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La question

Publié le 25 octobre 2009 par Cecileportier

La question

Ma fille, il y a quelques jours :

-         Maman, c’est fort comment un cyclone ?

Moi, en lavant la vaisselle, en pensant aux choses à faire, aux choses à écrire, en surveillant la casserole sur le feu (moi : un gérondif tourbillonnant, peut-être pas assez présent)

-         Très fort ma chérie

-         C’est fort comme quoi ?

-         C’est très très fort, ça peut détruire… Euh… Quand ça passe sur un arbre, ça détruit l’arbre.

-         Et ça peut détruire une voiture aussi ?

-         Oui

-         Et une maison ?

-         Oui, ça peut

-         Et un immeuble ?

-         Mm, mm

-         Et, une ville ?

-         Mm, mm

-         Une ville, t’es sûre ?

-         Oui, si c’est une petite ville ça peut

-         Mais pourquoi maman quand je te pose des questions tu réponds toujours par Mm mm ?

-         Eh bien, parce que…

-         Mais si c’est une grande ville maman, ça peut la détruire ?

-         Euh, oui, si elle n’est pas très solide

-         Mais si elle est très solide, elle n’est pas détruite ?

-         Le cyclone peut quand même faire des dégâts. Mais ne t’inquiètes pas, à Paris il n’y a pas de cyclone

-         Mais qu’est ce que ça peut détruire encore, un cyclone ?

-         Je ne sais pas, moi… Plein de choses…

-         …. Et est-ce que ça peut détruire ma question ?

Entendre ça, cette petite phrase haut perchée, ce fut comme se retrouver exactement dans l’œil calme dudit cyclone.

La maman machinale sortit brusquement du gérondif pour se retrouver nez à nez avec le Verbe, mais ce n’était pas le mien.

Entendre ça, ça force à faire des constats. Principalement celui que je m’épuise chaque jour à approcher seulement, et de loin, ce qui venait d’être dit ici de façon fulgurante et précise. A approcher cela, que la seule chose de nous indestructible, c’est notre question.

Que dans sa fragilité, elle est plus résistante que notre chair, que tous les bétons armés que nous avons construit pour protéger notre chair.

Notre question, ce n’est pas seulement, pas exactement notre parole, qui peut se dissoudre en bavardages, se moisir en héritages, s’éparpiller à tous les vents.

Notre parole est une maison que les cyclones, même doux, pulvérisent.

Tandis que notre question, elle, est un pur cyclone. Elle en a tout : avec son trou au dedans (béance calme ou abîme), beaucoup de déplacements, et une grande circulation de sens tout autour.

C’est pour cela que notre question ne sera pas détruite.

Ce qui ne veut pas dire qu’elle restera.


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