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Il regardait le soleil face à face

Publié le 10 novembre 2009 par Perce-Neige
Il regardait le soleil face à face

Avant de passer quelques jours à la campagne, à chaque fois, la même terrible question me taraude : quels livres, bon sang de bonsoir, vais-je donc mettre dans ma besace ? C’est toujours un choix quasi cornélien : je ne peux pas tout emmener et, par expérience, il suffit que je m’éloigne, à peine, de ma bibliothèque pour que je regrette aussitôt de n’avoir, justement, pas pris l’un des romans que je m’étais pourtant promis, quelques mois plus tôt, de lire de bout en bout au coin du feu (dans la version hivernale) ou bien à l’ombre d’un des châtaigniers qui dominent la vallée (dans la version estivale). Sauf que ces romans sont nombreux… Or, je peux vite être assez désagréable (si, si, j’assume) avec mon entourage si je me retrouve sevré, ne serais-je que durant une petite journée, d’un peu de littérature (j’allais écrire de vraie littérature, mais vous m’avez compris !). D’où la tentation, pour limiter les risques, de mêler nouveautés et classiques (en l’occurrence des textes que j’ai pu lire il y a quelques années, et que je me promets régulièrement de re-lire à l’occasion). Le classique, aujourd’hui, excusez du peu, s’incarne en la personne d’Albert Cohen… J’écarte d’emblée Belle du Seigneur, que je considère – ce qui n’est pas très original, j’en conviens – comme un chef d’œuvre absolu pour, cette fois, porter mon dévolu sur Solal, le bien nommé, et dont les derniers paragraphes sonnent comme un hymne à la joie : « Les miséreux aidèrent le vivant à monter sur le cheval blanc. Ils lui présentèrent son fils qu'il présenta au soleil. Il baisa son fils aux lèvres et le rendit à celle qui l'avait enfanté. Il eut un rire et le cheval obéit et alla et les miséreux suivirent. Il était d'autres vies et il était d'autres femmes. Le cavalier du matin souleva une jeune merveilleuse fille qui marchait à sa droite et il posa un soleil sur ses lèvres. La vie était odorante de toutes fleurs. Sur une branche un fruit qu'il arracha et ses dents étincelèrent et toutes les misères du passé avaient disparu. Pur et soudain grave, il demanda aux serviteurs où ils le conduisaient. Et ils lui répondirent: Seigneur, tu le sais. Au carrefour, un miséreux, assis sur sa malle cloutée, les attendait. Au bord de la route, un autre écartait les mains en rayons et attendait. Des paysans appuyés sur leurs bêches se moquaient de l'absurde passage et des errants aux yeux d'espoir. Une pierre lancée blessa le visage du cavalier au torse nu. Le soleil illuminait les larmes du seigneur ensanglanté au sourire rebelle qui allait, fou d'amour pour la terre et couronné de beauté, vers demain et sa merveilleuse défaite. Au ciel un oiseau royal éployait son vol. Solal chevauchait et il regardait le soleil face à face. »


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