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Moi j'ai quitté mon pays bleu

Publié le 06 septembre 2009 par Danielrondeau
Comme j'avais pas mal d'avance, je laissais lentement défiler le décor que m'offrait cette route de campagne. Tant de soleil, d'espace, de silos aux inscriptions «ferme Machin» me rendent immanquablement heureux. J'ai baissé les fenêtres et levé un peu la voix de Roger Whittaker qui chantait à ce moment-là. La vie savait se faire douce parfois.
Je suis arrivé au village en faussant sur « moi j'ai quitté mon pays bleu », et c'est sur la note finale que je l'ai vue : un roulotte à patates frites ! Pas un restaurant « Chez Mimi» ni un snack graisseux au fond d'une entrée en gravier mais bien une vraie de vraie roulotte, les roues bien serrées entre deux cales de bois, fenêtre ouverte sur un stationnement de fortune, une roulotte comme il y en avait partout dans mon enfance. Je n'avais pas très faim, mais j'avais du temps et je n'ai pu m'empêcher de m'arrêter, question de profiter de cet improbable vestige du passé avant qu'il ne disparaisse au profit d'un Tim Horton's. J'ai le cholestérol nostalgique, docteur, je n'y peux rien.
C'est un enfant de 8 ans sifflotant du Whittaker qui s'est approché de la roulotte. Je n'avais pas à regarder le menu signé Bonne(!) appétit : je commanderais au vieil homme graisseux un peu blaséce sera un cheese ketchup-oignon avec 1$ de patates, comme dans le temps.
La moustiquaire de la fenêtre s'ouvrit sur le visage régulier d'un homme bien mis, plus jeune que moi, coiffé d'un filet à cheveux d'un chic fou. J'ai cherché sans succès mon vieil homme dans le fond de la roulotte avant de donner, un brin hésitant, ma commande.
Quand l'homme enfila des gants chirurgicaux pour préparer mon hamburger, mon sourire niais disparut totalement. Où était mon monsieur aux cheveux graisseux, une cigarette avec ça de long de cendres au bec ?
Je suis revenu à ma voiture avec un hamburger dont la boulette, bien centrée dans son pain, ne contenait assurément ni cheveu ni sueur, un sandwich qui pourrait se mériter une note parfaite au ministère de la salubrité.
Je ne sais quand ça s'est produit, mais sans que je m'en rende compte, j'avais bel et bien quitté mon pays bleu pour un tout blanc, tout propre. Propre propre propre.
Jamais souvenir ne m'aura paru aussi fade et aseptisé que cet hamburger.

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