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La mouche

Publié le 21 septembre 2009 par Chroniqueur
La mouche
Pour Lisette
On l'enterre aujourd'hui, la vieille Dame, sonnent, sonnent, sonnent les cloches, amis, frères et soeurs, vous êtes tous conviés. Et ils sont nombreux à avoir répondu à l'appel, de grand et de petit âge, pour lui dire au revoir. Le cercueil est là, trop grand et imposant pour une petite Dame si discrète, avec de grosses poignées en laiton dont ses petites mains n'auraient pas pu faire le tour. Le cercueil du pauvre lui aurait suffi, elle qui ne demandait qu'une chose: être enterrée dans le petit village où elle a ses racines profondes: "Yavhé est mon berger, rien ne me manque. Sur des prés d'herbe fraîche il me fait reposer".
Les gens viennent s'asseoir. L'orgue joue, qui ne va pas tarder à tirer des larmes - c'est un instrument trifouilleur. Une douce lumière filtre des vitraux. Il fait beau dehors, même s'il fait un peu froid dedans: c'est la mort et la séparation.
- Notre soeur nous a quittés...
L'office commence tandis qu'une mouche virevolte au premier rang, chassée doucement par les uns et les autres. Moi, je vous ai tout de suite reconnue. Vous avez pris l'apparence simple d'une mouche d'église. Qui sait d'ailleurs si les mouches ne sont pas la forme familière des anges? Un petit insecte simple auquel on ne prête que peu d'attention, à votre image, vous qui ne cherchiez en aucune circonstance à vous faire remarquer, vous qui n'avez pas toujours eu l'attention dont vous auriez eu besoin. Mais qu'importe, vous voilà maintenant libre des peines de ce corps qui vous contrariait, volant dans l'église dont, durant des dizaines d'années, vous avez été la concierge, prenant soin d'ôter la poussière des bancs et d'allumer les cierges, accompagnée parfois d'une petite fille aux cheveux et aux rires emplis de soleil.
- Veux-tu faire moins de bruit! C'est la maison du Bon Dieu ici. Tu vas lui donner le tournis à courir comme ça.
Vous étiez également chargée de régler les cloches et je dois bien avouer que c'est une tâche qui vous convenait bien: nombre de fois où, après être venu vous voir, je suis reparti accordé et réconcilié avec moi-même. Vous ne le saviez pas. Vous ne le saurez jamais, comme une bougie brille et dispense sa lumière à tous. Votre douceur frêle m'inspire le savoir des mots simples et fidèles qui parlent au coeur, des mots légers et joyeux, discrets, comme votre prénom, la marguerite ou le moineau.
Et, tandis que tous les regards son rivés sur le cercueil - toujours trop imposant - vous vous plaisez à faire des loopings dans les raies de lumières colorées par les vitraux. Je vous regarde, confiant et joyeux, car je sais que dans la crypte des êtres chers, vous occuperez toujours la place des présences tutélaires qui rendent le lien et le foyer plus dense.

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