Magazine Talents

241° jour - 9h10, avis de tempête

Publié le 22 août 2009 par Frogetech

Le bureau, fermé, du chef de projet tremblait sous le déchaînement des éléments, à tel point que l’ouragan Katrina faisait pâle figure à coté de la tempête qui se préparait. Descendu de sa tour d’ivoire, le directeur qualité daignait enfin se pencher sur le projet. Certes, le choix stratégique d’impliquer son service dans un projet qui devait bientôt se terminer n’échappera à personne, mais c’était le seul moyen à disposition pour se faire mousser devant sa direction. Et comme de bien entendu, il découvrait les dessous de l’affaire quand le mot fin s’affichait à l’écran. Vraisemblablement désenchanté par le peu d’énergie que l’équipe avait affecté à l’aspect qualité, il était venu reprendre la barre en main. Pour sa défense, il fallait savoir que la période des entretiens de fin d’année approchait.

241° jour - 9h10, avis de tempête

Dans l’heure qui suivit, la majorité des belligérants encore impliqués recevait une « invitation » pour une réunion immédiate à durée indéterminée. Après des retrouvailles mitigées avec la salle Victor Hugo de mauvaise mémoire, l’équipe s’était installée d’un commun accord aux derniers rangs, portée par l’espoir que quelques intrépides retardataires feraient barrage en prenant place devant. Deux assistants qualité finissaient de disposer dans l’urgence le matériel indispensable (souvenez-vous, celui qui est toujours en rideau au mauvais moment), quand déboulèrent les redoutés Laurel et Hardy de l’entreprise. Gros bonhomme toujours essoufflé, les rares cheveux plaqués en avant par la sueur, le directeur qualité arborait une ridicule petite moustache surmontant un rictus permanent doublement souligné d’un menton adipeux. Invariablement accompagné par son adjoint, personnage fluet à la mâchoire surdimensionnée et au crâne ornementé d’un éternel toupet rebelle, ils évoquaient immanquablement le célèbre duo comique. Au seul détail près que ces deux là n’étaient pas des rigolos, d’aucun persuadé que leurs bureaux étaient ornés des têtes des chefs de projets qui avaient eu le malheur de tomber sous leurs griffes. Sans préambule, le gros lança son attaque.

- Bon ! Nous avons épluché votre dossier qualité, c’est du vent et du foutage de gu… !

- La moitié des documents a encore l’ancien en-tête, renchérit le petit, certains n’ont pas de référence, et le reste est incomplet.

- Au moins deux évaluations n’ont pas été validées, et il n’y a aucun rapport d’audit des fournisseurs !

- La qualification n’est pas planifiée, certains choix techniques non justifiés…

- … et le formulaire de collaboration usine est inexistant !

Les duettistes fonctionnaient à la perfection, leur sketch dûment répété faisait mouche à chaque coup, et les responsables métiers rapetissaient sur leur chaise à l’énoncé des dégâts.

D’un claquement de doigt, l’adjoint déclencha la projection DU SLIDE, le seul et unique, favori de la qualité, table des commandements gravés dans la pierre millénaire. Leur bébé, quoi !

- Pour ceux qui ont oublié les bases de l’ISO 9001 – petit temps de recueillement à l’énoncé de la sainte bible – nous allons rapidement passer en revue les étapes qui auraient dû être respectées !

Le gros se plaça à coté de l’écran, l’ombre de sa bedaine cachant la moitié d’une image complexe sur laquelle se croisaient multitudes de lignes joignant des dizaines de vignettes colorées.

- A la fin de chaque partie majeure du projet, un Colloque de Ratification avalise les Paramètres Finaux, et prononce le Liminaire de Phase Subséquente.

La dévotion avec laquelle les termes étaient énumérés donnait l’impression aux participants d’entendre les majuscules, tandis que le commentateur pointait d’un doigt boudiné chacune des phases principales.

- C’est du bon choix des Inputs et de leur exploitation dans les règles de l’art que les Outputs renforcent les Paramètres Finaux, et ainsi…

La pénibilité des heures qui suivirent cette séance de torture ne devrait jamais être infligé à un être humain, les ONG nous en soient témoin !

Le public de zombies fut soudain réveillé quand le petit crétin s’avança, brandissant d’une main une liasse de documents, et tendant de l’autre un doigt accusateur vers le responsable électronique.

- Et là c’est trop, il y a du marasme !

Sursaut général, l’auditoire à moitié abruti ayant cru entendre « Vade Retro, Satanas ! ». Le temps aux fidèles – pardon, à l’équipe - de se reprendre et de comprendre, le saint homme avait entamé son homélie, encensant joyeusement le pauvre hère qui avait eu le malheur de tomber dans leurs rets.

Pauvre hère qui, sous la virulence des attaques ponctuées de termes barbares tels que « non respect des règles » et « jenfoutisme », se leva pour se diriger vers la sortie, drapé dans sa dignité piétinée.

La main sur la poignée, il se tourna vers ses détracteurs pour leur lancer quelques vives imprécations que je tairai, soucieux de protéger vos chastes oreilles. Cela étant, les noms d’oiseaux qui virevoltèrent au dessus de nos têtes n’étaient assurément pas issus du paradis ! Il en ressortait (en gros) que le silence de la qualité durant le projet n’était certainement pas étranger à la situation, et que la direction serait enchantée d’une telle information, chose qu’il se proposait de mettre en œuvre dans l’instant. Cette brève altercation eut le don de calmer Laurel et Hardy, qui s’empressèrent de noyer leur vin de messe pour tendre une joue pénitente, affirmant par la même occasion que le projet se déroulait sous d’heureux auspices, et que finalement la meilleure solution était de continuer comme ça ! Amen, et développez en paix, mes frères !


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazine