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Les Vanupieds (11)

Publié le 10 novembre 2009 par Plume

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Les parents ne rentrèrent pas ce soir là non plus. Quand France passa le pas de la porte, elle fut accueillie avec soulagement par Adam, avec agacement par Andréa :

« Où étais-tu ? Lui lança-t-elle avec agressivité. Tu es toute noire et tu pus la fumée ! J’ai faim, moi ! »

Les deux petites dernières parurent très heureuses de la voir et lui firent fête, sans doute parce qu’elles avaient faim, elles aussi. Alexandre était déjà assis à sa place et contemplait la grande table vide avec détresse. Alissa, couchée sur sa paillasse, visiblement calme et reposée, lui sourit, aussi heureuse de la voir que ses deux petites sœurs.

Sans un mot, France fit cuire une soupe des plantes qu’elle avait ramassées dans l’après-midi. Alors que le mélange bouillait, elle alluma une bougie au milieu de la table afin d’éclairer un peu la pièce.

« Mets les gamelles ! Dit-elle ensuite à Andréa, assise à sa place à attendre.

- Pourquoi moi ? Fulmina la fillette. T’as qu’à demander à Alissa !

- Mets les gamelles ! » Ordonna France en montant le ton.

Andréa eut un mouvement d’impatience mais se décida à obéir à l’injonction de sa sœur. France avait vraiment l’air de fort méchante humeur. Elle entreprit de poser face à chaque chaise les petits récipients en bois qui leur servaient d’assiettes : pour le père, la mère, France, Adam, la sienne, Alissa, Alexandre… même celui d’Allan. Adam faillit éclater en sanglot et lança un regard désespéré à France. Un frisson secoua les maigres épaules de l’aînée mais elle ne décrocha pas un mot et se détourna. Adam baissa la tête et Andréa acheva de placer les dernières.

« Voilà ! T’es contente ? »

Hargneuse, elle se rassit à sa place et croisa les bras. France lui jeta un œil méprisant et servit la soupe, s’efforçant d’être la plus juste possible.

Quand ils eurent avalé leur repas, France les réunit autour d’elle, assise en tailleur sur sa paillasse. Elle n’avait rien pu manger et choisi de partager sa part entre les deux petites. Adam non plus ne put rien manger et c’est entre Alissa et Alexandre qu’il partagea la sienne.

« Et moi ? » Avait grogné Andréa.

D’un geste agacé, France lui avait intimé le silence. Et Andréa n’avait pas insisté, très impressionnée par la dureté subite de son visage balafré.

Maintenant, France contemplait ses frères et sœurs à tour de rôle, l’air las. Eux aussi la regardaient, vaguement inquiets.

« Allan est mort. » Dit-elle enfin.

Adam se recroquevilla sur lui-même et se mordit cruellement les lèvres pour ne pas hurler. Alissa ouvrit de grands yeux horrifiés puis se cacha dans le creux de son bras et éclata en sanglots.  Ann et Abby ne comprirent pas mais l’attitude tragique d’Adam, l’expression douloureuse de France et les pleurs d’Alissa leur firent saisir que quelque chose de grave venait de se passer. Alors elles fondirent toutes les deux en larmes.

« Pauvre Allan ! Soupira Alexandre avec tristesse.

- Nous aurons une part de plus à manger ! » Murmura Andréa de son côté.

La remarque rendit France folle de rage. Elle gifla sa sœur de toutes ses forces.

« Pourquoi me frappes-tu ? Pleurnicha Andréa en se frottant la joue. C’est pourtant vrai que nous aurons un peu plus maintenant ! »

Haletante, France se laissa tomber à sa place. Andréa disait vrai. Et cette réalité était insupportable. France calla ses genoux contre sa poitrine et s’efforça de refouler la nausée qui montait en elle.

«  Ne pleurez pas ! Dit Adam en passant sa main dans les longs cheveux blonds de ses petites sœurs. Allan est heureux. Dis-leur, France… »

Il la suppliait avec une telle ardeur que l’aînée se laissa convaincre, même si elle avait plus envie de vomir que de parler.

« Oui, il est heureux. Murmura-t-elle d’une voix douce. Il n’aura plus jamais faim, plus jamais soif, plus jamais froid. Il s’est transformé en un bel oiseau et s’est envolé vers le pays où les enfants sont toujours joyeux. Un jour, nous irons le retrouver. Un jour, nous serons comme lui, libres. »

Alissa buvait ses paroles :

« C’est vrai ?

- Bien sûr que c’est vrai ! Répondit Adam aussitôt, outré qu’elle puisse mettre en doute les paroles de France. Bien sûr que c’est vrai, voyons ! Nous ne verrons plus Allan mais nous savons qu’il est heureux. C’est le plus important, non ?

- Oui. »

Alissa retrouva son sourire d’adoration à l’égard de ses deux aînés.

France se leva, le cœur lourd, et partit s’accouder à la fenêtre, offrant à la fraîcheur de la nuit son pâle visage balafré.

« Je me demande, dit Andréa tout à coup avec inquiétude, quand le père et la mère reviendront… ? »

Personne ne répondit. Un long silence s’installa dans la grande pièce faiblement éclairé par la petite flamme bleutée de la bougie.

Béatement, France contempla la lune toute auréolée de sa couronne d’argent et les étoiles scintillantes. Longtemps. Immobile. Respirant à peine. Et quand elle se détourna enfin de la fenêtre, elle s’aperçut qu’ils s’étaient endormis, dans les bras des uns et des autres, étrangement unis en cette soirée horrible. Ses yeux se mirent à briller. D’une émotion qu’elle s’étonna de ressentir. Oui, ils avaient vraiment besoin d’elle. Elle avait eu raison de vouloir vivre.

Seules Ann et Abby ne dormaient pas. Elles ne la quittaient pas de leurs grands yeux bleus pourtant pleins de sommeil.

« Couchez-vous, chuchota l’aînée en quittant la fenêtre. Je viens ! »

Les deux petites obéirent, baillant à se décrocher la mâchoire. France partit souffler la bougie. Les ténèbres les enveloppèrent. Elle se dirigea à tâtons vers la bassine pleine d’eau réservée au père et y plongea ses joues noires de suie. Cela lui fit du bien. La balafre brûlait encore… Il n’était pas là. Elle ne risquait pas les foudres de sa colère. Demain, elle irait remettre de l’eau propre.

Sur la pointe des pieds, France rejoignit les paillasses, enjamba le corps d’Adam près duquel Alissa avait trouvé repos et réconfort et s’allongea enfin sur la sienne, entre ses deux petites sœurs qui, aussitôt, se blottirent contre elle.

France demeura éveillée un long moment, tournée vers une paillasse qu’elle savait vide. Allan… Etonnée, elle porta son index au coin de ses yeux et écrasa une larme. Il lui en restait donc. Elle sourit tristement dans la nuit avant de fermer les paupières.


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