Magazine Journal intime

La vie en tant que scie

Publié le 12 novembre 2009 par Lephauste

Si il advenait que l'on me prouve par A+B que je suis né dans un pays riche, il faudrait par la même que l'on m'explique pour quoi je n'y croise à longueur de rues que des pauvres, des sans le sou, des sans grade, des sans actualité autre qu'à toujours remettre au lendemain l'équilibre sans lequel on est à la merci du premier vaccin venu. Ton bonheur est entre tes mains, tu es l'artisan de ta propre réussite, change d'air voilà tout ! Je m'y colle, je me lave, me rase, enfile une paire de chaussettes propres et toute la panoplie du parfait candidat. je sors de bon matin, je descends à la gare et en passant devant l'église, voilà-t-il pas que je croise un convoi funèbre.

Il y a là du veuf, de l'orphelin, des amis éplorés, de la famille aussi, des curieux qui se renseignent pour le cas où, et le petit personnel qui se charge d'organiser tout ça, que ça ait l'air de quelque chose de digne. C'est pas toujours le cas. Je passe, je ne connaissais pas la défunte, vaguement peut-être. Un coup mal tiré, un soir où le mari faisait de ses dix doigts, quelques heures supplémentaires, accroché au clavier de son ordinataire. Pas plus. J'ôte tout de même mon chapeau, il me semble qu'un des orphelins ne m'est pas inconnu, il me fait même un signe. Triste petit.

Je continue ma route, une où deux mains se tendent mais ce matin, c'est décidé, je réussis. Pas le temps pour m'occuper de la détresse d'autrui. A la gare ! C'est une vraie mafia ! Ma voisine, qui s'y connaît un peu vu que dans les années quarante, elle tendait aussi la main, mais très énergique, celle-là, m'a déjà avertit. Vous leur donnez un jour, et vous êtes fichu mon pauvre monsieur ! J'ai l'air, moi, aussi pauvre que ça ? Pas ce matin, je suis remonté comme un coucou niché dans un fourgon délocalisé de la Bling's. J'y cours au cul au bonheur. Je suis sur le quai, avec les autres, j'attends le RER, le train de la réussite omnibus. Mais voilà que sur les ondes on annonce un sacré retard, une demi heure pour le moins. Un suicide en amont. Un cadre dynamique, dynamité par le stress. Chers voyageurs, on ramasse les restes, on fait des doggy bags pour les affamés et on rétablit le trafic. Ça rassure, je commençais à suer dans mes chaussettes propres, je m'envoie une giclée de menthol discret, entre les orteils. Enfin la rame arrive, les autres et moi on se fait les politesses d'usage. Et on roule, on roule, on roule, on roule, là on s'arrête, et puis on roule, on roule, on roule et enfin la capitale se met à luire devant nous, comme un lingot de béton ciré.

Quelques couloirs, des bousculades bon enfant, un coup de savate à un petit mafieux roumains d'à peine six mois, que sa mère de location a laissé en plein milieu des Escalators. Et me voilà à pied d'œuvre. Alors mon gaillard on en veut ! On va y aller ! On a la gnaque !!! Si vous le dites ! que je me pense sans desserrer les lèvres du grand sourire pincé que je lui adresse en guise de oui-oui convenable. Lui c'est le chef du troisième bureau du ramassage du tri sélectif en milieu urbain. J'ai trouvé cet emplois précaire d'une durée absolument indéterminée par un ami de ma femme. En échange de quoi il l'invite tous les mercredi au cinéma et après ils vont boire un verre, et après ... Après je peux pas dire elle me raconte pas tout. Elle est assez indépendante, dans son genre.

Bon, ce matin on ramasse que les mâles ! On y va doucement, faut pas choquer le passant. Vous connaissez tous la consigne, à la moindre question, on répond : C'est pour les ramener chez eux madame, là où il fait chaud et où le lait et le miel coulent en abondance. Ici vous comprenez, ils dépérissent. Par Saint Besson ! Comme vous faites bien ! Moi comme c'est mon premier jour, c'est que les vieux qu'on me donne à pousser dans le fourgon. Même c'est pas trop fatiguant. Allez Pépé, faisez attention à la marche. Mais quand même je me dis : Si il advenait qu'on me prouve par A+B que je suis né dans un pays riche il faudrait aussi qu'on me démontre pourquoi il y en a toujours plus à charger dans les fourgons ? Les cadences deviennent infernales. Il a raison le délégué syndical.


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