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Les Vanupieds (10)

Publié le 08 novembre 2009 par Plume

Les Vanupieds (1) : là
Les Vanupieds (2) : là
Les Vanupieds (3) : là
Les Vanupieds (4) : là
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Les Vanupieds (8) :

Les Vanupieds (9) : là

Sautant les brasiers, sourde aux crépitements des flammes autour d’elle, elle se précipita vers l’escalier et le gravit à toute vitesse.

Une poutre se détacha du plafond et dans un craquement sinistre plongea vers elle. France bondit de côté et parvint au palier avant que la poutre ne s’écrase sur les marches en ne laissant dans son sillage qu’un trou béant totalement envahi par les flammes, lui coupant ainsi toute retraite.

France serra les dents. Mais qu’est ce qu’elle avait fait ? Comment allait-elle se sortir de là maintenant ? Qu’allaient-ils devenir s’il lui arrivait quelque chose, tous ses frères et sœurs ? C’était trop tard pour les regrets. Elle ne pouvait reculer. Elle s’était mise dans le pétrin. Elle s’en sortirait. Parce qu’il le fallait. Et elle s’en sortirait avec l’enfant innocent.

Alors elle s’élança dans le couloir encore épargné par l’incendie. La chaleur était insoutenable. France étouffait, toussait, crachait, ouvrant toutes les portes qu’elle rencontrait, se parant de ses bras comme si ces derniers, encore lacérés des coups de fouet, pouvaient la protéger du feu dévastateur. Et enfin tomba sur la bonne.

Le garçon tambourinait sur les vitres en pleurant désespérément.

« Maman ! Maman ! »

France ne fit qu’un bond jusqu’à lui, le prit dans ses bras et s’apprêtait à retourner sur ses pas lorsqu’un regard au plancher lui fit renoncer à cette idée. Des flammes surgissaient à travers les lames du parquet. D’une seconde à l’autre, tout allait s’effondrer.

Alors France se tourna vers la seule issue possible : la fenêtre. Elle se précipita vers elle, l’ouvrit frénétiquement et prit appui sur le rebord. Son apparition fut accueillie par des hurlements d’horreur. Au même instant, un craquement effroyable couvrit les cris les plus stridents et le plancher avec les meubles et le lit disparut dans le brasier.

Un instant de panique s’empara de France. Elle songea à Adam. A Alissa. Aux deux petites. A Alexandre. Même à Andréa… L’enfant, terrorisé par l’incendie, s’accrochait à son cou en sanglotant :

« Maman ! Maman ! »

France songea aussi à leur désespoir si elle ne devait pas revenir. Ils étaient tous perdus sans elle. Elle était leur salut… Cette pensée la ressaisit instantanément. Il fallait agir. Très vite. Elle jeta les yeux autour d’elle.

La corniche. Et au bout, l’arbre lierre qui depuis la terre avait embrassé amoureusement les pierres apparentes.

France n’hésita pas. Serrant très fort l’enfant contre elle, elle s’engagea prudemment sur celle-ci, dos au mur et face au vide. Elle n’avait pas fait un mètre que les flammes jaillirent de la fenêtre…

Tous les yeux se braquaient sur la courageuse petite fille, même ceux du docteur Launay et de son épouse que l’on avait tirée de son inconscience.

« Va doucement ! Tu vas y arriver ! Cria un domestique. Avance… là, là, surtout ne t’affole pas… tu es formidable ! »

France atteignit enfin l’arbre lierre. Elle transpirait à grosses gouttes, s’efforçant de conserver son sang froid. Si elle avait pu lâcher le garçon, cela aurait été tellement plus facile… Mais il ressemblait tellement à Allan. Tellement alors qu’il fixait éperdument ses grands yeux terrifiés et pleins de larmes dans les siens en gémissant :

« Maman ! Maman ! »

Il ne paierait pas pour le docteur Launay. Non.

France s’agrippa d’une main aux branches enlacées du lierre et entreprit de se glisser jusqu’au sol. Souple et agile comme un félin. Là, le domestique lui arracha l’enfant des bras et courut l’amener à la mère éplorée.

France s’écarta de quelques pas et contempla sans vraiment comprendre la touchante scène qui se déroulait à quelques mètres d’elle : les pleurs de joie et les embrassades passionnées du garçon et de ses parents.

Ses lèvres se pincèrent et elle détourna la tête. Elle ne se souvenait pas avoir vu le père ou la mère pleurer. En tous les cas pas pour eux. Peut-être juste parce que le coup porté avait fait plus mal que d’habitude, l’alcool aidant. Ça oui. Mais pour eux ?

Elle promena un œil triste autour d’elle et l’arrêta au second étage de la maison, là où les flammes crépitaient toujours de rage de n’avoir pu les avaler.

Seulement alors, elle se détendit et respira profondément.

« Petite ? » Appela soudain une voix tremblante.

France sursauta, aussitôt sur la défensive. Le docteur Launay en personne s’agenouilla devant elle et lui saisit les bras, visiblement très secoué.

« Tu… Tu as sauvé mon fils d’une mort affreuse ! Balbutia-t-il, encore en larmes. Oh ! Comment te faire comprendre ce… Combien je… Ecoute, petite, dis-moi ce qui te ferait le plus plaisir, dis-moi ce qui te plairait d’avoir… Tout, je te donnerai tout ce que tu veux ! D’accord ? Dis-moi… »

France le regarda droit dans les yeux :

« Rendez-moi Allan !

- Allan ? Qui est Allan ? »

France fronça ses épais sourcils noirs et le docteur fut impressionné par la férocité avec laquelle elle le dévisagea :

« Le garçon que vous avez tué ! »

Elle prononça ses mots avec une telle brutalité qu’une pâleur intense se peignit sur les traits du docteur Launay. Ses mains tombèrent des bras de la fillette.

« Il avait son âge ! »

Elle lui montrait l’enfant enlacé par sa mère.

« Maintenant, il est mort. Vous avez dit ce que je veux ? Je veux Allan, je veux mon petit frère Allan ! Rendez-le-moi ! »

Un malaise affreux envahit le docteur Launay.

« Ecoute, petite… »

Il fit mine de l’attraper. France recula.

« J’ai vu votre visage, dit-elle d’une voix haineuse. Je ne l’oublierai pas. Quand je serai plus grande, je vous retrouverai… et alors je vous tuerai, comme vous avez tué Allan ! »

Avant que le docteur Launay n’ait pu faire un geste, elle pivotait sur ses talons et s’enfuyait dans la nuit.

« Petite ! Petite ! Attends ! Je… »

Mais ce fut peine perdue. Les ténèbres s’étaient refermées sur la fillette à la balafre.

Les flammes achevèrent de détruire la grande et belle demeure. Une fumée noire et épaisse s’élevait lentement vers les étoiles…


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