Magazine Humeur

L'eucharistie à tous vents de doctrine - Les intuitions "prophétiques" du P. Fourez, s.j.

Publié le 08 novembre 2009 par Hermas

Comme prévu dans le précédent article,

nous republions ici un article paru sur Hermas.info en 2008,

qui donne la mesure des difficultés présentes.

"Nous prêtres, nous sommes les célébrants de ce très saint Mystère, mais aussi ses gardiens. C'est de notre relation à l'Eucharistie que la condition « sacrée » de notre vie tire aussi son sens le plus exigeant. Cette condition doit transparaître dans toute notre manière d'être, mais avant tout dans notre façon même de célébrer. Mettons-nous pour cela à l'école des saints !"

(Jean-Paul II, Lettre aux prêtres, Jeudi-Saint 2005)


« L’eucharistie, a dit le Cardinal Arinze, est le trésor le plus précieux de l’Eglise ». Le trésor. En latin, le mot thesaurus a plusieurs acceptions. Il signifie à la fois “ce qui est caché”, “l’abondance”, voire l’infini, et un “lieu de conservation”. Heureux concours de sens, pour ce qui est pour nous le lieu caché de la Présence infinie. C’est l’enseignement même du Catéchisme de l’Eglise catholique : « La sainte Eucharistie contient tout le trésor spirituel de l’Église, c’est-à-dire le Christ lui-même, notre Pâque » (n. 1324). Pour cette raison, il peut même être dit qu’elle est « le résumé et la somme de notre foi : "Notre manière de penser s’accorde avec l’Eucharistie, et l’Eucharistie en retour confirme notre manière de penser" (S. Irénée, hær. 4, 18, 5) » (n. 1327).

Si l’eucharistie est au cœur, voire le cœur de notre foi, il n’y a pas lieu de s’étonner que les attaques contre la foi portent premièrement sur ce sacrement. De fait, dans la tourmente de ces quarante dernières années, la messe, l’eucharistie, et partant le prêtre qui lui est ordonné, ont été la cible ou l’objet de contestations, mises en cause ou subversions innombrables. L’Ennemi de tout bien n’a pas la foi. Il n’en connaît pas moins, ab extrinseco, la valeur décisive pour l’Eglise du Sacrement du Christ, se montrant en cela bien plus perspicace que beaucoup de mal-croyants. Les « fumées de Satan » évoquées jadis par le Pape Paul VI, qui en avait dénoncé la pénétration dans l'Eglise, continuent d'infecter l'atmosphère.

De cette subversion, on voit une nouvelle illustration dans un article publié dans le Bulletin paroissial “Rives de Sambre” (n°127) du mois d’octobre 2008, qui concerne les paroisses de Ham sur Sambre, Moustiers et Mornimont, dans le diocèse de Namur (Belgique), sous le titre : « Faut-il un prêtre pour qu’il y ait une messe ? ou Difficile sortie d’un catholicisme magique ».

L’auteur de l’article est un prêtre. Et c’est un jésuite. Le Père Gérard Fourez. Le bon Père n’est pas a priori le premier venu. Il est docteur en physique et a deux “mastères” en sciences religieuses et en théologie. Professeur émérite, il a, entre autres, enseigné les sciences religieuses aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur pendant près de 40 ans, et donné des cours sur les sacrements à l'Université LaSalle, à Philadelphie (USA). Qu’on juge cependant, par une lecture attentive, de ses opinions, précisément, en matière sacramentelle.

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« Aujourd’hui, la question se pose de plus en plus souvent : “Trouvera-t-on un prêtre pour dire la messe ?” Une assemblée sans prêtre est-elle une Eucharistie ? Il faut un prêtre pour cela”.

 

Gérard Fourez nous propose une perspective qui s’éloigne des théologies classiques et qui invite à s’interroger sur le sens profond de l’eucharistie et des ministères ordonnés.

« Il est certain que beaucoup de catholiques ont eu une conception assez magique du rôle du prêtre. Les paroles de la consécration sont encore vues comme un rituel magique. De même, il était généralement admis que la présence d’un ecclésiastique ordonné donnait une valeur spécifique à l’extrême-onction ou d’autres sacrements. De même on donnait une valeur quasi magique à un évêque juridiquement successeur des apôtres.

« Cependant lors du dernier concile du Vatican, les théologiens ont rappelé qu’il y a Eglise chaque fois que quelques-uns se réunissent au nom de Jésus et de son Evangile.

« Qu’est-ce qui fait qu’il y a une Eucharistie ? Est-ce la présence du prêtre ou d’une communauté qui, à la suite de Jésus, dit : “Voici ma vie que je donne ?” Ce ne sont pas les paroles de la consécration qui font qu’il y a Eucharistie et que Dieu est présent. C’est l’engagement de la communauté suscité par l’Esprit et par l’Evangile. C’est ainsi que, quand une communauté se réunit pour faire mémoire – en paroles et en actions – de la bonne nouvelle en Jésus-Christ, elle célèbre l’Eucharistie, qu’un prêtre ordonné soit présent ou pas. Les individus rassemblés deviennent une communauté d’Eglise, Corps du Christ.

« Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas des ministres (des serviteurs) de la communauté, pour la réunir, pour parler en son nom, pour proclamer le pardon de Dieu, pour animer des réunions, des célébrations… L’important c’est que la communauté soit vivante et libératrice. Le rôle du prêtre, c’est de rendre cela possible ; mais sans prêtre, une communauté peut aussi être vivante et libératrice.

« Certaines personnes ont un charisme qui leur permet de bien animer la communauté. Elles peuvent exercer un leadership dans la communauté, pour autant que celle-ci les mandate pour le faire.

« Si la communauté confère des pouvoirs à certains de ses membres, ce n’est pas pour qu’ils dominent, ou qu’ils s’estiment indispensables. Le service rendu à la communauté ne doit pas devenir un facteur de conflits, au contraire, une dynamique peut s’instaurer entre la communauté et les animateurs.

« La communauté (l’Eglise) mandate certaines personnes qui alors réunissent la communauté sans s’y opposer à outrance. Et, s’il n’y a pas de ministre ordonné, la communauté peut vivre et célébrer l’Eucharistie et ainsi vivre son Evangile. »

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Le P. Fourez n’émet pas ici ses thèses pour la première fois. Il s’était déjà manifesté – et en d’autres occasions aussi sans doute – à l’occasion de la polémique soulevée par la publication d’une brochure de quatre dominicains hollandais, en juin 2007, intitulé Kerk en Ambt (“Église et ministère ”). Le bon Père avait alors pris la défense de ces singuliers Frères Prêcheurs qui soutenaient notamment la possibilité, en l’absence de prêtre, pour n’importe quelle personne choisie par la communauté de “présider” la messe : « Peu importe – disaient-ils – que ce soit un homme ou une femme, un homosexuel ou un hétérosexuel, une personne mariée ou un célibataire (…) Prononcer ces paroles [de l’institution de l’Eucharistie] n’est pas une prérogative réservée au prêtre. » On appréciera, en passant, la connotation sexuelle du propos, toujours porteuse dans les milieux “éclairés”. Cette brochure, on s’en doute, avait soulevé des vagues, encore qu’elle ait reçu l’approbation bienveillante des supérieurs de la Province néerlandaise.

Alerté par Rome, le Maître général des Prêcheurs avait mandaté le P. Hervé Legrand (français), spécialiste en ecclésiologie pour réfuter le brûlot [cf. Rapport de l’Ordre dominicain]. Dans ce Rapport, le P. Legrand soulignait l’esprit dialectique qui animait la brochure, obsédée par les rapports de pouvoir et opposant systématiquement la “hiérarchie” à la “base” (créditée naturellement d’une sorte d’inhérence démocratique), la faiblesse théologique de l’analyse, et ce que nous qualifierons quant à nous d’escroquerie intellectuelle, qui consiste à faire passer les affirmations soutenues, au mépris de toute la tradition de l’Eglise, comme une authentique application du magistère, en particulier du deuxième Concile du Vatican.

Emboîtant le pas, et se proposant de peser le pour et le contre entre les quatre hollandais et le P. Legrand, le P. Fourez s’était livré, dans un article intitulé Des communautés célébrant en confiance, à des développements justifiant finalement les thèses avancées. Se fondant sur le fait que la doctrine catholique peut évoluer, et évolue de fait sur certaines questions [cf., récemment, par ex., ses positions sur les droits de l'homme, la question de l'épiscopat, de la liberté religieuse, de  l'intégration de la personne comme élément premier du bien commun, de la guerre, etc.] pour se préciser à  mesure qu’elle acquiert une meilleure conscience d’elle-même, il insinuait, sans distinction aucune à l’égard de ce qui ressortit à la foi ou à la nature des choses, qu’il doit en être ainsi des sacrements et du premier d’entre-eux, celui de l’eucharistie.

Le P. Fourez se propose ainsi, excusez du peu, de faire évoluer la théologie de ce sacrement et du sacerdoce, ce qu’il fait dans ce document non par l’énoncé de principes théologiques pertinents, mais en vertu de critères tirés de la sociologie, de l’histoire, de la mouvance des convictions et, là encore, comme chez nos doctes hollandais, de la démocratie. Il écrivait en particulier, dans le texte évoqué ci-dessus : « Il est normal que, vu sa place symbolique [sic] dans l'institution [entendez par là : l’Eglise], ce soit l’évêque qui préside à l'ordination de ces anciens [c'est-à-dire les prêtres] - tout en s'éveillant à la possibilité que dans une société démocratique certaines formes nouvelles de présidence s'avèrent plus adéquates [sic] que celles héritées des sociétés qui la précèdent. C'est peut-être cela qu’exprime la notion de “succession apostolique” » [re-sic]. Et il achevait son analyse par ces mots : « La confiance en la communauté chrétienne qui anime le document des quatre hollandais est-elle présomptueuse ou prophétique ? »

Là encore, comme ses compères hollandais, le P. Fourez tentait de faire passer la fausse monnaie pour de la vraie en prétendant que « en arrière-fond du document des quatre dominicains [et de sa propre thèse, naturellement], il y a une théologie qui se veut dans la continuité du second concile du Vatican ». Une théologie “qui se veut”… derrière ce charabia, à vous d’interpréter : une théologie qui a la prétention d’être dans cette continuité, ou une théologie qui l’est effectivement. De fait, depuis plus de quarante ans, maints idéologues ont prétendu cautionner leurs thèses par l’autorité de ce Concile, provoquant ainsi de durables ambiguïtés qui n’ont pas peu contribué à laminer cette dernière et à freiner la réception authentique des textes magistériels. Le P. Legrand, en tout cas, s’est montré sur ce point parfaitement clair : « On chercherait en vain un seul texte de Vatican II qui fonderait l’action préconisée par le Rapport [des dominicains hollandais]. Ni sa lettre ni son “esprit” ne  légitiment de célébrer l’eucharistie en récusant la communion avec l’évêque en cet acte même : Lumen Gentium le récuse explicitement. Dans la bibliographie finale,  renvoyant aux autorités théologiques, on cherchera aussi en vain une citation précise et vérifiable fondant cette thèse. »

 

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Le P. Fourez, néanmoins, persiste et signe, comme aussi ses sequaces. C’est que l’enjeu est de taille. Le thème sert de levier, non seulement à une contestation du sacerdoce et de l’eucharistie, par une régurgitation des thèses éculées du protestantisme libéral, mais aussi à une contestation de la hiérarchie et de l’Eglise même. Elle est ici présentée en quelque sorte chimiquement pure. Mais que l’on y réfléchisse un peu et l’on verra que cette idéologie est souvent diluée, à doses variables, dans maints comportements paroissiaux, à proportion que sont dilués la confusion des genres entre le laïc et le prêtre, le sens du sacerdoce ou de la Présence réelle du Christ dans l’eucharistie. Ainsi, pour reprendre le propos de saint Irénée, cité plus haut, la diffusion de cet esprit témoigne des affaiblissements de la foi.

Le Bulletin paroissial cité plus haut, reprend les mêmes problématiques, auxquelles nous ont accoutumés quarante ans de subversion : la caricature du passé de l’Eglise et de la foi de ses membres, assimilée à une sorte de superstition dans le caractère “magique” des paroles consécratoires, la nature prétendument “prophétique”, et enfin vraie, des idéologies qui en constituent la rupture, le mensonge de la source de ces dernières dans les textes de Vatican II, l’imposture qui consiste à les identifier à l’interprétation authentique du message évangélique.

Par un heureux concours de circonstances, pourtant, et sous l’impulsion première du Pape Jean-Paul II, l’Eglise du Christ redécouvre progressivement les grandeurs de l’eucharistie et de l’adoration qui lui est due. Le “sentir avec l’Eglise”, cher – en principe – aux fils de saint Ignace, nous fait toucher du doigt que l’eucharistie, fort loin d’être le produit d’une tension démocratique créatrice, est au contraire le centre du processus de croissance et d’édification de l’Eglise (Ecclesia de Eucharistia, n. 1).

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Nous terminerons ici en rappelant ces passages du Catéchisme de l’Eglise catholique :

1140 C’est toute la Communauté, le Corps du Christ uni à son Chef, qui célèbre (…).

1141 L’assemblée qui célèbre est la communauté des baptisés qui, « par la régénération et l’onction de l’Esprit Saint, sont consacrés pour être une maison spirituelle et un sacerdoce saint, pour offrir, moyennant toutes les œuvres du chrétien, des sacrifices spirituels » (LG 10). Ce “sacerdoce commun” est celui du Christ, unique Prêtre, participé par tous ses membres (cf. LG 10 ; 34 ; PO 2) (…).

1142 Mais « tous les membres n’ont pas la même fonction » (Rm 12, 4). Certains membres sont appelés par Dieu, dans et par l’Église, à un service spécial de la communauté. Ces serviteurs sont choisis et consacrés par le sacrement de l’Ordre, par lequel l’Esprit Saint les rend aptes à agir en la personne du Christ-Tête pour le service de tous les membres de l’Église (cf. PO 2 et 15). Le ministre ordonné est comme “l’icône” du Christ Prêtre. Puisque c’est dans l’Eucharistie que se manifeste pleinement le sacrement de l’Église, c’est dans la présidence de l’Eucharistie que le ministère de l’évêque apparaît d’abord, et en Communion avec lui, celui des prêtres et des diacres.

1143 En vue de servir les fonctions du sacerdoce commun des fidèles, il existe aussi d’autres ministères particuliers, non consacrés par le sacrement de l’Ordre, et dont la fonction est déterminée par les évêques selon les traditions liturgiques et les besoins pastoraux. « Même les servants, les lecteurs, les commentateurs et ceux qui appartiennent à la chorale s’acquittent d’un véritable ministère liturgique » (SC 29).

1144 Ainsi, dans la célébration des sacrements, c’est toute l’assemblée qui est “liturge”, chacun selon sa fonction, mais dans “l’unité de l’Esprit” qui agit en tous. « Dans les célébrations liturgiques, chacun, ministre ou fidèle, en s’acquittant de sa fonction, fera seulement et totalement ce qui lui revient en vertu de la nature de la chose et des normes liturgiques » (SC 28).

1536 L’Ordre est le sacrement grâce auquel la mission confiée par le Christ à ses Apôtres continue à être exercée dans l’Église jusqu’à la fin des temps : il est donc le sacrement du ministère apostolique. Il comporte trois degrés : l’épiscopat, le presbytérat et le diaconat.

1538 (…) Aujourd’hui le mot ordinatio est réservé à l’acte sacramentel qui intègre dans l’ordre des évêques, des presbytres et des diacres et qui va au delà d’une simple élection, désignation, délégationinstitution par la communauté, car elle confère un don du Saint-Esprit permettant d’exercer un " pouvoir sacré " (sacra potestas : cf. LG 10) qui ne peut venir que du Christ lui-même, par son Église. L’ordination est aussi appelée consecratio car elle est une mise à part et une investiture par le Christ lui-même, pour son Église. L’imposition des mains de l’évêque, avec la prière consécratoire, constituent le signe visible de cette consécration. ou

1563 « La fonction des prêtres, en tant qu’elle est unie à l’Ordre épiscopal, participe à l’autorité par laquelle le Christ lui-même construit, sanctifie et gouverne son Corps. C’est pourquoi le sacerdoce des prêtres, s’il suppose les sacrements de l’initiation chrétienne, est cependant conféré au moyen du sacrement particulier qui, par l’onction du Saint-Esprit, les marque d’un caractère spécial, et les configure ainsi au Christ Prêtre pour les rendre capables d’agir au nom du Christ Tête en personne » (PO 2).

1575 C’est le Christ qui a choisi les Apôtres et leur a donné part à sa mission et à son autorité. Élevé à la droite du Père, il n’abandonne pas son troupeau, mais le garde par les Apôtres sous sa constante protection et le dirige encore par ces mêmes pasteurs qui continuent aujourd’hui son œuvre (cf. MR, Préface des Apôtres). C’est donc le Christ “qui donne” aux uns d’être apôtres, aux autres, pasteurs (cf. Ep 4, 11). Il continue d’agir par les évêques (cf. LG 21).

1576 Puisque le sacrement de l’Ordre est le sacrement du ministère apostolique, il revient aux évêques en tant que successeurs des Apôtres, de transmettre “le don spirituel” (LG 21), “la semence apostolique” (LG 20). Les évêques validement ordonnés, c’est-à-dire qui sont dans la ligne de la succession apostolique, confèrent validement les trois degrés du sacrement de l’Ordre (cf. DS 794 et 802 ; CIC, can. 1012; CCEO, can. 744 ; 747).

Pierre Gabarra [Article référencé par l'Agence Fides]

 


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