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le silence de la machine

Publié le 19 octobre 2009 par Cecileportier

le silence de la machine

Ce qui ferme la bouche de Julie, c'est un autre silence. Le silence d'une machine, d'un témoin. Julie souffre de l'absence d'un bruit qui, avant, rythmait ses nuits.
Car depuis quelques années Julie s'endort au rythme de l'ascenseur. Son lit, logé dans un renfoncement de la chambre qu'elle partage avec sa demi-soeur, longe la cloison de la machinerie (voir plan). Dès que l'ascenseur est appelé elle entend le vombrissement de la machine. Au début, ce bruit la génait, l'exaspérait. Puis, elle s'est mise à l'étudier, à l'attendre. Progressivement elle a pu distinguer, rien qu'à l'ouïe, quels sont les étages desservis. Elle a fait des recoupements : horaires, étages, noms sur les boites aux lettres d'en bas. Elle a développé une science aussi fine que celle des sioux collant leur oreille aux rails : elle sait que le premier déclenchement de l'ascenseur à 5h25 le matin, c'est le voisin du premier qui part superviser les ménages dans des bureaux de la Défense. Elle sait qui sont les gens qui rentrent manger entre midi et deux.  Elle sait quels enfants rentrent de l'école à 16h30, quels autres vont à l'étude. Elle a même repéré qu'entre 15h30 et 16h00, l'ascenseur descend du quatrième, où habite Monsieur ..., célibataire, au second, où habite Madame ..., mariée mais dont l'époux travaille, et qu'une demi-heure plus tard l'ascenseur fait le chemin inverse.
Elle sait tout ça, à force d'écoute attentive, allongée dans son lit à telle ou telle heure du jour.
Elle connait tous les rythmes intimes de l'immeuble, la rumination incessante de ses habitants.
Et cela bat la mesure de sa propre vie désormais. A tel point qu'elle ne s'endort jamais avant d'avoir entendu le dernier appel de la machine,entre minuit trente et minuit quarante cinq. C'est l'heure du voisin de palier, celui qui appelle toujours Nathalie, sa mère, par son prénom. Chaque jour normalement à cette heure il sort, et cette heure incongrue interroge Julie. L'interrogation se prolonge en rêverie. Puis la rêverie se dilue dans le long sommeil de la nuit.
Or, depuis quelques jours, entre minuit trente et minuit quarante cinq, la machinerie de l'ascenseur reste silencieuse, et Julie ne s'endort plus.

Graphique : fréquence et horaires de déclenchement de l'ascenseur (sans données communicables)

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