non plus le cinéma qui lui apporte toujours des revenus complémentaires loin d'être négligeables.


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