Magazine Journal intime

What else ?

Publié le 05 octobre 2009 par Philippejandrok
J’ai consacré mon samedi dernier à ma mère, et nous avons flâné à travers les deux couloirs d’une brocante installée Place Broglie à Strasbourg.   Lorsque j’étais enfant, elle m’amenait toujours avec elle faire les « puces », le samedi et le mercredi, et pour cause, mon grand-père était antiquaire et le virus ne nous a jamais quitté. Elle m’apprenait à reconnaître les objets anciens des copies, les belles pièces, les plus rares, mon frère n’était pas trop intéressé, en tous les cas, il ne manifestait aucun enthousiasme face à toutes ces vieilleries, il y en avait assez à la maison, lui, il s’intéressait à des choses plus élevées, la littérature de SF qu’il dévorait pendant des heures.
Je me souviens d’un fameux samedi, c’était au printemps et mon père avait été attiré par un objet bien étrange qui reposait sur le sol. Il était en métal rouillé avec des pointes redoutables à son extrémité inférieure.
Le marchand avait indiqué : « fourchette à escargot » et elle devait bien faire plus de 30 cm de long pour un escargot de 3cm, ce devait être un outil conçu en dépit du bon sens, à moins qu’il n’est appartenu à Pantagruel.
-    Vous êtes sûr que c’est une fourchette ? Demanda mon père avec son accent inimitable.

-    Oui, je crois, enfin, je n’en sais rien, oui, enfin, je ne vois pas ce que cela pourrait être d’autre.

-    Bon alors combien pour cette fourchette.

-    10 francs.

Je le revois encore fouiller dans sa poche, sans même discuter le prix et sortir un billet de 10 francs tout froissé pour le tendre au marchand qui lui tendit en retour sa fourchette à deux pointes enveloppée dans un vieux journal. Mon père en se retournant me fit un clin d’œil complice et moi, petit bonhomme, je lui demandai :
-    C’est quoi papa ? Me prenant par les épaules et m’entrainant plus loin, il me répondit :
-    C’est un compas de compagnon du XVIIe siècle, il est rouillé, mais t’en fait pas, je vais le rattraper, une fourchette à escargot ! Ah ! Ah ! Ha ! Ah !

Et comme il riait, je riais, parce que ce devait être sacrément drôle, j’ignorai ce qu’était un « compagnon », et je n’avais jamais vu de ma vie un compas aussi gros et lourd, ce n’était pas avec çcelui-là que j’allais faire de la géométrie à l’école. Enfin, la fourchette à escargot devint aussi fameuse que le Vase de Soisson que j’accusai mon frère d’avoir cassé et qu’il m’accusait d’avoir cassé, Clovis devait se retourner dans sa tombe pour être Franc.
Une fois rentré à la maison, mon père jeta sa « fourchette » dans un gros pot en acier contenant de l’huile de vidange et il l’y laissa plusieurs semaines. Enfin, vint le jour de la découverte, l’huile avait parfaitement graissé la pièce qui était ancienne mais parfaitement utilisable. Il me montra les poinçons et la signature du maître dont c’était l’outil.

-    C’était un tailleur de pierre, il a même peut-être sculpté des pièces de la cathédrale, mais je le crois plutôt originaire du Limousin.

Je devais avoir 10 ans, je n’y comprenais rien, mais l’objet était splendide une fois nettoyé. Depuis, j’ai beaucoup appris, et mon oncle Dimitri ainsi que ma mère ont toujours souhaité que je m’installe comme Antiquaire. Tous les antiquaires ont leur spécialité, la mienne, c’était la peinture.
Samedi donc, en observant les pièces sur les stands, je fus attiré par un petit tondo sur cuivre, je n’eu aucun problème pour le dater, XVIIe siècle, le style, la manière, la façon de peindre, je dis à ma mère, c’est une peinture d’Europe de l’Est et je la pensai même d’origine Tchèque. Le vendeur s’approcha et me dit :
-    C’est du XVIIe…
-    Oui, je sais.

-    Ah !

-    C’est une peinture de l’Est de l’Europe, n’est-ce pas ?

-    Non, je l’ai acheté à une Russe.

-    Oui, c’est bien ce que je disais, combien en voulez-vous ?

-    800 euros.

Cela ne les valait certainement pas, c’était un cuivre, qui avait du charme, qui n’était pas fameux et qui était bien abîmé, et il existe tellement d’artistes remarquables de cette époque qui ont peint bien mieux que ça. Je le remerciai et continuai ma tournée. Ma mère trouva un objet Napoléon III en papier mâché sur un stand voisin pour 5 euros, une jolie pièce, et puis, après une heure, je suis revenu sur le stand de cette peinture sur cuivre pour découvrir un merveilleux dessin encadré et couché sur le sol.
J’ai longtemps été passionné par la peinture du XIXe et je me trouvais face à un dessin, non pas une reproduction, mais une parfaite copie à la mine de plomb de la « Source » de Ingres. Cela aurait très bien pu être un dessin d’amateur, mais non, il s’agissait de quelque chose de bien plus sérieux, de bien trop sérieux :
-    Ça vous intéresse ? me demanda le vendeur.   -    Éventuellement.
-    C’est une belle pièce.
-    En effet, c’est un dessin remarquable.
-    Je vous fais un prix.
-    Je ne sais pas, je ne suis pas encore décidé, le dessin est piqué ici et là, il est abîmé…
Enfin, tout l’argumentaire de l’acheteur pour faire baisser le prix, lui, il savait que ce dessin avait de la valeur, mais il ne savait pas d’où il venait, qui l’avait copié et surtout, quel était le tableau et le peintre copié. Oh, il en savait plus qu’il ne le laissait paraître, tous ces antiquaires ont les guides et les côtes des signatures, mais lorsque ce n’est pas signé, ils sont perdus, ils ne savent pas, ils sentent bien quelques chose mais le manque d’études les rend ignorant malgré eux, même s’ils ont un fluide pour sentir la « bonne came ».
Ce dessin, perdu au milieu d’autres tableaux plus ou moins bons, des signatures des années cinquante, un style français que je n’ai jamais apprécié mais qui a son charme, me tapait dans l’œil, alors l’ai-je acheté ou pas, le mystère demeure et ce n’est pas le sujet de cet article.
Après avoir flâné pendant deux heures, ma mère qui n’était plus seule me proposa d’aller boire un café chez Nespresso, rue de la Mésange.
-    Si tu veux, maman, je t’achèterais une machine et tu pourras sélectionner ton café, comme tu en bois peu, ce sera pour toi un plaisir.
-    Oh non, c’est beaucoup trop cher.

-    Écoute, j’ai des relations, je peux obtenir des prix très intéressants.

-    Non, non, allons déjà goûter, et nous verrons plus tard.

Après avoir passé le Café Reck installé sur le même trottoir depuis plus de 50 ans, une institution à Strasbourg, qui souffre à présent de cette terrible concurrence en tentant de s’en sortir par des campagnes publicitaires et médiatiques, mais comment lutter contre le beau Georges Clooney, une star internationale ?   Nespresso est une bien belle boutique, au design élégant avec toutes ces capsules de couleurs qui vous sautent au visage comme un tableau de Kandinsky, et je dois avouer que c’est plutôt séduisant. En revanche, en entrant, j’ai ressenti une ambiance, une atmosphère peu agréable, comme une tension, de l’électricité dans l’air, sans doute due à la gestion de la boutique, un patron qui pousse ses employés à faire du chiffre, même s'il n'y a pas de clients, faire du chiffre par la terreur.
J’ai d’ailleurs été frappé par l’attitude des vendeuses et des caissières qui ne me regardaient pas dans les yeux, c’était même plutôt gênant et à notre entrée, personne ne nous accueillit par un bonjour habituel, lorsque l’on fréquente ce genre d’endroit plutôt snob.
Au fond à droite de la boutique se trouvait aménagé un charmant espace dégustation avec au bar, un grand noir magnifique en costume trois pièces d’une élégance rare, qui n’avait rien à voir avec le Sénégalais de « Y’a bon Banania », symbole du souvenir du bon vieux temps des colonies, le sourire aux lèvres et les dents impeccables pour souligner l’origine et la force brute du produit, nous accueuillit avec amabilité.   -    Bonjour Monsieur, comment fait-on pour commander ? Doit-on payer à la caisse ? lui demandais-je.
-    Bonjour Monsieur, êtes-vous membre exclusif du club Nespresso ?
-    Absolument pas.

-    Cet espace est réservé uniquement aux membres exclusifs du club Nespresso.

En clair, je reprendrais le mot de Cambronne, non plutôt celui du Président Sarkozy :
- Casse-toi pauv’con !
Je n’ai pas insisté, je n’allai pas user mon énergie contre un serveur en livrée qui ne faisait qu’exécuter les ordres de sa direction ; de son côté, ma mère était très déçue et le fit savoir à haute et intelligible voix, c’est l’avantage de la vieillesse :
-    Chut, maman, ce n’est pas grave, ce ne sont pas les cafés qui manquent au centre ville, et des cafés où tu n’as pas besoin de carte de membre.
-    Mais c’est incroyable, c’est absolument anti commercial, je ne reviendrais pas, vous m’entendez, incroyable, anti commercial... C’est nul !
-    C’est leur mode de communication, What else ?
Nous vivons une époque formidable !

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