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Ce jour-là.

Publié le 12 septembre 2009 par Sophielucide

D’où vient l’envie ? Est-ce un besoin ?
Qui nous le dicte ? Qu’est-ce qui retient ?
Pourquoi aujourd’hui, maintenant, tout de suite est-ce si urgent ?
Qu’est-ce qui fait qu’on puisse se passer de désir alors que subitement il s’impose comme une évidence, comme un commandement divin impossible à transgresser, sous peine de mort. La vie est plus forte. Indéniablement, et c’est irréversible. Un appel de la vie, un besoin de vie plus qu’un désir ou un fantasme, un appel du dedans, de ce fragment de vie qui fait qu’on y tient plus que tout. Plus que tout. Et qu’on tient.

Ce jour là, je l’avais senti dès le réveil. Je ne savais pas bien le nommer, ni même le localiser, comme une présence qui prend le corps en otage et ne le rendra pas. Pas avant d’avoir payé le dû. Sans répit.
J’avais passé toute la matinée ainsi, à errer dans l’appartement comme une lionne en cage, une sorte de rage au ventre que la nourriture dont je me gavais ne pouvait satisfaire. C’était autre chose. Ça venait de plus loin.
Après le déjeuner, je commençais à me sentir de plus en plus nerveuse, ne réussissant ni à lire, ni écrire, je ne savais ni me concentrer ni me laisser aller à dormir. Je me voyais tremblante, quasiment frémissante ; cette sensation m’effrayait, indomptable, insatiable, et qui dure, et qui enfle et qui monte.
A quatorze heures je me résolus à t’appeler. Je ne réussis à prononcer qu’un mot dans mon égarement : « Viens ».
Tu dus entendre au son de ma voix que quelque chose n’allait pas, tu ne cherchas pas à savoir pourquoi je t’appelais ou s’il s’agissait de la santé d’un de nos enfants. Tu raccrochas et rentras à la maison.C’était la première fois que je t’appelais ainsi en plein après midi. C’est la première fois que je te dérangeais dans son travail. Je te suis encore reconnaissante aujourd’hui, quand j’y pense.
Tu n’a pas cherché à me raisonner, tu es simplement venu, c’est pour ça que je t’aime ;
Le fil ténu, solide et fragile tissé en nous frottant les pattes.
Le silence, posé entre nous me comble.
Tu es venu, je t’attendais.
Nous nous sommes aimés.
Comme si notre vie en dépendait.
Il y avait urgence.
Et cela a duré. On a recommencé.
Il le fallait.
Souffle coupé, gestes saccadés
Tics nerveux, sourire crispé : Restes de nos ébats.
La sonnerie du portable, gong final du combat, a retenti.
On t’ordonnait d’allumer la télé.
C’est à ce moment que les bruits alentours, familiers, éternels ont repris leur place. Peut être un peu plus fort que d’habitude ou étaient-ce nos sens en alerte qui les percevaient ainsi.
Un gigantesque brouhaha qui ne s’interrompt pas.
Je ne sais pas pourquoi j’ai alors amorcé la position du poirier. Pour rigoler sans doute. Ou pour garder pour moi juste un peu de ton foutre. Les jambes le long du mur et les bras repliés, mes mains collées aux fesses et les yeux grands ouverts j’ai vu un personnage s’envoler vers le ciel.
C’était beau, je souris.
C’était drôle et je ris.
J’ai toujours depuis ce jour conservé cet amour, un élan de tendresse, le rappel des caresses, et la violence aussi de ce mois de septembre. L’été donnait son dernier rappel, apothéose, j’ose. Dans dix jours on serait en automne.
Le vingt-et-unième siècle avait fait son entrée pour jeter sur chacun son parfum d’angoisse, de mort, comme si, avant ça, personne n’avait souffert.
Le monde allait enfin regarder dans la même direction. (Le poste de télévision)
Il était sommé de partager les mêmes peurs.
Les méchants arboraient sous leur barbe le même sourire moqueur,
Dans leurs yeux on lisait la même terreur.
La position choisie étranglant mon rire, j’entamai une étrange roulade.
Le long de mes cuisses s’écoula un peu de notre vie qui n’aurait pas raison des flammes sur l’écran.
Etait-ce l’épaisse fumée qui me faisait pleurer ?
Les larmes léchaient mes seins (et les flammes les tours)
Inondaient le nombril (nommé depuis : Grand Zero)
A moi seule j’annulai l’innommable.
La vie est bien plus forte. Il est là, le complot. Pendant que quelques milliers de victimes périssaient, des millions d’humains forniquaient. Ce n’est pas la morale d’une fable infâme, c’est la vie qui jaillit tout le temps, sans cesse dans le bruit, le chaos, la fureur ou l’ennui.
Chaque être humain de la planète est censé se rappeler ce qu’il faisait ce jour-là, diktat obligé, sous peine de flagrant d’élit d’inhumanité.
Je me souviens. Tu l’avais oublié. Ce n’est pas très grave, on s’est tellement aimé.
Je voulais raconter. Juste ça. Une réalité. Avec ses prémisses, ses doutes et ses appréhensions.
Ce n’est qu’un souvenir.
Quand on entend au loin le tonnerre gronder, qu’on se met à compter. Un, deux, trois, quatre… avant que la foudre tombe, pas très loin, à côté.
Avant que le ciel ne se mette à changer, que les nuages déferlent et qu’enfin la pluie tombe.
Il était si clair, pas vraiment bleu, il faisait mal aux yeux.
Et maintenant, de nouveau, le soleil nous aveugle
On ne retient jamais que ce que l’on connaît.
Je te connais
Retiens moi donc !
Que m’importe le tocsin qui ameute les foules tous les soirs à vingt heures
Je ne veux que tes yeux et les miens, même si ce n’est qu’un leurre.


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