On en était au moment où je disais qu'après quelques mois de fréquentation virtuelle quotidienne, nous
n'avons pas tardé à faire des projets. D'abord virtuels: "Tu te verrais changer de région? Déménager? Changer de vie?"
F. était donc de 8 ans mon cadet, brun, mignon (!), sportif handisport, il aimait les animaux, la zic (il chantait bien), l'artisanat, était
doué tant pour le beau que pour le technique, un vrai g
Géo trouvetout!... Sa vie, pourtant, ne semblait guère trépidante... Un handi qui a grandi en centre spécialisé, ne rentrant que le week end... Adulte, il n'avait jamais vraiment travaillé et
vivait de l'AAH (allocation adulte handicapé). Moi, prof de lycée polyvalent, intello mais pas sectaire, active, engagée, n'ayant pas froid aux yeux malgré mon handicap acquis récemment et
m'épanouissant dans ma carrière. En rééducation, on me disait souvent qu'on met environ 5 ans pour s'adapter au
handicap et au fauteuil, dans la tête: une fois passés les caps de la peur, du désespoir, de l'envie de se faire hara-kiri, on commence à vivre...
F. avait un handicap stabilisé, mais moi... Je lui ai donc tout dit de ma sclérose en
plaques atypique, des risques d'aggravation, lui ai dépeint comment je risquais de finir... Allais-je lui mettre sur le dos mon avenir incertain et ma maladie de plus en plus handicapante?
N'est-ce pas égoïste de ma part? Si. Ne me quittera-t-il pas? Prête à risquer, si ça ne marche pas, une poussée carabinée? Je lui explique que je fais des poussées liées au stress, qu'il ne faudra pas jouer avec moi, me dire franchement s'il se trompe, change d'avis etc... On resterait
amis... Mais rien n'y a fait. Il était prêt à sauter le pas.
Et moi, amoureuse et pleine d'espoir, je me dis que j'ai bien droit, moi aussi, à un peu de bonheur,
surtout que j'avais vécu juste avant ma SEP une rupture très douloureuse d'avec l'homme que je devais épouser... Prête à me rebrûler les ailes?
En plus, je suis très ronde. Et là, complexe, presque autant que pour mon handicap. Je me trimballe en bandoulière de sacrés handicaps cumulés! Et, bizarre, le bonheur qui grandit me fait mincir,
plus de 24 kilos, alors que je mange ce qui me fait plaisir, dont des crèmes glacées, des pizzas... Rien compris! Mais tant mieux!
Je freine un peu: il y a aussi la
différence d'âge... (lui 30, moi 38 à l'époque)De mâturité peut-être, même si cela n'était pas visible en webcam... J'ai beau faire jeune, je n'en ai pas moins une réflexion d'adulte
marquée par des évènements dramatiques. (lui aussi, comme je l'apprendrai par la suite...)
Nos quotidiens sont très différents. Mon autonomie est visiblement ce qui l'impressionne le plus. Mon punch aussi. En centre, on développe une mentalité d'assisté. Je suis à des lieues de cela. On
continue donc à se découvrir, attendant mes vacances d'été pour se rencontrer pour de vrai et tenter l'expérience.
*Au lycée, je raconte, évidemment. Les potes collègues se méfient d'internet auquel ils ne connaissaient rien. Moi, qui m'étais ramassée dans la vraie vie avec
des hommes connus de façon traditionnelle, je suis vigilante mais consciente que des garanties, il n'y en a
jamais, dans aucune relation. Alors à vouloir éviter la vie, on reste dans son coin, seul et aigri. Je suis casse-cou, je prends le risque. Mon pote CHRIS est content pour moi, il me charrie, mais il est réservé.
*A mon groupe SEP, on note la fonte de mes kilos, je rayonne de bonheur, ça m'embellit, ce qui attire des potes SEPiens lol! MO, notre "pilier" du groupe, joue ma grande soeur:
elle me prévient des risques au cas où on abuse de moi. (genre, il ne peut pas être sincère, tu es en fauteuil, tu as la SEP! Il en veut à ton
statut, ta position, ta paye... Comme si je n'avais pas déjà pensé à tout ça, aussi! On manque de se fâcher...) Elle a peur que ça fasse galoper ma SEP déjà atypique. Mais j'en ai assez de ne plus rien vivre de sentimental, j'ai besoin de vivre ma vie de femme, entre parenthèses depuis trop longtemps, moi
qui avais une libido active (depuis le début de ma SEP et paralysie, 4 années s'étaient écoulées sans relation avec un homme, malgré des
propositions sur lesquelles je reviendrai après avoir relaté cette histoire car amoureuse, je l'ai toujours été, même à l'hosto lol, un vrai coeur d'artichaut, en fait, je suis une
amoureuse quasi permanente pfff...) Facile, pour eux, au groupe, de me déconseiller: ils sont âgés ou en couple! Divorcés, largués éventuellement, mais ils
ont construit une famille! Moi, je suis en rade de la vie... Et suis "mûre" lol!
Je suis une intuitive. Ce qui énerve les gens. J'explique: attentive, hyper réceptive et très observatrice, je laisse déferler toutes les infos que mes sens captent, et j'ai vite une opinion sur
quelqu'un. Presque toujours juste. (c'est ça qui énerve lol!) Mais comme je me bats contre les préjugés, y compris les miens, je supplante mon instinct par ma raison. Toutefois, mes
alarmes intérieures s'allument, même si je choisis de les ignorer et de donner une chance à la personne... Avec F., ça a été le cas. Certains soirs,
je le trouvais différent, à l'affût, comme inquiet. Un soir, une petite fille débarque dans la chambre, et il a vite éteint la cam (non, vous avez faux, pas sa fille, une de ses petites soeurs
jumelles). Une autre fois, il me montre ses dvd et je vois une étagère avec des poupées anciennes de collection (je me dis: damned, il n'est quand même pas gay refoulé!). Il me dit
les tenir de sa mère, elles ont de la valeur...Supposons, mais ce n'est pas net...
L'été arrive, et avec la chaleur, la fin des hésitations et tergiversations. On fait le grand saut. Et au mois d'août, mon F. prend le train (on
a oublié de le débarquer à Paris, il a fait un foin!), je réserve le GIHP pour aller le chercher à la gare. Le chauffeur, qui est un de mes confidents (dans les 2 sens la confidence, un type extra, intelligent et
cultivé, musicos et très bel homme, c'est lui qui m'a ramenée en larmes de neuro et m'a consolée quand on m'a annoncé que c'était bien la SEP),
monte sur le quai pour chercher F. Or, au service accueil on me dit qu'un employé de la sncf se chargera de le mener au hall. (y a pas à dire, ma
gare est handi-friendly!) Finalement, comme il n'arrive pas,, le coeur battant, je prends à mon tour l'ascenseur pour le quai et... me trouve nez à nez avec lui! Big émotion. Le coeur
qui bat à 300 à l'heure, la peur de déplaire, en 3D lol! Lui, il était plus fluet en vrai... Tout mince. Et moi ronde, pfff, on fera une sacrée paire! On se fait la bise en riant, on fait les
kakous, mais on n'en menait pas large! Comme on remplit l'ascenseur à nous 2, avec nos titines, mon chauffeur, ému et amusé, nous dit de descendre, il nous rejoindra! Ok, zyva. Ouais,
mais... Nous, dans la cage, on se dévisage, on retrouve notre familiarité de derrière l'écran, et avant que je puisse sortir une vanne débile pour décrire le comique de la situation, F. se penche sur moi (pas facile en fauteuil pfff!) et me donne un baiser. Pas chaste... Et comme on est chamboulés (mes papillons dans mon
ventre se mettent à voleter!), on n'a pas le réflexe de sortir, et comme le chauffeur avait rappelé l'ascenseur, nous voilà en train de remonter comme des nouilles! il ne nous a pas loupés,
d'ailleurs, le gars du GIHP, en un coup d'oeil, à voir nos bouilles cramoisies, il a capté. Un clin d'oeil et on repart, cette fois pour de bon. Dans
le car, F. se repenche sur moi et me glisse à l'oreille "Tu sens bon..." (ben ouais, je m'étais pomponnée moi!Morte de peur à l'idée de
le décevoir!) mais il s'avèrera qu'il aime les rondes lol, no soucy...
***(dans le prochain épisode (!), je raconterai notre quotidien, notre routine,
comment on a dépassé les ennuis liés à nos handicaps respectifs et même pensé à faire un bébé...)***
(ça me fait tout bizarre de raconter notre couple... Les images rejaillissent, je revis les évènements qui me paraissent
si loin déjà...)