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30 août 1811/Naissance de Théophile Gautier

Publié le 30 août 2009 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours
Topique : Venise


   Le 30 août 1811 naît à Tarbes Pierre-Jules-Théophile Gautier. Il est le fils d'Adélaïde Cocard et de Jean-Pierre Gautier, fonctionnaire des contributions directes.

   Poète dans l'âme ― nourri par son amitié avec Gérard de Nerval et son admiration pour Victor Hugo ―, les aspirations et croyances de Théophile Gautier s'affirment dès sa vingtième année et continuent de se ciseler tout au long de sa création littéraire. Amour de l'art et de la liberté de l'artiste, quête de l'absolu et du beau idéal, soif jamais assouvie de « l'impossible unité » caractérisent l'univers du « poète impeccable ».

   Écrivain polygraphe, l'auteur de Mademoiselle de Maupin ― publié chez Renduel en 1835 ― et d'Émaux et Camées ― recueil de poèmes marqué du double sceau du souci de la perfection et l'angoisse de la mort, paru chez Eugène Didier en 1853 ― est aussi un brillant journaliste, apprécié pour son goût méticuleux de la précision et son talent d'observateur. Gautier, qui se voit confier de nombreux reportages par les directeurs de journaux, visite la Belgique et la Hollande en 1836, l'Espagne en 1840, l'Italie en 1850, Constantinople en 1852, l'Allemagne en 1854 et en 1858, la Russie en 1858 et en 1861, l'Égypte en 1869.

   De son séjour en Italie, effectué de juillet 1850 à novembre de la même année, Théophile Gautier rapporte un carnet intitulé Venise.


Tiziano Vecelli, Ritratto di giovane donna

Tiziano Vecelli,
Ritratto di giovane donna, v. 1536
Huile sur toile 96 x 75 cm
Musée de l'Hermitage, Saint-Pétersbourg


VENISE 1850

   « Ce qu'il y a de charmant surtout chez les Vénitiennes, c'est la nuque, l'attache du col et la naissance des épaules. On ne saurait rien imaginer de plus svelte, de plus élégant, de plus fin et de plus rond. Il y a du cygne et de la colombe dans ces cols qui ondulent, se penchent et se rengorgent ; sur les nuques se tordent de petits cheveux follets, de petites boucles rebelles, échappées aux morsures du peigne, avec des jeux de lumière, des pétillements de soleil, des éclairs d'ombre à ravir un coloriste. ― Après une promenade aux jardins publics, on ne s'étonne plus de la splendeur dorée de l'école vénitienne ; ce qu'on croyait un rêve de l'art n'est que la traduction quelquefois inférieure de la réalité. Nous avons suivi bien souvent quelques-unes de ces nuques sans même essayer de voir la tête qu'elles portaient, nous enivrant de ces lignes si pures et de cette chaude blancheur.
   Une fois même nous fîmes à travers l'écheveau des ruelles de Venise la promenade la plus embrouillée à la suite d'une belle nuque qui n'y comprenait rien et nous prenait pour un galantin opiniâtre et imbécile.
   C'était une grande fille brune, par extraordinaire, ayant beaucoup de ressemblance avec Melle Rachel pour l'élégance longue et fine de son corps et les attaches antiques de son col. Elle avait une dignité si parfaite de mouvements que son grand châle rouge de barège semblait sur elle le manteau de pourpre d'une reine. Jamais la grande tragédienne n'a fait prendre à ses péplums et à ses tuniques des plis plus beaux et plus nobles. Elle marchait si vite, faisant écumer autour d'elle le volant de sa robe bleue, comme les vagues aux pieds de Thétis, avec une aisance et une fierté d'allure dont une grande coquette eût été jalouse. Nous la perdions souvent à travers les masses des promeneurs, mais la rouge étincelle de son châle nous guidait comme l'éclat d'un phare et nous la retrouvions toujours.
   Ce pourchas avait commencé sur la place Saint-Marc. Près du pont de la Paille, la belle s'arrêta et causa quelques instants avec un vieil homme basané, gris de barbe et de cheveux, gondolier ou pêcheur qui semblait être son père. Le vieillard lui donna quelque argent, puis elle s'enfonça dans une de ces petites ruelles qui débouchent sur le quai des Esclavons. Après beaucoup de détours dans ce dédale de ruelles, de sotto portico, de canaux, de ponts qui égarent si souvent l'étranger à Venise, elle fit halte, sans doute pour se débarrasser de l'ombre qui la suivait à distance, devant une de ces boutiques de poissons en plein vent où le thon se débite par rouges tranches ; elle marchanda longuement un morceau qu'elle ne prit pas. Elle se remit en marche tournant imperceptiblement la tête sur l'épaule, et roulant sa prunelle dans le coin de l'œil pour voir si elle était débarrassée de son attentif. Quand elle s'aperçut du contraire, elle fit un geste de mauvaise humeur qui la rendit encore plus charmante, et continua sa route par les rues, les places, les ruelles, les passages, les ponts à escaliers, de manière à nous désorienter complètement. Elle nous mena ainsi, de son pas agile et toujours pressé, du côté de l'Arsenal, dans un quartier désert, jusqu'à une place où s'élève une façade d'église non achevée, et là se jeta comme une biche effarée contre une porte qui s'ouvrit et se referma aussitôt.
   Entre toutes les suppositions que put faire cette pauvre enfant, attaque galante, séduction, enlèvement, elle ne s'imagina certainement pas qu'elle était saisie par un poète plastique qui donnait une fête à ses yeux et cherchait à graver dans son souvenir comme une belle strophe ou un beau tableau cette nuque charmante qu'il ne devait plus revoir.

Théophile Gautier, Venise, Éditions de l'Amateur, 2008, pp. 93-94-98.


Nadar, l'actrice Marie Laurent, de dos

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