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Sylduria chapitre XI

Publié le 05 octobre 2009 par Lilianof

Chapitre XI
Cyril des Gadéseaux

C’était le jour tant attendu. Le film dont Lynda était la révélation venait de sortir en salle et l’on attendait les critiques. À cette occasion, un éminent journaliste vint lui rendre visite.

« Mademoiselle Lynda Souchichou... ?

– C’est elle-même. Vous pouvez m’appeler Lynda. C’est plus simple.

– Je vous remercie. Cyril Des Gadéseaux, du Provocateur Républicain. Mais vous pouvez m’appeler Cyril.

– Enchantée ! Veuillez excuser mon visage fatigué, j’ai travaillé toute la nuit et je n’ai pratiquement pas dormi.

– Mais vous êtes charmante, vraiment charmante.

– Vous n’êtes pas difficile ! »

« C’est pourtant vrai qu’il est mignon, le petit gribouillard, se dit-elle. »

Lynda plaisait à beaucoup d’hommes, mais très peu lui plaisaient. Elle savait que sa beauté lui permettait de faire la difficile. Si ce jeune gratte-papier lui a tapé dans l’œil, c’est qu’il était vraiment beau garçon. Elle lui proposa une coupe de champagne qu’il accepta volontiers.

« Asseyez-vous sur le canapé, à côté de moi, nous serons plus à l’aise pour parler. »

Attention, Cyril, elle est en train de t’allumer !

« Avec plaisir. Donc, résumons-nous, vous vous appelez Lynda.

– Avec un Y.

– Avec un Y. Bien ! Et vous êtes une véritable princesse. Vous êtes née en Slovaquie.

– Syldurie.

– En Syldurie. Et comment vous est venu le désir de faire du cinéma ?

– Eh bien ! Quand j’étais petite, mon père m’a emmenée voir « le Dictateur » de Chaplin. C’est ainsi que m’est venue la vocation.

– Je vous remercie ; Permettez-moi de prendre quelques photos.

– Mais je vous en prie. »

Cyril sortit de son étui un appareil photographique aux dimensions impressionnantes. Il visa sous tous les angles la jeune fille qui multipliait les poses, rejetant ses beaux cheveux en arrière, puis en avant, dégageant une épaule, puis l’autre, étendue sur le canapé, elle croisait et décroisait ses jambes pour les montrer dans leur galbe le plus harmonieux, arrondissant ses lèvres qui semblaient dire « Doudoubidou ».

« Voilà, je vous remercie beaucoup. Je suis au regret de vous quitter.

– Comment ? Vous allez déjà partir ? Mais vous n’avez posé que deux questions.

– Rassurez-vous, chère Lynda, même avec trois mots sur mon carnet, je vous ferai un article particulièrement élogieux. C’est tout l’art du journalisme. Exploiter tous les non-dits pour compiler les informations. « Ne rien voir, ne rien entendre, tout écrire. » Telle est ma devise.

– Vous êtes donc si pressé de partir ?

– Malheureusement, oui. Je dois rencontrer le pasteur Lilianof, de la Mission Protestante Evangélique de Paris. Sa compagnie sera beaucoup moins agréable que la vôtre.

– Un vieux théologien poussiéreux ?

– Vous avez tout compris.

– Une autre coupe de champagne, avant de nous séparer.

– Oui, une petite flûte, un picolo, pour la route.

– Cyril, lui dit elle en tenant sa bouche tout près de la sienne, j’aimerais que nous fassions plus ample connaissance. Que diriez-vous d’une soirée, rien que toi et moi, au Fouquet’s ?

– Au Fouquet’s ? Mais avec le plus grand plaisir, ma chère Lynda. J’aurais voulu y faire des photos pour l’élection du Président, mais ils ne m’ont pas laissé entrer.

– Je vous y ferai entrer, moi, au Fouquet’s, et même à l’Elysée.

– Maintenant, il faut vraiment que j’y aille. Vous êtes très jolie. Vous me plaisez beaucoup. On se rappelle ?

– Vous aussi, Cyril, vous me plaisez beaucoup. À bientôt. »

Sitôt seule, elle tira son carnet où elle écrivit en capitales le nom de Cyril des Gadéseaux.

Elle triomphait.

« Encore une flèche tirée en plein cœur ! Décidément, ma petite Lynda, se disait-elle, tu es championne dans toutes les disciplines. Et ce lourdaud de Wladimir qui dit que je dois m’entraîner pour gagner. Mais je suis une gagnante. M’y voici, sur le podium. J’entends déjà la Marseillaise. Tout ce que je fais réussit. Je suis la meilleure. Je suis belle, je suis riche et bientôt célèbre. Mon film va sortir en salle et m’élèvera jusqu’à l’Olympe. J’ai fait le plein d’actions Péchilamachintrucchouette. Et pour la séduction, je suis redoutable. Je l’ai bien ligoté ce petit folliculaire. Il est à moi, maintenant, je le tiens, il ne m’échappera pas. Et en plus, je l’aime. »

Des coups à la porte la tirèrent brusquement de sa rêverie.

« Qui est-ce ?

– Julien.

– Julien ? Quel Julien ? Ah ! Julien !

Julien est un jeune homme de vingt ans qu’elle avait rencontré la nuit dernière. Conquis pas sa beauté, il l’avait invitée à danser. Elle avait beaucoup bu. Ils avaient passé un bon moment collé l'un contre l’autre.

« Ah non ! » murmura-t-elle. « Pas encore ce paquet de glu ! »

Elle ouvrit, face à elle se trouvait ce jeune garçon, fiancé d’un soir, mais qu’elle avait déjà oublié.

« Eh bien ! Entre.

– Ah ! Lynda ! Te retrouver enfin ! Ma Lynda ! Mon amour !

– Ton amour ? Et depuis quand ?

– Mais depuis que je t’ai vue ! Depuis que mes yeux ont croisé tes yeux. Depuis que ma bouche a frôlé ta bouche. Depuis que mes mains ont saisi tes mains...

– Ah ! Oui ! C’est vrai. Excuse mon visage fatigué, Julien, j’ai travaillé toute la nuit et...

– Arrête, Lynda ! Nous avons fait la fête toute la nuit. Nuance. Avec ta copine Elvire. Tu t’en souviens, tout de même ? Si tu appelles ça travailler !

– Euh ! Oui. Pardonne-moi. Je n’ai pas dormi et j’ai l’esprit tout embrouillé. J’allais me coucher.

– Lynda, je ne peux plus me passer de toi. Je ne peux plus vivre une heure sans toi. Tu m’as conquis, tu m’as vaincu, tu as capturé mon cœur. Je suis ton prisonnier.

– Comme c’est beau ! Comme c’est poétique !

– Mon amour, mon trésor, depuis que tu m’as serré dans tes bras, que tes yeux ont pénétré les miens comme deux poignards...

– On m’a déjà dit que j’avais un regard meurtrier, mais là tu exagères.

– Quand tes lèvres se sont collées sur les miennes, elles m’ont foudroyé.

– C’est l’électricité statique.

– Enfin, quand tu m’as déclaré ton amour, j’ai cru en mourir.

– Je t’ai déclaré mon amour ? Moi ?

– Mais enfin, Lynda, as-tu déjà tout oublié ? Nous avons dansé toute la nuit. Tu t’es frottée contre moi. Tu m’as allumé comme un vieux cigare.

– Oui, c’est possible. J’en ai tellement fait et tellement dit. Quelle nuit !

– Alors, tout ça, c’était de la comédie ?

– Peut-être pas. J’ai pu être amoureuse de toi dix minutes, un quart d’heure. Il faut dire que j’avais déjà trois litres de champagne dans le réservoir. Je t’ai peut-être déclaré mon amour dans un moment de délire éthylique. J’aurai dit « je t’aime » à n’importe qui et même à n’importe quoi : à un âne, à un orang-outang. Et toi tu tiens de l’un et de l’autre.

– Comment oses-tu me traiter ainsi, après m’avoir donné tant d’espoir ? Mais je tiens à toi, je t’aime, je ne te quitterai pas. »

Le jeune homme éploré tombait à genoux et s’accrochait au bas de sa robe comme si elle seule pouvait le sauver des sables mouvants. Comme il était pitoyable !

« Eh bien si ! Justement ! Tu vas me quitter, tu vas saisir la poignée de porte et tu vas débarrasser ma vue de ton image ridicule.

– Lynda ! Tu ne peux pas me chasser comme ça. Je t’aime, Lynda, je vais mourir. Je suis mort. Tu m’as tué.

– Eh bien moi je ne t’aime pas ! Et je n’aurai aucune peine à trouver un garçon mieux tourné que toi. D’ailleurs, j’en aime un autre, un journaliste.

– Mais, Lynda !

– Fiche le camp !

– Lynda !

– Disparais !

– Lynda !

– Casse-toi !

– Lynda !

– Mets les bouts !

– Lynda !

– Arrache-toi !

– Lynda !

– Dehors ! »

Lynda empoigna le pauvre garçon par les épaules et le projeta de toutes ses forces sur le palier.

« Encore un jouet de cassé ! » Et, ce disant, elle inscrivit dans son carnet le prénom de sa dernière victime, qu’elle biffa aussitôt.

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