Magazine Journal intime

pour un été studieux, ESSLLI 2009

Publié le 23 juillet 2009 par Alainlecomte

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Ainsi pendant quinze jours d’été encore, a lieu ESSLLI … la « European Summer School of Logic, Language, Information », et cette année à Bordeaux, du 20 au 31 juillet, place

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de la Victoire, là où se trouve l’entrée de cette université dotée du beau nom de Victor Segalen (personne n’y fait attention, là où les autres université se nomment Montaigne ou Montesquieu, pourtant, Segalen, quel art, quelle grâce de poète, quel talent de voyageur… )

ESSLLI est la plus grande école d’été au monde dans les domaines conjoints de la logique, de l’informatique fondamentale et de la linguistique. Elle en est à sa vingt et unième édition (après une naissance en 1989 aux Pays-Bas et une histoire qui l’a fait se dérouler tour à tour dans de nombreux pays d’Europe, de Belgique en Italie, de France au Danemark, de Finlande en Espagne etc.).
Les plus grands chercheurs de ces domaines viennent chaque année dispenser une partie de leur savoir à des étudiants, à de jeunes chercheurs ou chercheuses ainsi qu’à des collègues eux-mêmes confirmés qui prennent allègrement de leur temps de vacances pour continuer à se former. Ces enseignants – mathématiciens, informaticiens, linguistes, philosophes, cogniticiens – venus du monde entier ne touchent eux-mêmes aucun salaire pour cette activité : c’est la passion de la recherche et du partage du savoir qui les unit.

Une telle ferveur, cela suppose évidemment l’existence d’un champ d’investigation qui passionne, même si cela peut sembler mystérieux aux yeux du grand public. Qu’ont en effet à faire ensemble toutes ces disciplines, en quoi par exemple la linguistique, c’est-à-dire l’étude systématique des propriétés des langues humaines, a-t-elle à voir avec la façon dont fonctionnent nos ordinateurs ? Et la logique, en principe simple étude du raisonnement, que vient-elle faire dans ce panorama ? Les éminents théoriciens qui planchent devant plus de 500 étudiants venus des quatre coins de la planète répondraient que la familiarité avec la logique est une condition sine qua non de la compréhension des processus complexes qui se produisent dans nos machines. Ecrire un programme après tout, c’est comme écrire la preuve d’un théorème. Et l’exécuter, c’est comme transformer cette preuve jusqu’à obtenir des formes plus simples. Ce voisinage de l’informatique et de la logique existe depuis les travaux originaux de ce génie que fut Alan Turing (dont la mort fut encore plus romantique que la vie puisqu’on présume qu’il s’est suicidé en croquant dans une pomme empoisonnée, image depuis popularisée dans le logo d’Apple) et se poursuit de nos jours avec encore plus d’importance à l’âge d’Internet. D’ailleurs, on notera cette année un accent particulier mis sur le traitement des problèmes délicats posés par l’extension des réseaux sociaux : ce ne sont plus tellement nos machines particulières qui demandent explications, mais une trame gigantesque de machines interconnectées dans le monde. La logique donne des outils pour démêler ces brins d’un gigantesque tissage qui risquerait sans elle de ne pouvoir être maîtrisé. Et le langage ? Il est le pivot, bien entendu, de toutes les communications. Avant que nous en soyons à échanger nos messages sur le web, la langue nous avait servi depuis longtemps à mettre en place des réseaux qui, pour primitifs qu’ils paraissent aujourd’hui, n’en étaient pas moins efficaces, ayant suffit aux besoins de l’humanité depuis son apparition sur Terre… Si l’informatique théorique peut renouveler le regard posé sur le langage c’est parce qu’en traitant avec rigueur les échanges d’information au sein de systèmes artificiels, on est arrivé à avoir des idées sur la manière dont s’effectuent ces échanges dans des systèmes naturels. Ainsi arrive-t-on à concevoir ce qu’il y a de commun entre toutes les langues, au-delà de leur apparente extrême diversité. Le linguiste américain Noam Chomsky a même fait l’hypothèse de l’existence d’une partie abstraite commune à toutes les langues, complétée simplement par des sortes de réglages particuliers qui conduisent à parler le Basque plutôt que le Swahili par exemple. Cette idée fondamentale est reprise de multiples façons par des chercheurs qui proposent des modèles mathématiques pour en rendre compte. Ces modèles sont supposés s’appliquer à toutes les langues et visent à découvrir des propriétés insoupçonnées. Ne seriez-vous pas par exemple surpris d’apprendre que dans toutes les langues, si l’on classe les expressions d’après leur longueur, la différence entre deux expressions consécutives ne peut pas être arbitrairement grande ? ou bien que pour être plus aisément « apprenable », la grammaire d’une langue a besoin de contraintes particulières ? Que les « règles » de nos grammaires ne sont donc pas des bizarreries ennuyeuses que l’on apprend dans la douleur, mais au contraire des régularités et des contraintes qui nous facilitent l’apprentissage ? Ces recherches débouchent évidemment sur des applications : traduction automatique, amélioration des moteurs de recherche sur le web (le fameux « web sémantique »), meilleure maîtrise de la gestion des réseaux, voire même meilleure compréhension des interactions socio-économiques (appréciable surtout en période de « crise » !)  etc.
Ceci n’est pourtant pas directement l’objet de cette école d’été qui vise avant tout au développement de la recherche fondamentale. Autrement dit, à une recherche théorique qui, si l’on en croit le succès des vingt précédentes éditions comme de la dernière de cette année… attire encore beaucoup de jeunes chercheurs et chercheuses enthousiastes, malgré la mauvaise presse que nos gouvernants font à la recherche fondamentale un peu partout dans le monde…

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Bordeaux


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