Magazine Journal intime

Perdu de vue

Publié le 17 novembre 2009 par Maldoror

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Cette nuit, j'ai mal dormi. Oui, vous vous en foutez, mais c'est moi qui rédige. Donc, j'ai mal dormi. Et quand on ne dort pas, on fait quoi ? Non mademoiselle, pas ça. On réfléchit. On pense. On laisse sa pensée divaguer. En général, moi, je commence par m'imaginer, nu, sur une plage, entouré de trois vahinés pas trop gonflées qui ne pensent qu'à mon bonheur, et puis tout ça finit dans les plumes et le goudron, parce que c'est plutôt comme ça que je fonctionne, mais c'est très personnel, si vous préférez commencer par les plumes et le goudron, c'est vous qui voyez, mais sachez que les vahinés n'aiment pas le goudron, enfin bref, arrêtez de vouloir me faire dire ce que je n'ai pas dit, surtout que ce n'est pas du tout le sujet de ce billet.
Cette nuit, donc, je repensais à quelques êtres, qui ont croisé ma route. Des copains, qui étaient, et ne sont plus. Je ne parle pas de la famille, la famille, côté ascendants en tous cas, c'est plutôt les survivants qu'on compte, maintenant. Non, je parle des copains et des copines qu'on a eu, lorsque nous étions jeunes et beaux insouciants, que nous imaginions la vie qui s'offrait à nous comme une brioche bien chaude, qui nous donnait envie de la croquer à pleines dents. Enfin, les autres, parce que moi j'étais plutôt du genre qu'on pensait qu'il allait mal finir, le gars. A l'époque, je pense qu'aucun de mes camarades, ni professeurs, n'aurait parié un kopek sur mon avenir, professionnel ou même personnel (croquer la vie à pleines dents, ne pas parier un kopek... je fais fort dis-donc, je devrais insomnier moins souvent quand même, tiens).
Je me souviens de Bastien. Bastien était un copain, je l'aimais bien, car il était comme moi, assez solitaire, il ne se fondait pas dans la masse. Bastien habitait chez ses parents, une grande maison bourgeoise. Il était très cultivé, et il adorait discuter avec moi, avant que je ne devienne un peu trop défoncé à son goût. Il a tout de même continué de venir à la maison, mais ce n'était plus moi qu'il venait voir, c'était mon père. Moi j'étais dans ma chambre à m'injecter de l'huile de vidange ou peu s'en faut, et lui était en bas, à discuter avec mon père. Ils parlaient musique. Bastien adorait la musique classique, il prêtait des disques vinyls à mon père, édités chez Deutsche Grammophone, souvent.
Bastien s'est tué un jour, je ne sais plus trop comment, en vérité. Je me souviens seulement qu'il n'en a pas fait exprès. Je revois bien son visage, il était gentil, cultivé, il est mort beaucoup trop jeune. Il devait avoir 23 ou 24 ans.
Paul, lui, c'était encore avant. Je devais être en 5ème, peut-être. Paul était un élève brillant, et moi j'étais déjà en échec scolaire. Caractériel, associable, qu'y disaient. Mon cul oui, c'est quand même pas facile d'être sociable quand on est jeune et entouré par des cons ! Hum, bref.
J'allais souvent chez Paul, j'étais un petit peu jaloux de lui, parce qu'il avait une collection de mini-soldats en plastique impressionnante, il en avait plusieurs milliers ! Je ne sais pas si vous vous rendez compte... Paul avait deux frères, les trois étaient gentils, Paul était le plus brillant, je pense qu'il était promis à un brillant avenir. Mais son avenir s'est heurté de plein fouet, en face à face, à l'avenir de quelqu'un d'autre, un jour de 1990. Je crois me souvenir que les deux avenirs ont perdu. Lui aussi, je revois bien son visage.
Et puis il y a eu Philippe. Philippe n'était pas très accepté par mon groupe de branleurs défoncés fouteurs de merde (faut employer les mots pour ce qu'ils valent hein), Philippe venait au Lycée professionnel en mobylette, c'était pratique pour venir s'échouer sur une voie de garage. Je vous parle d'une époque ou le téléphone portable n'existait pas, même pas le téléphone sans fil, on utilisait l'objet que vous voyez plus haut en photo, celui dont vous pensiez que c'était une sorte de presse papier ; pas d'internet ni de MSN, nul n'imaginait qu'un jour, l'on pourrait ainsi étaler sa vie comme de la confiture sur un blog. Une époque à laquelle on communiquait avec les filles en écrivant sur les tables des salles de cours. Une époque à laquelle on se taillait parfois un peu les bras à la lame de rasoir, mais rien de méchant, juste avoir une cicatrice pour le restant de sa vie sur le bras (ouais, l'été ça fait vachement classe, ouais). Michaël Jackson venait de sortir "Billie Jean", on s'éclatait sur Téléphone, enfin bref, je vous vois venir, surtout vous, là, madamoiselle, eh bien oui, je le dis clairement, je suis un vieux con et je l'assume, mais alors, si vous saviez. Surtout que, hein, ma jeunesse, pour ce que j'en ai fait, en réalité, je la regrette très moyennement, pour tout dire.
Bref, un jour que j'avais fait mon premier (et dernier) coma éthylique au Lycée, la surgé (surveillante générale, faut tout vous dire ou quoi ?) m'avait fait envoyer à l'hôpital. Je m'en étais enfui, et j'avais entrepris de voler une voiture pour aller me jeter dans un mur. Bon, rigolez pas, je sais que j'ai pas toujours eu des idées super bonnes quand j'étais jeune, mais il faut bien que jeunesse se passe, vous me verriez maintenant, vous me confieriez la garde de vos enfants. Donc, m'étant fait coincer par la propriétaire du véhicule que j'essayais de voler, et m'en étant sorti par un "oh ça va hein, je vous l'ai pas piquée votre bagnole !", j'étais parti à pieds, loin. Je cuvais, je vous rappelle que quelques heures avant seulement, j'étais en coma éthylique. Ca n'aide pas à avoir les idées claires, vous me l'accorderez d'autant plus volontiers que je ne vous laisse pas le choix.
J'avais fini par atterrir dans un bar minable, et, je ne sais plus trop comment, Philippe m'avait rejoint, avec sa mobylette. Lui, qui n'était pas intégré dans le groupe, lui dont parfois l'on se moquait, lui m'avait convaincu d'appeler mes parents (qui devaient être morts d'inquiétude, puisque prévenus par le Lycée que je m'étais enfui de l'hôpital). il était 21h30 lorsque j'ai appelé mes parents, Philippe était resté avec moi jusqu'au bout, on a joué au flipper tous les deux en fumant des gitanes (eh ouais, comme ça on ne me taxait pas dans la cour du Lycée).
J'ai pris le taxi, j'ai quitté le lycée le soir même, je suis entré dans la vie professionnelle (l'usine, évidemment, mais à l'époque on avait au moins ça pour démarrer).
Philippe, lui, s'est tué l'année suivante en mobylette.
Voilà, cette nuit, je pensais à eux, je me disais qu'on n'est jamais complètement mort, tant que quelqu'un pense un peu à nous. Je me disais que les bons ne sont pas toujours où l'on croit qu'ils sont, et je me disais qu'il ne faut jamais préjuger de l'avenir de quelqu'un, je me disais que ne laisser aucune chance à quelqu'un qui a fauté un jour, c'est peut-être un peu... radical. En tous cas, je suis certain que si je posais la question à ma femme et à mes deux enfants, ils diraient comme moi.
NB : les prénoms ont été changés, pour vous ça change rien, et moi j'ai pas envie d'avoir des emmerdes avec les familles.


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