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Des cailloux – partie 2

Publié le 18 septembre 2009 par Eleken

« Inspecteur Lornbeck ? »

L’homme aux épaules voutées et la bedaine proéminente releva les yeux. Il regarda le jeune officier blond avec encore des taches de rousseur de haut en bas, les yeux animés d’un dédain perceptible qui mit immédiatement mal à lèse le jeune homme.

« Oui » dénia-t-il répondre finalement en soulevant un peu plus son triple menton.

« Il y a eu un double homicide, à Dennet Road, derrière Bishop et on vous demande dessus monsieur ».

« Qui me demande, mon garçon ? »

« L’officier Haustatsh, monsieur »

L’inspecteur encaissa l’informa sans broncher, avec résignation. Il n’aimait pas son supérieur et s’était réciproque, mais s’il fallait y aller, il irait. Si Haustatsh le mettait dessus, c’est que cela ne devait pas être très bon. Comme chaque dimanche à l’église. Ou bien, comme pour lui, au cabinet après chaque repas. Sa masse s’ébranla et, dans un grincement de chaise, il se leva doucement. Le jeune officier le regarda et se promit en son for intérieur de ne jamais ressembler à cet homme en vieillissant.

Lornbeck prit son manteau et son chapeau assortit de couleur beige et sortit de son bureau. Il descendit les deux étages de la bâtisse de son pas lourd. Quand il atteignit le rez-de-chaussée, il était déjà en sueur et son souffle malade empestait la mauvaise bile. Son foie, depuis longtemps malade ne l’accompagnerait plus très longtemps. Le docteur restait évasif lorsqu’il lui demandé combien de temps ? Evasif, mais surement pas rassurant. Lornbeck n’était pas un imbécile, il se savait condamné. Trop de nourriture, trop d’alcool, surement trop de filles de joie. La syphilis qu’il avait attrapée il y a cinq ou six ans n’était sans doute pas ignorante de sa condition d’aujourd’hui.  Il avait pensé s’arrêter, tout simplement, prendre ses économies, vendre son appartement en ville et aller s’installer à la campagne pour y mourir. Mais à quoi bon ? Sa femme avait disparue du jour au lendemain après une énième de leurs disputes il y a trois ans. Une énième dispute parce qu’une commère lui avait rapporté ses faiblesses pour un quartier abritant une maison close. C’était un jour sombre comme aujourd’hui. Un automne comme celui-ci. Il faisait gris, il pleuvait dehors. Elle était partie en claquant la porte, en hurlant que c’était un porc. Quand il se voyait le matin dans le miroir, il savait qu’elle avait eu raison de lui parler comme cela.

Le gros bonhomme arrêta un fiacre et indiqua au chauffeur vers quelle adresse il devait se presser. Lornbeck détestait ces voyages en fiacre sur les rues pavées de Londres. Cela lui donnait à chaque fois la nausée. Aussi fut-il heureux lorsque les roues du véhicule quittèrent la pierre pour ralentir dans la boue des rues plus modestes. Bientôt, le trot des chevaux ralentit pour passer à la marche, s’immobilisant devant la vitrine poussiéreuse d’une librairie miteuse. Lornbeck paya le fiacre et s’écarta pour le laisser repartir sans se laisser recouvrir de boue. Se retournant vers la boutique il marqua un temps d’arrêt. Les boiseries étaient recouvertes d’une insipide chaux blanche virant vers le gris sous les assauts de la pollution des usines. Il connaissait l’endroit. Il était déjà venu ici. Il y avait un peu moins de quatre ans croyait-il se rappeler. Un petit homme à tête de fouine, le regard las, l’avait accueillit, lui et sa femme. Il cherchait une œuvre traduite de Racine, ce français aux mots faciles qu’aimait tant à lire sa femme. Il n’avait rien trouvé ce jour là qui l’intéressa, mais sa femme était restée un long moment à découvrir les couvertures et feuilleter quelques pages. Cela n’avait pas manqué, il l’avait remarqué, d’agacer le petit homme qui ne semblait que trop pressé de mettre à la porte ces clients qui n’achetaient pas assez et regardaient trop. Lornbeck avait finit par tirer sa femme de là, agacé à son tour qu’il était par l’infinie lenteur de sa moitié.

Quelle étrange coïncidence de se trouver à nouveau là pensa-t-il. Il prit son chapeau à la main et pénétra dans la boutique. Elle était l’identique réplique de son souvenir. A croire que celui qui tenait cette boutique était un maniaque de premier ordre. Rien, sur le comptoir, qu’une petite sonnette à son emplacement exact après ces années. Un autre officier, à peine plus âgé que le premier attendait dans le magasin.

« Où se trouvent les corps ? » demanda sans préambule l’inspecteur.

L’officier marqua un temps, jaugea son interlocuteur et lui répondit d’une voix plus fluette qu’il ne l’aurait voulu que les corps étaient en bas des escaliers, à la cave.

« Qui a découvert les corps ? »

« Un client qui s’inquiéta de ne trouver personne et qui après quelques minutes est allé appeler par la porte ouverte de la cave. C’est là qu’il a aperçu les jambes de l’homme. Il a cru à un malaise mais quand il a vu le deuxième corps, il a pris ses jambes à son cou jusqu’à tomber sur un collègue qui à mis cinq bonnes minutes à le calmer. Cet homme est au commissariat pour faire sa … »

Le jeune homme s’arrêta comprenant bien qu’il était inutile de rajouter plus de détail. L’inspecteur s’était déjà détourné et descendait lourdement les marches étroites en pierre descendant dans cette cave sèche.

Lornbeck rejoint les cadavres faiblement éclairés par la lueur grisâtre d’une lucarne aussi poussiéreuse que le reste de la pièce. Le petit homme propriétaire de la boutique, les yeux ternes fixant le plafond, le regard d’un halluciné. Autour de lui, de nombreuses traces de pas, une seul pointure, la sienne à première vue. Il s’était défendu. N’avait pas voulu mourir. Une ecchymose bleuâtre s’étendait sur son coup. Etranglé. L’inspecteur ne le sentait pas. Dix secondes qu’il regardait le cadavre et déjà il sentait qu’il ne comprenait pas tout. Des marques de griffures. Trois griffures profondes sur la joue gauche. Il avait était griffé avant de mourir, du sang avait coulé. Lornbeck releva les yeux sur le second cadavre qui gisait un peu plus loin. Il s’avança et n’eu pas à se pencher beaucoup pour distinguer les bouts de peau sous les ongles de la grosse femme. Elle portait également des marques de strangulation. Plus profondes, plus sauvages que sur le petit homme. Un scénario commença à se ficelé dans son esprit. Le petit teigneux avait, pour une raison ou une autre, attaqué la grosse femme et l’avait étranglé. Elle l’avait griffé en se débattant. L’avait-il tué en haut ? Non, le corps n’avait pas été trainé jusqu’ici… Des traces de pas. Elle avait était amené de force en bas des escaliers ? Non ces marques plus larges. Trop de trace de pas en bas des escaliers, mais il possible que le petit l’ait balancé du haut des marches. Elle aura chuté et aura tenté de fuir ici en marchant à quatre pattes. Une fuite sans issue. Le petit teigneux l’aura alors étranglé ici… Mais alors, qui a étranglé le petit teigneux.

Lornbeck compris qu’il manquait forcément quelqu’un pour que son histoire fonctionne. Il y avait un troisième larron. Le mari de la victime ? Un individu de passage sans lien ? Peut-être même un voleur venu faire ses affaires qui aura trouvé le teigneux bien affairé. Le problème c’est que ce troisième homme, quel qu’il soit n’a pas l’air d’avoir laissé de trace. Soit Lornbeck est face à un spécialiste, soit il fait fausse route. Voilà bien une affaire qui commence étrangement. Peut-être est-ce ce troisième homme qui aura tué les deux. Il les aura étranglé les deux par commodité… Mais alors pourquoi se battaient la grosse et le teigneux ? Non son instinct lui dictait autre chose. Le teigneux avait tué la grosse, il en était presque sûr.

Lornbeck se releva pour observer la scène de haut. Il marcha en prenant soin de ne pas effacer des traces sous les siennes en contournant la scène par où il était arrivé. Faisant dos à la chaudière, il observa les deux masses ternes, attendant que de ces images se détache le scénario le plus probable.

Il bougea sur place, faisant dos à la chaudière éteinte. Il ne parvenait pas à déchiffrer l’énigme. Il allait falloir qu’il fasse interroger les gens du coin pour savoir si quelqu’un d’autre était venu à la boutique ce matin là. Il évaluait à peu de chance celle d’un jour comprendre ce qui s’était passé ici quand il sentit une légère pression sur le bout de son pied droit. Il baissa les yeux.

Lornbeck s’arrêta. Le temps s’arrêta. Le regard plongé sur ses pieds. De la poussière recouvrait tout, des déchets, des détritus divers. Il n’y avait pas prêté garde. C’est le bout de sa semelle qui avait détaché de la poussière un objet. A côté d’un petit caillou noir qui n’avait pas sa place ici, un petit écrin en or-blanc ternit par le temps passé sur le sol. De forme ovale, un olivier gravé sur le couvercle maintenant piqué de noir. Il ne le distinguait qu’à peine à la lumière de la vitre sale, mais il n’avait pas besoin d’en voir plus pour savoir ce qu’il contenait.

Sa masse tomba sur un genou, ramassa le bijou et le porta au plus près de ses yeux. Ses doigts tremblaient tellement qu’il eu du mal à l’ouvrir. Bien qu’il fût certain de ce qu’il y verrait, il lui fallait le voir.

Un petit garçon gravé dans l’os. Il avait six ans quand cela fut fait…

Lornbeck ne pu retenir ses larmes dans la cave poussiéreuse du libraire.

Elle ne quittait jamais ce médaillon.

Le petit frère décédé de sa femme disparue.

— Eleken,
Une suite (enfin suite :p)  à cette nouvelle qui en mérite une.


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