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Le Vol du papillon

Publié le 22 octobre 2007 par Laura Dove

Après le départ d'Antoine, j'occupai mes nuits en travaillant sans relâche à maîtriser mes gestes, en m'entraînant à passer pour un mortel et, bien évidemment, en recherchant des victimes appropriées. La tâche se révéla plus ardue que je ne l'avais escompté, dans la mesure où boire sur les paysans me révulsait -- fût-ce en leur laissant la vie sauve. Je dus néanmoins y recourir plus d'une fois, à mon grand désespoir: bien que la prospérité de la région attirât les brigands de tout poil, leur nombre ne suffisait pas toujours à me sustenter.

A cette époque, je découvris sur les vampires et sur moi-même une vérité que j'eusse préféré toujours ignorer. Je commis ce que l'on ne peut qualifier que de regrettable erreur de jeunesse et qui, aujourd'hui encore, me couvre de honte. Oh, je ne détruisis aucune vie que je n'eusse condamnée en mon âme et conscience. Mais, le soir où je tuai pour la première fois une victime sans l'avoir auparavant endormie, j'appris que nos instincts sont altérés de la terreur des mortels; j'appris que l'odeur, le goût de la peur nous enivrent au point de pouvoir nous perdre, si nous n'y prenons garde. Une fois la fièvre retombée, je me jurai de ne jamais plus me laisser aller de la sorte... Constater que j'avais déchiré mes vêtements dans ma précipitation acheva de me convaincre. Depuis cette nuit, j'ai perpétré bien des horreurs, massacré, torturé, même. Mais ce serment-là, je ne l'ai jamais rompu.

Ces premiers mois de mon existence de vampire, je les passai dans une solitude presque totale. Au fil des semaines, comme je gagnai en assurance et, de ce fait, pus trouver le loisir de me pencher sur ma situation, je me mis à regretter la compagnie de ceux qui m'étaient chers. La belle Eléonor, notamment, envahissait chaque nuit un peu plus ma conscience. Je croyais l'apercevoir derrière chaque maison, peignais son visage dans chaque nuage, cherchais le souvenir de ses yeux dans les flammes des bougies. Dans la retraite de ma cabane, je m'imaginais caressant de mon regard le moindre détail de son corps et m'imprégnant de l'odeur chaude de sa peau. Oh, combien souvent je rêvai des étreintes les plus impudiques! L'inactivité et la réclusion laissaient la voie libre à mes fantasmes pour s'enfler jusqu'à l'obsession.

Je résolus de l'épier de loin, profitant de l'acuité que le vampirisme conférait à ma vue; à la seconde même où mes yeux se posèrent sur elle, sa beauté me frappa plus vivement que jamais auparavant et volatilisa toute hésitation. J'étais ensorcelé. A compter de cet instant, il ne s'écoula plus une nuit sans que je partisse guetter l'apparition de celle qui faisait chavirer mon cœur. Avec le temps, je m'enhardis, allant jusqu'à m'introduire dans le château où, célibataire, elle vivait encore avec sa famille, afin de mieux la contempler dans son sommeil.

Un soir, l'inévitable finit par se produire: Eléonor me vit.


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