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Des cailloux

Publié le 17 septembre 2009 par Eleken

C’est dans une tasse de café, que comme matin, je noie l’absence de mon désir de vivre.

Le café noir embaume ma table. Le café est bruyant, enfumé malgré l’heure précoce. Sept heure ce matin. L’heure qui résonne en moi comme le glas inouï d’un monde incompris. Par la force des choses ou la force des maux, ceci est mon dernier café ce matin là. Car c’est le dernier matin, j’en suis sûr. J’ai reçu cette nuit le dernier caillou. Le dix-septième. Un pour chacune d’entres-elles. Qui me les envois, qui me les déposes. Je ne le sais pas. Chaque soir, ou chaque nuit, un caillou se retrouve sur mon perron. Un petit caillou noir et bruyant. Un caillou poli et lourd.

Au début, je n’ai pas compris. J’ai vu ce caillou, je l’ai poussé du pied, je l’ai écarté de mon chemin. J’ai pensé à la blague d’un gamin. Peut-être une de ces petites racailles qui hantent nos rues boueuses pour détrousser le chaland et qui aura voulu faire un coup d’éclat devant ses compères de larcin. Je suis parti travailler. J’ai une petite librairie en ville. Un peu poussiéreuse. Les gens viennent s’y perdre parfois. Souvent quand il pleut. L’avantage de notre Londres c’est qu’il pleut souvent. C’est bon pour les affaires.  Ce matin là, je m’en souviens très bien, parce que c’est ce matin là qu’ils ont inauguré la Metropolitan Railway . Je ne sais pas ce qu’on les gens dans la tête. Moi, jamais je ne monterais dans un wagon de bois qui file à toute vitesse sous terre. Les gens et leurs idées saugrenues. Je dois traverser Bishop’s Road pour arriver à ma boutique. Il y a un monde fou qui s’entasse pour rentrer dans cette cave qu’ils appellent déjà le Metro.

Le bruine est fine et colle à ma peau. J’aime cette poisse qui me fait sentir vivant. J’ai quitté le café et vingt minutes plus tard me voilà entouré de mes livres. Mes seuls amis. Je n’en ai pas d’autres. Je n’ai jamais été marié et, si ce n’est quelques tentatives minables avec des filles publiques soldé par de mollassons échecs, je n’ai jamais forniqué. Ce caillou, ce dernier caillou. J’hésite puis finalement décide de rester ouvert. Si c’est une dernière journée de vie, alors ce sera une dernière journée paisible de travail. Je devrais peut-être faire les carreaux pour ce dernier jour ? Non cette idée n’est pas bonne, une librairie se doit d’être poussiéreuse, cela donne sa valeur au livres. La poussière.

Le second jour quand je suis sorti, il y avait cette fois deux cailloux. Le même que celui de la veille que j’avais laissé à côté des marches… Et un second, plus gros. Le même noir. Je lancé un coup de pied furibard dedans et j’ai crié à la cantonade que le petit malin qui s’amusait allait prendre une belle correction si je lui mettais la main dessus. Et je suis parti travailler, laissant cette histoire aux oubliettes de mon esprit…

Le lendemain était un dimanche. Le dimanche je ferme boutique pour aller à la messe. Après quoi je m’occupe de mon jardin. Ce matin là, il y avait trois cailloux… Et un papier. Sur le papier, chiffonné, griffonné par une main malhabile, un chiffre. Dix-sept. Ce matin là, je ne suis pas allé à la messe. J’ai blêmi à la lecture de ce chiffre. Je le connais bien ce chiffre. Je le compte moi-même, je m’en gargarise dans ma solitude. J’ai passé le reste de la journée, enfermé dans ma maison. Scrutant tour à tour les fenêtres et les cailloux. Ce n’étaient que des cailloux, trois cailloux. Trois sur dix-sept.  C’était il y a quatorze jours. J’ai passé la nuit à scruter mon perron armé d’un pistolet à silex. Je n’ai pas fermé l’œil, pas mangé, pas bougé. A deux heures, je suis sorti sur le perron. Il n’y avait pas de caillou. A trois heures, sans avoir une seule fois baissé ma vigilance, je suis sorti à nouveau. Il y avait un caillou. Je n’ai pas cessé de trembler durant les heures qui ont suivi. C’était un fantôme. Seul un fantôme aurait pu réussir cela. C’était surement pour cela, le papier chiffonné. L’écriture de l’au-delà. L’une d’elles surement. Mais laquelle ?

Elle savait. L’une des dix-sept que j’ai tués.

J’ai brûlé leurs corps dans la chaudière en dessous de ma boutique. Personne ne m’a jamais rien soupçonné. Pas un gendarme n’est venu frapper à ma porte pour savoir. Personne. Un libraire, de mon âge qui plus est, d’aspect serviable, n’éveille aucun soupçon. Il a fallut que ce soit un foutu fantôme qui me poursuive. Je me suis demandé ce jour là combien d’autre que moi avait un jour subit ce type de visite impromptue. N’aurait-il pu se contenter de me hanter ? Non, il fallait qu’il me menace. Pourtant ce n’est pas ma faute. C’est… Des pulsions. Je ne sais pas les contrôler. Parfois, il y a une de ces grosses femmes qui rentre dans ma librairie. Elles ressemblent un peu à ma mère. Elle était cruelle ma mère. J’ai été bien éduqué, en bon protestant. J’ai des pulsions ce n’est pas ma faute.

J’ai pensé m’enfuir quand le onzième caillou est arrivé. Mais que faire. Ce fantôme me suivrait. De toute façon, j’étais condamné. Alors autant ne rien faire. Peut-être que cela passera de soi-même. Je n’ai pas osé descendre à la cave depuis que les cailloux ont commencé. On est en septembre, heureusement, il ne fait pas encore trop froid. La chaudière restera éteinte. Peut-être qu’il m’attend là-bas. Prêt à en découdre. Me brûler peut-être, m’étrangler surement. Comme je l’ai moi-même étranglé. C’est rare moment où je me sens un homme.

Les heures passent. Mes dernières heures. Je mourrais probablement dans la nuit chez moi. Comment ? De terreur certainement. Ce fantôme prendra une apparence immonde et me terrorisera jusqu’à la mort cette nuit. Je ne suis pas pressé de mourir, surtout comme ça. Mais que faire ? Rien. Quand le destin frappe à votre porte, le mieux est de ne pas le contredire.

Je me mes à faire du tri pour me changer les idées. Les gens n’ont pas de respect pour les choses. Surtout pour les livres. Il y en a toujours un pour prendre un livre quand j’ai le dos tourné et le déposer à la mauvaise place. Je me penche devant le rayon pour prendre un livre sur la première étagère. Un courant d’air froid passe sur ma nuque. Le carillon de la porte s’agite.

Une grosse femme fardée portant un chapeau plumé entre dans la boutique.

« Bonjour madame » la salue-je d’un grand sourire en me relevant « permettez ».

Elle frissonne et s’ébroue de son grand manteau humique.

Je frissonne. Il fait un peu froid.

Il va falloir que j’allume la chaudière.

— Eleken,
Une petite nouvelle sans prétention


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