Magazine Journal intime

Journal du silence I (récit)

Publié le 05 septembre 2009 par Lephauste

Il s'était assis sur le tabouret de la cuisine, sorte de ligne brisée, les avant-bras posés sur les cuisses, les main occupées à tasser le bout d'un  mégot. Tout son mètre quatre vingt six pesant sur un centre de gravité au delà duquel la poussée en avant le destinait à la chute, face contre terre. Il m'avait appelé le matin : Tu crois que je peux passer te voir ? Pour ce qui était de me voir, il fallait avoir une bonne raison, une impérieuse même. Là où je vivais depuis près de trois ans, personne ne venait. C'était pas un fait exprès. C'était comme ça, un lieu au bout de tout, auquel je m'étais accroché, dans la dernières boucle d'un circuit touristique pour malades mentaux, à deux pas d'aller frapper à la porte du premier asile de nuit. Du premier asile tout court, pavillon des vieux moujingues.

Si ça peut te faire plaisir ! Je lui avait rétorqué ça, sans y penser, comme quand on tente d'être léger dans le propos et que dans la seconde qui suit on espère que l'autre a pas entendu. Oui bien sûr, viens ! C'est ça que je voulais lui dire. Mais à force de parler à personne, le moindre des mots prononcés prenait des allures de sauvagerie mal aimable. J'avais fait un peu le ménage, rangé, c'est à dire posé ailleurs tout le fourbis dont je me servais pour assouvir dans les trous d'air sensoriels, ma passion de faire ce pour quoi je n'avais aucun goût particulier mais qui relevait de la nécessité absolue, peinturlurer, coller ensemble des images de revues porno et des images pieuses piochées dans les quotidiens nationaux : La une de Libération, un soldat israélien enfouraillé comme Rambo pour de vrai, à qui j'avais scotché en guise de sourire une énorme chatte poissée de vaseline ... J'écrivais aussi, avec de la gouache, des brosses retaillées aux ciseaux, des sortes d'obscénités à l'attention de Dieu qui vous savez. J'avais des cahiers pas finis, des premières phrases de romans dont la morbidité infantile se perdait entre la poubelle et la cuvette des chiottes, peu de distances entre les deux. J'étais polygraphe. J'avais écouté ça à la radio, un type qui disait comme si ça allait de soi : Je suis polygraphe. Et qui croyait dur comme fer que personne verrait qu'il était avant tout un fameux branleur de mouche, au pluriel. Ça avait l'air de payer son truc, en tous cas. Alors moi aussi j'avais dit ça, et j'attends toujours que l'oseille radine.

Il était donc arrivé, en début d'après-midi, les petits chiens l'avait longuement flairé, reluqué mais voyant que décement ça pouvait pas se manger, ils l'avaient laissé passer. J'étais descendu quand même, pour le cas où les dogues, la mère et le fils, se souviendraient que leur vrai territoire se trouve au Sud de Bonzaires, dans la Pampa, et pas coincé entre l'hôpital général et le cimetière municipal, dans une meulière digne d'un vieux rêve de rires et de bonheur familial. Très digne, faut le dire, surtout que le malheur avait pas épargné ni le jardin, ni les étages, ni la "Patronne". J'en parlerais pas de la "Patronne", mais dire, c'est quelqu'un cette gonzesse-là ! Y en avaient même eu pour croire qu'on était un peu ensemble, la Patronne et moi, tu parles, regarde-toi dans la glace, tu verras bien avec qui t'es ensemble. Lui, l'aut', les dogues il les avait même pas vu. pourtant ... enfin bref. On était passé en craquant des marches, par la porte du grenier, j'aime quand les gens passent devant, quand ils viennent ici, quand ils viennent pas aussi d'ailleurs, j'ai toujours un peu dans l'idée que je m'attends avec un sale coup. Un schlasse, une poêle en fonte, un poème, enfin tous ces trucs, qui manipulés avec un peu d'adresse te font des dégats appréciables.

On a qu'à se poser dans la cuisine ! T'en dis quoi ? Oh moi, tu sais ... Quoi de neuf ? Je lui demandais, comme si je savais pas qu'on vivait lui et moi dans nos vieilleries respectives, comme deux clampins fanés sur pied, sans même quelques graines pour le semis de l'année suivante. C'est toi qui fais ça ? Ça l'épatait les piles de papiers, la poubelle pleine de papiers, les chiottes engorgées de papiers, et puis les collages olé olé où qu'on voyait des vols entiers de bites luisantes traversant l'azur au dessus de Téhéran, et des trous du cul éclatés comme des cratères palpitant. Non non, c'est les mômes du centre de redressement qui est avant le virage, c'est comme ça qu'ils me raquent le shit ! Ah ouais, je me disais aussi, t'es toujours grouillot dans le spectacle ? Oui, mais ça grouille de moins en moins. Je voyais bien qu'il était dans la courtoisie, alors je le réaiguillais vers ce qui l'amenait là, à ouat mil bornes de tout évènement digne de la post-modernité. Et toi alors ? Dis moi, toujours au RSA ! Ouais, presque, je peux te taper un peu de tabac ? T'as pas un truc à grignoter ? A chaque fois je fis oui de la tête, je sortis la casserole de pâtes et la boite à mégots turkish blend good for health. il s'assit sur le tabouret, j'avançais la caisse à outil et dans un craquement d'articulations, je posais les gaules. Bon alors raconte ! Il se pencha dangereusement au dessus de l'allumette enflamée, alluma le bout pas ragoûtant du clope et m'envoya un regard creux. Je viens de buter ma vieille ! Bon et bien je vais faire réchauffer le café alors ? Ouais, si tu veux. T'as du sucre ? Je dis ça, c'est parce que moi, j'en prends pas.

Au fait le type, à la radio, je me souviens maintenant, il avait dit, en vrai : Je suis graphomane. Faut toujours avoir l'air d'être quelque chose, notez bien. Il avait fait publier un truc, ça devait s'appeler "Journal du silence I". Il comptait en faire d'autres sûrement. Ca avait l'air de faire un max d'oseille son truc.


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