Magazine Journal intime

Passage des larmes

Publié le 03 octobre 2009 par Stella

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Ce n’est que sous la plume de mon camarade Abdourahman Waberi que Djibouti, ce confetti de pays situé au bout du bout de l’Afrique de l’est peut nous apparaître, comme dans un rêve, une « terre sans eau. Une terre rocailleuse, labourée par les pas têtus de l’homme. » Mais il n’y a pas que les pierres : « Les hommes, eux, sont là depuis la nuit des temps, les pieds poudrés par la poussière de la marche, l’esprit dévalant les galets du temps. » On ne peut dire plus justement les choses. Allons-nous glisser nos pas dans ceux d’Arthur Rimbaud et partir vers Tadjourah ? Oui, nous nous y rendrons mais ce n’est pas avec le célèbre poète français que nous avons rendez-vous, c’est avec le philosophe berlinois Walter Benjamin. Passage des larmes, dernier et étonnant roman d’Abdourahman Waberi, est à la fois une ode à la mémoire, un thriller et un hommage crypté.

Le mystère est partout et il sera plaisant pour le lecteur d’en débusquer les indices, dissimulés au détour des phrases ainsi qu’en un rébus. Djiboutien exilé à Montréal, Djibril revient au pays de ses ancêtres pour enquêter pour le compte de son employeur, Adorno Location Scouting. Adorno ?… N’est-ce pas là le nom du philosophe allemand dont Walter Benjamin était proche, l’homme destinataire de la seule lettre d’adieu qu’il ait rédigé avant de se suicider ? Ainsi va l’enquête, ainsi avance le roman, ni tout à fait réel, ni entièrement fictif. Dans cette petite nation perdue aux confins du désert, face à la Mer rouge, il y a bien des choses qui intéressent au plus haut point les grandes puissances occidentales et orientales, la France, les Etats-Unis, Dubaï et mobilisent d’obscurs réseaux. Justement, Djibril a un frère jumeau, Djamal, emprisonné sur un îlot et dont la petite voix insistante s’insinue dans le récit comme un fil ténu, mais solide. Il est une face cachée, une force magnétique, un esprit sombre qui renvoie aux questions difficiles que Djibouti n’a pas encore résolues, loin s’en faut. Par lui vient le doute, sur lequel se clôt le récit. Se rejoignent alors les deux cercles du roman, celui de l’extérieur qui concerne la politique et celui de l’intérieur car c’est aussi sur lui-même et en lui-même que ses investigations conduisent finalement Djibril.

Osons le dire : Passage des larmes est un excellent roman et certainement le plus accompli qu’ait écrit, à ce jour, Abdourahman Waberi. Complexe sans être confus, limpide quant au style et à la poésie qui s’en dégage, il témoigne d’une évolution de la pensée de l’auteur vis-à-vis du monde qui l’entoure et de ce continent africain qui lui tient tant à cœur. Nous sommes loin de la colère diffuse et de l’amertume d’Aux Etats-Unis d’Afrique, son précédent ouvrage. Avec un certain bonheur, il s’est laissé emporter par une forme d’empathie, un penchant naturel et mélancolique qui rapproche les perdants et les dominés et il s’en est servi pour construire des personnages denses et attachants. Ils nous entraînent dans leur ronde, nous charment et nous fascinent et c’est un plaisir, à lire absolument.

Abdourahman A. Waberi, Passage des larmes, éditions JC. Lattès, 249 pp, 17 €


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