Magazine Journal intime

Extraits de roman, III : Zorn

Publié le 09 août 2009 par Alainlecomte

mars-zorn.1249805369.jpgLisant Dazaï et son « J’ai vécu une vie remplie de honte », on ne peut pas ne pas penser à cet autre écrivain, lui aussi issu d’une riche famille, mais suisse celui-là, je veux parler de Fritz Zorn , et de son fameux « Mars », qui fit beaucoup de remous lors de sa parution en 1979 (en France ; il était paru déjà en Allemagne en 1977). Ce roman commençait par :

Je suis jeune et riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul.

Il continuait par :

Je descends d’une des meilleures familles de la rive droite du lac de Zürich, qu’on appelle la Rive dorée. J’ai eu une éducation bourgeoise et j’ai été sage toute ma vie. Ma famille est passablement dégénérée, c’est pourquoi j’ai sans doute une lourde hérédité et je suis abimé par mon milieu. Naturellement, j’ai aussi le cancer, ce qui va de soi si l’on en juge par ce que je viens de dire. […] La chose la plus intelligente que j’aie jamais faite, c’est d’attraper le cancer. Je ne veux pas prétendre ainsi que le cancer soit une maladie qui vous apporte beaucoup de joie. Cependant, du fait que la joie n’est pas une des principales caractéristiques de ma vie, une comparaison attentive m’amène à conclure que, depuis que je suis malade, je vais beaucoup mieux qu’autrefois, avant de tomber malade.

Dazaï – Zorn, Japon – Suisse, on peut s’étonner d’un tel rapprochement. Pourtant, il ne paraît pas complètement absurde, c’est une des choses qui m’ont frappé lors de ce court voyage récent au Japon. Le sens de l’ordre bien entendu, aussicelui du travail bien fait, cela saute aux yeux. Comme si la rigueur protestante des uns répondait au sens de l’honneur des autres. Mais il y a aussi des détails, comme cette attention portée à l’économie domestique, à l’art et la manière d’optimiser ses ressources. Les deux peuples sont pour leur majorité issus d’un monde rural où l’on a vécu chichement avant de connaître un confort relatif. Et puis, plus drôle : ce que L. D. nomme la « ferroviarité » du Japon, et qui est un autre apanage de la Suisse. Les trains robustes et confortables sont omniprésents, et partent et arrivent à l’heure. Prends en de la graine, SNCF, et encore plus… RATP !

Mais revenons à Zorn, de son vrai nom… Angst ( !), ce qui veut dire Angoisse en allemand. Son roman eut un énorme retentissement (le magazine Lire lui décerna le titre de meilleur livre de l’année en 1979). Probablement beaucoup de jeunes « aisés », et pas seulement Suisses, se retrouvaient dans ce cri de détresse. Ils identifiaient cette famille étouffante, pleine de conventions et de préjugés, comme la leur. Une expression typique était pointée comme revenant souvent dans les conversations en cercle clos à l’abri des murs cossus des villas bourgeoises : « cela n’est pas comparable », dit à propos de tout et de n’importe quoi et ce d’autant plus qu’il y a comparaison possible. Ainsi cela allait de soi « qu’il était impossible de comparer la justice espagnole à la justice russe pour la bonne raison que les Russes étaient des communistes et c’était d’ailleurs pour cela que c’était mal de leur part de massacrer leurs compatriotes ; mais le gouvernement espagnol, lui, était contre les communistes, c’est pourquoi ce n’était pas mal à lui de persécuter ses compatriotes ».
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On a bien sûr vu dans Mars une métaphore du mal dont nous souffrons tous à plus ou moins d’égards, au sein d’une société qui étouffe en imposant ses choix, ou bien encore une leçon d’exemplarité en face de ce qui devrait nous faire peur avant toute chose. Un metteur en scène belge, Denis Laujol, écrit d’ailleurs ceci en commentaire de son travail réalisé dans un théâtre bruxellois en 2009 :

J’ai découvert Mars en juin 2002, interprété par Jean-Quentin Châtelain, au Centre Culturel Suisse, à Paris. Depuis lors, l’envie de monter ce texte ne m’a pas quittée. Ce qui m’a frappé tout d’abord, c’est l’actualité du propos ; même si Zorn se refuse à écrire un traité politique, son texte résonnait comme une réponse cinglante à l’air du temps. En cette période de trouille généralisée, post-11 septembre, juste après des élections qui avaient vu l’extrême- droite au second tour en France, on ne parlait plus que d’insécurité, de retour à l’ordre moral, de repli sur des valeurs tout à fait bourgeoises, même si le mot n’est plus à la mode ; on ne peut pas vraiment dire que la situation ait aujourd’hui beaucoup évolué…

C’est de cet aspect politique, sociétal, du texte qu’est venue ma première idée de mise en scène. Et si, pour souligner le fait que Zorn est atteint du mal dont tout le monde souffre plus ou moins dans notre société actuelle, sa parole était portée non par un seul acteur, mais comme chez les Grecs, lorsque le théâtre servait à débattre des problèmes de la cité, par un chœur, dans un rapport très simple et très frontal au public, en évacuant toute incarnation, naturalisme et pathos ?

Denis Laujol (Théâtre Océan Nord, Bruxelles)


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