Magazine Journal intime

Run baby run

Publié le 26 octobre 2007 par Jlhuss

Par l’anachroniqueuse

Un soleil transi passe entre les platanes dont les branches dégarnies se joignent au centre de l’allée encore sombre.

Je cours. 

Le bruit sec et crissant de l’arène sous mes baskets rebondit dans le petit matin givré. La nature policée des massifs d’hiver, peignés de frais pour veiller le tombeau du muséum, contraste avec les flancs du « Labyrinthe », planté d’essences historiques qui ont connu Buffon et fondent l’entrée du parc au noir de leur ombre canonique. Plus loin, la ménagerie laisse fuser un cri étrange, puis un braiement, et encore une belle odeur fauve, tandis que les wallabies me regardent passer d’un œil, occupés à leur festin matinal. Autour des bancs, les feuilles sont froissées par les jardiniers et ramassées en larges paquets odorants entre la pelle et le râteau. Ils me gaffent en passant et marmonnent sous leur « gauloise » une blague toute botanique…

Je cours. 

Le sang afflue jusqu’aux confins du corps, des oreilles aux orteils, tout irradie de chaleur et d’effort. J’ai appris – c’est neuf encore- à apprécier cette sensation. Comme un plaisir si vif qu’il est à peine douloureux, une douleur ténue qui s’éparpille en caresse. Je sens avec bonheur la fine mécanique du souffle, la vigueur des muscles, la fragilité des articulations, des tendons, des attaches, des liens de la chair, délicats comme le cou mince d’un sablier dans son âme de bois.

Je cours.

Adolescente, par pur esprit de contradiction et désir de mal faire, je ne souffrais même pas les douze minutes du f**** test Cooper que servaient chaque semaine des profs de sports vengeresses, particulièrement à l’égard des tendrons, poseuses et oisives, que nous étions. J’exécrais les tenues de sport, importables, ces montres molles du vêtement. Je n’acceptais pas de perdre mon souffle. Je trouvais « tout ceci » parfaitement ridicule. Je ne doutais de rien. En débouchant entre les deux serres tropicales, je croise un groupe de lycéens traînant leur Nike derrière la silhouette noueuse de leur professeur d’éducation physique. Une femme à l’œil clair et sec, le cheveu court. La même. Je passe en allongeant la foulée histoire de régler mon vieux différend. En queue de groupe, trois copines replètes et lookées gloussent en matant les chutes de reins, nerveuses sous l’élastique plat du caleçon D&G et du survêt des deux tecKtoniciens qui les précèdent. Je souris en douce, les dépasse d’un trait, mais sans aucun doute, ce sont elles qui me laissent sur le carreau…

Je cours.

Le long de l’enclos des pandas nains venus de l’envers du décor, paresseux sous l’auvent de leur citadelle de bambous et dont la pelisse ressemble à un trésor d’ambre, je ralentis. Le faux plat est redoutable. Soudain, le corps plus lourd, le souffle court, la patience à bout. C’est l’instant où l’esprit bat comme un générateur de secours, le temps élastique pendant lequel il semble à lui seul suppléer le cœur et les os tandis que le corps se dissout, gélatineux. Je lève les yeux. Le jardin d’eau et de plantes rares que je traverse, à très petites foulées désormais, a pris une teinte sucrée sous les rais du premier soleil. La rosée s’assèche sur les tiges, il flotte un je-ne-sais-quoi de savane ; l’atmosphère étrangement pure, la musique transparente de l’instant parfait et c’est toute une sonnaille allègre qui frappe à l’âme. Tous mes avatars refluent d’un coup, vies antérieures et déjà-vu, tout se convoque en une vision fugace, une sensation vite enfuie. Un shoot. Perché en mirage sur la flèche tranchée d’un pin d’Alep cacochyme, un héron de passage se découpe sur l’air bleu, comme une idole de Pharaon. Je cours et mon corps prend vigueur. Il passe et continue sa route vers sa quarante deuxième minute, tandis que je reste là, au pied de l’arbre, sous un ciel africain. Enfin sage.

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Sous les arbres à Paris : un livre “coécrit” par “l’anachroniqueuse” !


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