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Le point de rupture

Publié le 01 novembre 2009 par 509
Le point de rupture
Le point de rupture
par Carmel Paul-Austin, Militante féministe,ancien directrice générale du ministère à la condition féminine et aux droits de la femme et ministre de l'éducation nationale du président Aristide
Plus que jamais, nous ne saurions faire l’économie des questions de fond. Il y a longtemps que nous travaillons à opérer la rupture avec le régime de nondroit, et ses corollaires : la dictature, la gabegie administrative, la corruption et l’impunité. La tâche qui nous incombe, en ces moments difficiles, est déterminante : élucider les principes cardinaux d’une sortie de crise(s). Il s’agit tout simplement d’agiter le débat dans le sens d’une refondation de la praxis politique, de la praxis publique. Car nous ne pouvons encore continuer avec les mêmes repères, dans les mêmes moules, sinon nous serons exposés aux mêmes problèmes.
Cette mise en garde est pour nous l’occasion de rappeler dans quelles circonstances l’actuel premier ministre fut désigné, puis ratifié. Trop souvent nous faisons preuve d’amnésie, et c’est le prétexte idéal pour mettre de côté les principes. Lors de sa désignation, nous soulignions, le 25 juin 2008, sur la Voix de l’Amérique, deux points qui nous paraissaient indicateurs d’une faillite annoncée, et qui reviennent dans l’actualité. Le premier étant : toute performance ou échec devient imputable uniquement à elle, comme cela a toujours été le cas; mais, avec cette fois-ci une nuance de taille, nous avons «une perle rare », un « lotus », «un trésor national.»
Je n’invente rien. Tous ces termes ont été répertoriés à partir d’articles, en renfort à la pétition qui accompagnait. Tout ceci pour dire que, et Mme Pierre-Louis l’a concédé dans son message à la nation, que la machine administrative de l’Etat, avec ses faibles moyens financiers et logistiques ne lui offre pas les moyens de sa politique. De deux choses, l’une : soit que le premier ministre pensait naïvement que son « aura » suffisait pour faire décaisser les bailleurs, soit qu’elle ferait fonctionner un appareil miné par la corruption. Ce n’est pas le lieu pour moi d’analyser les méthodes d’opérations des bailleurs, ni de celles de l’administration publique. Faites-moi confiance, ce n’est pas chose aisée. Tout le monde en convient. Ce qui diffère dans le cas haïtien, c’est l’absence de la notion de bien public, à l’opposé de l’esprit de service et de la compétence ou de la détermination d’un quelconque responsable. J’en resterai là. Quant aux bailleurs, desquels plus de deux tiers du budget national en dépend, leurs procédures de décaissement sont aussi aléatoires et variées que le sont les sources détentrices, bilatérale ou multilatérale. De plus, la complicité d’experts nationaux rôdés à une certaine technocratie ne facilite pas la tâche d’un novice aux affaires publiques d’État.
Le second est en rapport avec l’origine de la désignation, que je caractérise comme son fondement même. En fait, cette désignation, si elle semble obvier la responsabilité du chef de l’Etat, notamment, sa conduite politique des affaires de la République, elle risque d’absoudre le président et de conférer tout échec à la gestion de Madame Pierre-Louis. En y mettant toute cette garantie sur sa personne, les « tombeurs » du PM donnaient, sans le savoir un blanc seing au président. En même temps, ils nous demandent d’ignorer que le Bureau du Premier ministre n’est pas une entité administrative, ne détient aucune loi organique de fonctionnement, que son titulaire est un ordonnateur public sous tutelle du MEF. Sans déresponsabiliser Mme Pierre-Louis, dois-je, sans aucun recul, nier le poids du président dans les affaires publiques, comme privées. Encore une fois, la myopie de clan a eu raison sur les enjeux politiques.
Pourtant, connaissant Mme Pierre-Louis, j’avais souhaité la rupture, lors de son accession aux rennes du gouvernement. Ma présomption s’inscrivait moins dans sa personne que dans la nécessité d’une circularité observée, qu’il fallait contrer. Consciente que j’étais que, d’une vision pervertie de l’Etat, elle allait mettre ses efforts pour redonner sa place aux instruments de la puissance publique, de sortir du dogme de l’Etat incapable de gérer, en clair, de ne pas donner dans son effondrement, dans sa perte de légitimité. À aucun moment, il m’a semblé que cela fut opéré comme méthode de travail. Car, que peut-on faire dans un espace-temps aussi réduit qu’un mandat, dans les conditions de désorganisation et d’absence de normes. Laisser sa marque par une radicalisation de forme, comme de fond. Ne pas craindre d’être à contre-courant. C’est la seule garantie de salut dans un milieu où tout le monde nage dans le même sens. Cependant, une chose dont je suis sûre est que je ne suis pas prête de sous-traiter l’Etat, de le négocier, de l’affaiblir, donc de le rendre inopérant et accessoire. Malheureusement, cette pratique court encore et imprègne toutes les orientations et interventions de la période de gestion en question. Aucun changement de paradigme ! La différence ne fut pas faite, et c’est là pour moi un constat d’échec, quel que soit le verdict du parlement.
Je sais que je transgresse. Ma transgression se veut provocation pour disloquer notre conscience collective. Car il n’est pas normal que ce pays soit contraint de faire face à l’inéluctable, à l’imparable, donc à la faillite à chaque fois. La raison semble ne pas suffire, elle n’émancipe pas toujours. On a beau emprunter le chemin qui semble être logique, faisable, elle ne nous garantit rien. Une dialectique négative du sujet historique se dessine toujours, comme le souligne Adorno. Encore que l’utopie soit là, bien présente, vivante dans ce corps qui germe dans les noirceurs, les entrailles profondes du ventre. Mais verra t-elle le jour ?
29 octobre 2009
Par Marie Carmel Paul AustinYon gwo AYIBOBO pou ou men m zanmi m ki vizite lakou sa pou pwan nouvèl zanmi lakay ak lòt bò dlo.

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