Magazine Journal intime

Roman d'été - Humeurs (1)

Publié le 13 août 2009 par Audine

Vous êtes tous les mêmes.

Vous avez soif d’éternité et dès le premier baiser vous êtes verts d’épouvante

parce que vous sentez obscurément que cela ne pourra pas durer.

Jean Anouilh

Cigognes 1.jpg

Ca n’est quand même pas tant une saison paradisiaque que ça.

Tous les insectes du monde se donnent rendez vous, les papillons de nuit et mites alimentaires, les moucherons ivres et les moustiques femelles, les punaises des bois expatriées, les grillons noctambules et les sauterelles suicidaires.

Et hop, j’idolâtre tellement la lumière que je me plonge dans l’halogène, et ça fait des gros pchhtt et ça fait des gros pchhtt.

Sans parler des chauves souris surmenées qui passent en rase motte dans une chasse hystérique.

On passe son temps à agiter la main mollement, à se taper sur le mollet, à envisager le masque de plongée en vélo, et à prendre un air aussi zen qu’un vieux cheval sur le retour d’existence, abonné aux vicissitudes de la vie en général et aux mouches en particulier.

Avec la chance que j’ai, je peux tomber sur une chauve souris en panne de radar, aussi.

Un été, je fréquentais un Homme qui tous les matins, faisait devant les clips musicaux, une heure de gymnastique, puis 30 à 40 kilomètres en vélo avant d’aller au bureau.

J’avais une espèce de fascination pour cette discipline et cette énergie, un peu comme le singe devant le monolithe de 2001 l’Odyssée de l’Espace, c'est-à-dire complètement hermétique, en même temps que désirante.

Sachant que c’était bien et sachant que ça me dépassait.

Ceci dit, ça ne l’empêchait pas de s’énerver au quart de tour dès qu’un autre mâle se pointait dans les parages pour faire mine de le doubler.

Cet Homme ne supportait pas d’être doublé.

A vélo, il se mettait à pédaler furieusement. C’est la seule personne que j’ai connue qui a cassé un vélo. En deux.

Depuis il a un casque.

En voiture, une fois, nous nous sommes retrouvés au milieu d’un énorme rond-point très circulant, pour éviter la voiture sur la droite, qui avait juste l’air de vouloir nous doubler, mais en allant assez tout droit.

Ca fait bizarre de se retrouver au milieu d’un rond point très passant en voiture, je peux vous le dire, et c’est très difficile d’en sortir avec décontraction.

Tout cela refroidissait peu à peu ma fascination monolithique.

J’habitais alors dans appartement qui était entouré d’un balcon terrasse d’où on pouvait voir Palavas et la mer par temps hors brume.

Mais il n’était pas question d’y déjeuner à cause des guêpes, bien sûr.

Un jour que nous préparions des artichauts, l’Homme et moi – c’était notre période artichauts – il a trouvé sur une chaise du balcon une chauve souris morte, calcinée, desséchée, abandonnée là comme un présage noir.

Il avait l’air très choqué, dégoûté, il a saisi la bête je ne sais plus comment pour la jeter par-dessus le balcon. Puis il m’a soutenu que ça devait être un voisin ou une voisine qui m’avait jeté un mauvais sort.

Comme nous étions au cinquième et dernier étage, je ne voyais pas comment un voisin pouvait m’en vouloir au point de me balancer d’en dessous, une chauve souris morte, sans compter le mystère de sa calcination et le fait qu’il fallait tout de même pas mal de dextérité.

A ma connaissance, je n’avais rien fait aux voisins.

Toujours est il qu’après ça, il ne m’a plus considérée comme avant, avec autant de désir je veux dire, ce qui a mis fin à notre relation d’amants, ainsi qu’à nos agapes d’artichauts.

La chaleur s’abat sur tout être humain qui s’aventure dehors, du coup il ramollit et devient une imitation interne de Chamallow, se retrouve en quelques secondes luisant de toutes les pores de sa peau, faisant resurgir une acné qu’on aurait pu croire passée depuis belle lurette.

Sans parler de ceux qui veulent tout de même qu’on leur fasse la bise.

Heureusement, les risques de grippe cochonne limitent les effusions.

Les gens perdent le sens du quant à soi avec celui de la dignité vestimentaire.

Il fait chaud hein qu’ils disent, en exhibant des mollets poilus, des fronts humides, des aisselles suspectes, des pieds poisseux dans des tongs avachies, des soutiens gorges dépassant des débardeurs, des bermudas flottants, aussi sexys que Robert Bidochon et Mireille Mathieu réunis.

Faudrait prendre des couleurs, qu’ils disent, alors que leurs coups de soleil irradient encore d’UVA et d’UVB, alors qu’ils pointent d’un regard critique ma peau claire, alors qu’ils pèlent déjà et exhalent la crème solaire bon marché.

Ah mais non, le soleil, c’est cancérogène, je glisse perfidement pour jeter un blanc, juste histoire de refroidir l’atmosphère.

Parfois aussi je dis, le soleil est un CMR, cancérogène mutagène reprotoxique, mais pour ceux qui comprennent l’acronymie, sinon, ça perd de son charme.

Les cigognes ne repartent plus, provoquant des foules touristiques bêtifiant le nez en l’air, puis sur la télé, qui montre le film pris par la caméra placée sur leur nid, juché sur le sommet d’un poteau, On Voit Les Bébés.

Les mouettes ont envahi le quartier.

Ils ont changé la décharge de place, c’est pour ça, m’a dit une amie artiste, artiste au point de ne pas réfléchir à la rationalité, mais j’ai opiné sans chercher à comprendre – la décharge ? – mettant cette déclaration sur le compte de la longue liste de ses croyances, avec le boycott du gluten, le pain Epeautre, et les tu devrais aller voir quelqu’un – pour maigrir, pour dormir, pour vivre – et aussi, l’Argent Ne Fait Pas le Bonheur.

Les mouettes arrivent en s’engueulant, elles crient comme des mégères shootées au Red Bull, elles hurlent, peut être elles se demandent où est passée la décharge, va savoir.

Parfois leurs cris perçants réveillent la nuit, quand on est parvenu à s’endormir enfin, sur la moiteur du matelas, reniant les couettes, les chaussettes et les pyjamas jusqu’à la fin des temps, reniant même le drap roulé en boule au pied du lit, le nez bouché par la sécheresse, la bouche amère, on s’éveille en sursaut mais qu’est ce qui se passe, ah oui, ce sont elles.

Voilà l’état de l’été.

J’avais des préoccupations, je voulais tout traduire en logarithmes ou en exponentielles, je voulais trouver un esprit frère, je voulais déterminer ce que je ferai avant ma mort – par exemple, si j’achète cette valise, peut être ça sera la dernière jusqu’à ma mort – je voulais séparer le virtuel de la Réalité, mais vraiment.

Et puis, je les ai rencontrés.

Tous les deux.


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