Magazine Humeur

Traité de Lisbonne : le soulagement des fulminants (I)

Publié le 18 octobre 2009 par Hermas

Le biais des médias en faveur de l'Union européenne n'est plus à prouver (1). Le second référendum irlandais sur le traité de Lisbonne nous a donné une nouvelle occasion de constater l'unanimisme habituel. Les commentateurs dissimulent à peine le soulagement que leur procure le " oui " irlandais obtenu de façon on ne peut plus discutable. Deux sujets majeurs - intimement liés - font consensus dans la quasi-totalité des médias : le libéralisme et la construction européenne. Ils nous sont toujours présentés comme allant de soi. Pourquoi sommes-nous ainsi privés d'un débat public digne de ce nom ? Les taux d'abstention aux élections européennes (2) et les doutes quant aux vertus démocratiques de l'UE n'ont jamais été aussi forts, au nom de quel intérêt supérieur les médias refusent-ils aux citoyens le pluralisme dont ils font grand cas lorsque celui-ci ne les engage à rien ?

Quel que soit le texte institutionnel du moment, les dirigeants européens sont assurés d'obtenir le concours actif des médias pour en faire la promotion ; ceux-ci sont d'ailleurs les auxiliaires les plus affairés lorsqu'il s'agit de chanter les louanges de a priori , selon l'expression de Sylvie Pierre-Brossolette du . L'UE "d'après le rédacteur en chef adjoint de France Info, Bernard Thomasson. claironne Christophe Barbier, " Cette Union européenne qu' tout le monde souhaite (3) Point doit achever son aboutissement (4) " On est en manque d'Europe (5) " L'Europe est notre avenir (6) tranche Edwy Plenel. Bref, les médias pratiquent le principe tautologique selon lequel " il faut plus d'Europe parce qu'il faut plus d'Europe " et nous sommes priés de ne pas en douter.

Chacun put vérifier de nouveau la parfaite harmonie médiatique à l'occasion de ce que Laurent Delahousse a appelé un " référendum de rattrapage (7) ". Le 2 octobre, le traité de Lisbonne - reformulation délibérément confuse (8) du traité constitutionnel européen rejeté par les Français et les Néerlandais en 2005 - a été adopté en Irlande par 67,1 % des voix. Le peuple irlandais avait été contraint de se prononcer une seconde fois sur le même texte bien qu'il l'eût rejeté le 12 juin 2008 (53,4 %), cette première réponse n'étant manifestement pas la bonne. Si dans les autres pays les gouvernements ont contourné leur peuple en ratifiant le traité par voie parlementaire, un tel stratagème n'était pas légalement possible en Irlande. Au Figaro, on s'était réjoui de cette limitation de la souveraineté des peuples : " Heureusement, l'Irlande est le seul pays dont la Constitution l'oblige à soumettre tout traité au vote populaire (9). " L'organisation d'un second référendum ne posa aucun problème aux commentateurs pourtant habituellement pressés de se scandaliser avec force grandiloquence dès que la " démocratie " est menacée quelque part dans le monde. Mais après tout pourquoi contester ce qui allait être, cette fois-ci, c'était sûr, " L'ultime vote des Irlandais sur le traité de Lisbonne (10) " ?

Dès l'annonce du " non " irlandais en 2008, les journalistes relativisèrent en chœur la portée de ce verdict populaire. Puisque "Le scénario du pire [était] arrivé en Irlande " ( Le Figaro, le 14 juin) et que " 862 415 personnes [avaient] scellé le sort d'un projet conçu pour près de 500 millions d'Européens " ( Libération, le 14 juin), " Il [allait] falloir dédramatiser le non irlandais " ( Le Figaro, le 14 juin). Avec une logique toute personnelle, Dominique Reynié affirma alors : " Quiconque tient au respect des souverainetés nationales doit souhaiter que le processus de ratification aille jusqu'à son terme pour ne pas léser les États qui n'ont pas encore décidé (11). " Aucun de nos éditorialistes d'élite ne propose de revoter lorsque le résultat lui convient. Sur la base de quel raisonnement ne pourrions-nous pas revoter sur le traité de Maastricht, par exemple ? Et pourquoi ne pas organiser une " belle " en Irlande ? Non, nous ne sommes autorisés à changer d'avis que dans un seul sens, celui que les médias dominants approuvent.

Après le " désastre " de juin 2008, certains commentateurs finirent même par oublier que les Irlandais avaient déjà voté. Ainsi, Jean-Claude Casanova, le co-animateur de l'émission " La rumeur du Monde " sur France Culture déclara lors d'un " débat " (les présents étaient d'accord sur tout) précédant les élections européennes : " le projet européen n'est pas clair, aujourd'hui on ne sait pas sur quelles institutions européennes nous allons nous trouver puisque les Irlandais ne se sont pas encore prononcés [sur le Traité de Lisbonne] (12) ". Personne ne le reprit dans le studio, ni Jean-Marie Colombani, ni les deux invités, Brice Teinturier (directeur de l'unité Stratégie d'Opinion, TNS Sofres) et Gérard Courtois (directeur éditorial au Monde), tous partisans du " oui ", bien sûr.

La minimisation systématique de la valeur du " non " irlandais instaura un climat médiatique favorable à la tenue d'un nouveau référendum. Lorsque celui-ci arriva, les vieux réflexes revinrent aisément et l'on s'assit une fois encore sur le pluralisme.

À chaque étape de la construction européenne les médias déploient leur dispositif d'approbation béate des " avancées " institutionnelles. Ainsi, avant l'annonce du résultat du re-référendum irlandais, la machine se mit en branle, assez tardivement cette fois-ci (13) (le 2 octobre, le jour même du scrutin), comme s'il convenait de ne pas trop prendre le temps de rappeler l'épisode de 2008. Alors les journalistes se mirent à radoter leurs vieux standards. Le sort du traité de Lisbonne, ce petit texte anodin " destiné à améliorer le fonctionnement de l'Union européenne (14) ", était une nouvelle fois suspendu au bon vouloir de ces " ingrats d'Irlandais (15) ". Le 2 octobre, La Croix attendait " pour savoir si 0,9 % de la population de l'UE enterrera[it], à elle seule, le traité de Lisbonne" ; Le Monde regrettait comme en 2008 que " la petite Irlande, 4,4 millions d'habitants, tien[ne] dans ses mains, pour une bonne part, le destin institutionnel de 500 millions d'Européens. " Pour les prescripteurs d'opinion, l'Union européenne est d'ores et déjà souveraine et le " petit poisson irlandais" ( Libération, le 2 octobre) ne devrait pas avoir voix au chapitre sur un projet aussi impérieux. C'est ainsi qu'ils piétinent sans aucun scrupule la souveraineté populaire et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Le zèle oui-ouiste des médias se remarque aisément au vocabulaire employé, à la tournure des phrases, au ton. Lorsque l'on affirme que " Dublin bloque un traité censé mieux faire fonctionner l'Europe" (France Info, le 2 octobre), que l'Irlande est " responsable de la paralysie " ( lemonde.fr, le 3 octobre) ou que " Demain soir, la porte irlandaise pourrait bien s'ouvrir" ( La Croix, le 2 octobre), on sous-entend que le traité de Lisbonne est une bonne chose, que l'UE l'est aussi et qu'aucune personne raisonnable ne saurait s'y opposer. De même, en mettant en " une " des titres comme " L'Europe attend l'Irlande" ( Libération, le 2 octobre) ou " L'Europe attend le "oui" irlandais" ( La Croix le 2 octobre), les rédactions semblent exprimer leur propre impatience et utilisent le terme " Europe " d'une façon ambiguë (16). En effet, que désigne-t-il ici sinon les partisans du traité de Lisbonne et plus largement ceux de l'Union européenne ?

Les mots choisis pour parler des défenseurs du " oui " possèdent toujours une connotation positive (17) alors que les nonistes, quels qu'ils soient, se retrouvent rapidement affublés des habituels anathèmes : " nationalistes ", " populistes ", " égoïstes ", adeptes du " repli sur soi ", etc. Ces méthodes grossières de dénigrement se pratiquent aussi par l'image. Le reportage que TF1 a consacré au référendum irlandais dans son journal de 20H du 2 octobre est " exemplaire " à cet égard. Le bref sujet arrivant en quatorzième position nous montre deux jolies jeunes filles distribuant des tracts en guise de partisans du " oui " alors que le visage du " non " est celui d'une dame moins avenante, à moitié hystérique, éructant contre l'avortement. Et quand les journalistes envisagent une deuxième victoire du " non ", c'est toujours pour nous prédire un malheur : cela , le 2 octobre). Dans l'esprit des partisans du " oui ", c'est assez simple : le traité de Lisbonne et plus largement la construction européenne sont né-ce-ssai-res, ils ne sont donc pas négociables. Tout discours alternatif est censuré ou discrédité. Les médias cherchent sans cesse à donner l'impression que l'UE fait consensus tout en oubliant de préciser que s'il y a consensus, c'est entre les gouvernements des pays européens et pas entre les peuples et leur gouvernement respectif " discréditerait l'UE sur la scène internationale " ( La Croix, le 2 octobre), cela " plongerait l'Europe dans une grande incertitude " (France Info, le 2 octobre), " l'UE resterait figée dans le traité de Nice " ( Le Figaro, le 2 octobre), ce qui " empêche[rait] d'avoir une vraie impulsion politique " et provoquerait " une difficulté à avancer " ( Le Parisien, le 2 octobre). Et comme " une gouvernance de l'Union plus efficace serait nécessaire " ( La Croix, le 2 octobre), " Si le "oui" l'emporte [...], tous les espoirs sont permis " ( Le Figaro(à suivre).

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(1) Pour un rappel de leur comportement lors du référendum français de 2005, voir le livre de Henri Maler et Antoine Schwartz (pour Acrimed),
(5) Émission " C dans l'air ", " L'Irlande torpille l'Europe ", France 5, le 13 juin 2008.
(6) " Le duel du week-end ", France Info, le 21 juin 2008.
(7) Journal de 20H, France 2, le 2 octobre 2009.
(8) Pour mesurer le caractère délibéré du maquillage, voir l'article co-écrit par Dominique Guillemin et l'auteur, " Traité européen : Que s'est-il passé ? Du référendum de 2005 à la ratification de 2008 ", mis en ligne le 18 février 2008 : www.legrandsoir.info/Traite-europeen-Que-s-est-il-passe-Du-referendum-de-2005-a-la.html.
(9) Pierre Rousselin, éditorial, Le Figaro, le 14-15 juin 2008.
(10) Laurence Jousserandot, France Info, le 2 octobre 2009.
(11) " Traité de Lisbonne : il est juste de poursuivre la ratification ", Le Figaro, le 20 juin 2008.
(12) France Culture, le 25 avril 2009.
(13) Le Journal du Dimanche du 27 septembre, par exemple, ne disait pas un mot du second référendum irlandais. Le seul " événement " que la rubrique intitulée " À suivre cette semaine " mentionnait pour le vendredi 2 octobre était la présence de Michelle Obama à Copenhague " pour soutenir la candidature de Chicago dans l'attribution des Jeux olympiques de 2018 ".
(14) Le Monde (15) Pour se faire une idée de l'infantilisation et de la culpabilisation que pratiquèrent les journalistes français à l'égard des électeurs irlandais, voir l'article de Denis Perais et Mathias Reymond, " Traité de Lisbonne : ces Irlandais d'où vient tout le mal ", mis en ligne le 23 juin 2008 : www.acrimed.org/article2922.html.
(16) On remarquera à ce sujet que les journalistes - comme les dirigeants politiques - utilisent presque toujours le mot " Europe " pour parler en fait de l'Union européenne. C'est assez habile car il est moins commode de critiquer publiquement cette dernière quand on la pare du nom plus noble d'" Europe ".
(17) Il est assez cocasse de voir Libération (le 2 octobre) citer favorablement un évêque irlandais - Noel Treanor - pour montrer que même l'Église catholique approuve le traité de Lisbonne. Devant le Parlement irlandais, celui-ci avait dit : " le traité de Lisbonne n'altère pas la position légale sur l'avortement en Irlande. Un catholique peut, sans réserve et en bonne conscience, voter oui ".
(2) En juin 2009, le taux d'abstention moyen dans les pays de l'UE fut de 57,2 %. En France il atteignit le chiffre record de 59,4 %. Au lieu de s'interroger sur la signification d'une telle abstention, les médias préférèrent s'extasier sur la " performance " de la liste Europe Écologie et sur les déboires du MoDem.
(3) " Le duel Libération- Le Point ", France Info, le 13 juin 2008.
(4) France Info, le 26 mai 2009. Médias en campagne : retours sur le référendum de 2005, Syllepse, 2005.


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