Magazine Journal intime

Nantes 9 (génération spontanée)

Publié le 21 septembre 2009 par Didier T.
Nantes 9 (génération spontanée)
Je me suis souvent demandé pourquoi pendant ma période nantaise, je m’étais autant investi dans mes fonctions.
Pourquoi je ne comptais jamais mes heures, ni mes week-end, ni mes nuits.
Pourquoi ne m’accordant aucune excuse, aucun répit, je n’en accordais pas plus à mes collègues et à mon entourage professionnel ou familial.
Le projet de contournement de la ville par le périphérique que nous avions décidé de réaliser incluait le franchissement de la Loire en aval du port de Nantes . Or pour ne pas interdire l’accès du port aux bateaux, nous avions le choix entre un ouvrage souterrain ou la construction d’un pont maritime culminant à 65 mètres au dessus des vives eaux.
Nous avions choisi après étude la voie souterraine et bien sûr la DDE actionnée par l’Etat se battait pour la construction d’un pont.
Cette guéguerre avait des incidences jusque dans mon couple car mon épouse d’alors travaillait comme cadre à la DDE et faisait l’objet de la part du Directeur de mesures d’intimidations proprement indignes.
Derrière cette affaire se cachait un problème de gros sous.
Si c’était un pont, la DDE serait maître d’ouvrage délégué alors que si c’était un tunnel, il était clair qu’elle n’en avait aucunement les compétences et qu’un bureau d’études hollandais ou allemand en serait chargé. Ce qui réduirait d’autant les primes des techniciens et autres ingénieurs des Ponts.
Je dois confesser que le fait de voir mon épouse confrontée à ces pressions n’a jamais entamé mon engagement pour la solution tunnel. Préférant les ignorer et sans doute par couardise, inconsciemment, je passais de plus en plus de temps au travail et organisais une coupure franche entre ma vie professionnelle et ma vie familiale qui n’ayant pas d’enfant se réduisait comme une peau de chagrin.
Pas d’enfant, alors que cela faisait déjà 10 ans que nous étions mariés. Deux ans plus tôt, nous avions fait des analyses qui avaient démontré que le problème venait de moi, mes spermatozoïdes ne survivant pas assez longtemps pour procréer. Une douloureuse opération de varicocelle n’ayant donné aucun résultat, nous décidions de nous adresser à la DDAS pour présenter notre candidature à l‘adoption d’une fratrie, pensant qu’il serait plus facile d’adopter des frères et sœurs.
Ayant eu l’occasion de rédiger, à la signature du maire de Nantes, des courriers d’intervention et de soutien pour aider des parents candidats à l’adoption , je décidais de garder secrète notre démarche et me refusais à toute aide de l’élu.
Toute personne ayant fait ce genre de démarche pourra témoigner du caractère ubuesque des enquêtes diligentées par ces services sociaux.
Je revois encore la façon dont cette inspectrice vérifiait le contenu de notre énorme bibliothèque, s’étonnait d’y trouver cote à cote des livres de d’Ormesson avec ceux des penseurs marxistes, de la Pléiade avec des opuscules d’Hô Chi Minh et de Lao Tseu, de Raymond Aron avec ceux de Rocard….
Que pouvait-elle en conclure ?
Pourquoi une telle insistance à fureter dans cet amas de bouquins où dormaient tous nos rêves, toutes nos évasions, toutes nos émotions ?
N’avaient-on pas justifié d’une solidité de couple après dix ans de vie commune, n’avait-on pas justifié de revenus suffisants pour faire face à l’arrivée de ces enfants ? Notre vaste demeure du boulevard de Longchamp, jouxtant l’école primaire au bout de notre jardin, ne plaidait-elle pas en faveur d‘un accueil meilleur que celui des services de l’Enfance ?
Jamais je n’avais eu l’impression d’une tel viol de ma vie privée.
Bien sûr, on se rassurait en se disant que cette personne ne faisait que son travail et qu’elle n’agissait que dans l’intérêt des enfants adoptables, mais à chacune de ses visites nous avions l’impression d’avoir perdu un peu de nous-mêmes, de notre intimité.
Et surtout, nous ignorions les conclusions qu’elle était susceptible de tirer de ses visites.
De retour des vacances de février où nous étions allé skier à Canfranc dans la principauté d’Andorre, je reprenais le rythme de mes activités et alors que j’allais quitter mon bureau pour prendre l’avion vers Paris, le téléphone sonna sur ma ligne directe. D’habitude, en de telles circonstances, j’aurais fermé la porte et laissé l’appel à reprendre par ma secrétaire. Là, comme mué par un pressentiment, je revenais sur mes pas et décrochais : la responsable du service de l’Enfance m’invitait dès cet après midi pour me présenter un bébé devenu adoptable la veille et me chargeait de préparer ma femme à cette évènement.
Abasourdis car notre demande vieille de plusieurs années, nous avions fini par l’oublier ou ne plus y croire, nous nous rendions dès le début d’après-midi à la maison départementale de l’Enfance pour cette première rencontre.
Là, on nous expliqua que né sous X et abandonné le jour de sa naissance, il avait fallu attendre légalement six mois pour qu’il devienne adoptable et nous soit présenté.
Si pendant cette période sa mère biologique avait manifesté la moindre attention, une simple carte postale, un simple coup de fil, l’enfant n’aurait pas été adoptable.
Pendant qu’elle nous disait cela, nous ne pouvions nous empêcher de penser l’un et l’autre qu’il s’agissait d’un petit veinard et que nous allions enfin le rencontrer.
On nous dit aussi qu’il n’était pas question de l’emmener chez nous (chez lui) tout de suite, qu’il devait d’abord s’habituer à nous, que nous devions aussi apprendre à nous en occuper et qu’au bout d’une semaine, nous serions peut-être autorisés à l’emmener à la maison pour une courte visite.
Dûment chapitrés on nous conduisit enfin vers une chambre où dans deux petits lits dormaient des bébés.
Lequel serait le nôtre ?
Cette petite boule aux cheveux raides couleur de jais ou ce petit blond tout rose et rondouillard ?
Nous étions là, tremblants derrière la porte à regarder par la petite vitre à l’intérieur de la chambre les deux bambins qui semblaient dormir.
Oubliant que cette situation n’était que le fruit d’une longue procédure il nous semblait qu’à l’ouverture de cette porte, se jouerait, plus que le nôtre, le destin de ces deux petits êtres.
Pétrifiés, aucun de nous deux n’osait ouvrir cette foutue porte et c’est la personne qui s’occupait d’eux qui fit silencieusement pression sur la poignée et se dirigea vers le premier lit.
C’était le petit brun !
Il ne dormait pas et réfugié dans les bras de sa nounou habituelle, nous regardait d’un œil interrogateur avec de grands yeux noirs.
Nous étions ses premiers visiteurs non habillés de blouses blanches, il nous dévorait du regard comme si, averti par je ne sais quelle intuition, cette étrange visite revêtait une importance capitale.
Manifestement, et j’en eus confirmation plus tard, en six mois ce bambin n’avait été en contact qu’avec des femmes.
Le son grave de ma voix semblait le tétaniser, allongé sur sa table à langer, il ne cessait de tourner la tête pour suivre mes déplacements dans la chambre et ne me quittait pas des yeux quand je me penchais sur le berceau qui jouxtait le sien pour embrasser son petit voisin d’infortune.
Comment lui parler ?
Que lui dire, sinon qu’il était le plus beau bébé du monde ?
Comment allait-il réagir si refusant le prénom qui lui avait été attribué par la DDASS nous l’appelions par le prénom que nous lui avions choisi ?
Quand deux heures plus tard, il nous fallut le quitter, sous la ferme pression de la nounou qui voulait le ménager, il resta dans son lit, selon le récit qu’on nous en fit le lendemain, regardant fixement l’étroit vitrage qui se découpait dans la porte de la chambre.
Revenus dans la voiture, nous primes alors conscience que neuf mois de grossesse donnaient aux futurs parents le temps de se préparer à accueillir l’heureux évènement.
Nous, nous n’avions qu’une semaine pour trouver peintre, tapissier et équiper sa chambre et toute la maisonnée. Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu

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