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Hommage à Maître Jacques

Publié le 11 octobre 2009 par Jlk

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Un rayon de lumière sur l’eau sombre

Par Anne-Marie Jaton

Si on me demande, en ce jour de sa mort, qui est Jacques Chessex, je répondrai: un poète. Il a su restituer aussi bien dans sa prose que dans son œuvre lyrique notre angoisse du temps, la part d’ombre et de lumière qu’il y a en chacun de nous, la jouissance d’un paysage, l’alternance du charnel et du décharné, la mort qui nous attend. Parfois aussi surgit le jeu, un sautillement, un éclair de grâce avant que l’écrivain ne retombe dans l’obscurité et la gravité. J’aime les âpres nouvelles d’Où vont mourir les oiseaux et du Séjour des morts qui frappent au cœur, je relis Feux d’orée pour retrouver une prose poétique sans faille, conduisant à des paysages qui tressaillent et respirent. Chappaz le définissait comme « une eau dormante avec de hautes humeurs », et c’est ainsi que va son écriture, suivant le rythme des étangs et des ruisseaux tumultueux. L’écrivain fut le chantre de l’abîme et de l’air, le chantre des profondes et éternelles contradictions de l’homme, toujours oscillant entre la tendresse et la cruauté, et que la tombe attend inéluctablement. Nous ne sommes qu’une parenthèse, Jacques Chessex l’a répété partout et sur tous les tons, du cocasse au tragique, avec Pascal et Agrippa d’Aubigné. La parenthèse est fermée, l’œuvre reste ouverte.

A.- M. J.

Trois questions à Anne-Marie Jaton

- Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire un livre sur Jacques Chessex ?

- Dès le début de sa carrière, j'ai été sensible à sa poésie et à ses nouvelles, à ses proses si denses et si belles, autant qu'à ses premiers grands livres, tels Portrait des Vaudois ou Carabas. Dans le Chessex successif, je suis moins sensible aux romans qu'aux autofictions du genre de L'Ogre, de Jonas ou de Pardon mère, ou aux étapes de sa quête spirituelle, qu'à ses "romans Grasset". Dans son ensemble, l'oeuvre , complètement étrangère aux modes - il disait que la mode et juste bonne pour les modistes - reste d'une envergure exceptionnelle. 

- A-t-il collaboré au livre ?

- Il m'a aidé sur cetains point, mais j'ai résisté à son besoin d'imposer telle ou telle direction, comme Nicolas Bouvier l'a essayé lui aussi pour le livre que je lui ai consacré. L'explication de l'auteur n'est pas forcément plus équilibrée que celle du lecteur-commentateur, et Chessex a joué le jeu. Sur certains chapitres - comme celui qui traite de l'image de la femme, il aurait pu "tiquer", alors qu'il n'en a pas changé une virgule et s'est montré finalement intéressé et satisfait.

- Précisément, quelle image de la femme ressort-elle de son oeuvre ?

- A l'exception de Myriam, dans la lettre qu'il lui adresse, il n'y a guère de compagne de vie quotidienne vécue dans le temps, ni d'ailleurs d'enfants. La femme est soit objet de perte ou d'extase, entre sexe et désespoir; source de bonheur physique ou instrument de douleur. Or, derrière un érotisme parfois exacerbé, il y a une souffrance, un vide, un vertige qu'on n'a pas assez perçu. Derrière la femme "icône", j'ai ressenti des profondeurs qui sont indissociables d'un drame à la fois charnel et spirituel.

Propos recueillis par JLK

Cet hommage a paru dans l’édition de 24Heures du 12 octobre 2009.

 

(Anne-Marie Jaton, professeure titulaire de la chaire de français de l’Université de Pise, est l’auteure de la première monographie consacrée à l’ensemble de l’œuvre de Jacques Chessex, parue en 2001 aux éditions Zoé, sous le titre de Jacques Chessex, La lumière de l’obscur)


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