Magazine Humeur

Quand l'Europe se couvrait d'églises : réflexions pour l'âge moderne

Publié le 22 novembre 2009 par Hermas
Quand l'Europe se couvrait "d’un blanc manteau de nouvelles églises"
par Benoît XVI
Rome, audience générale du mercredi 18 novembre 2009
Chers frères et sœurs, dans les catéchèses des dernières semaines, j’ai présenté divers aspects de la théologie du Moyen Age. Mais la foi chrétienne profondément enracinée des hommes et des femmes de ce temps-là n’est pas seulement à l’origine de chefs d’œuvre de la littérature théologique, de la pensée et de la foi. Elle a aussi inspiré l’une des plus hautes créations artistiques de la civilisation universelle : les cathédrales, véritable gloire du Moyen Age chrétien.
En effet, pendant environ trois siècles à partir du début du XIe siècle, on voit une extraordinaire ferveur artistique se manifester en Europe. Voici comment un ancien chroniqueur décrit l’enthousiasme et l’ardeur au travail de cette époque : "Il est arrivé que dans le monde entier, mais surtout en Italie et dans les Gaules, on a commencé à reconstruire les églises, même si beaucoup d’entre elles, étant encore en bon état, n’avaient pas besoin d’une telle restauration. C’était comme un concours entre les peuples ; on aurait cru que le monde, se dépouillant de ses guenilles, voulait se vêtir partout d’un blanc manteau de nouvelles églises. En somme, presque toutes les cathédrales, beaucoup d’églises de monastères et même des oratoires de villages, furent alors restaurés par les fidèles" (Rodolphe le Glabre, Historiarum 3, 4).
Divers facteurs ont contribué à cette renaissance de l’architecture religieuse. Tout d’abord, des conditions historiques plus favorables, comme une sécurité politique accrue, accompagnée d’une augmentation constante de la population et du développement progressif des villes, des échanges et de la richesse. De plus, les architectes trouvaient des solutions techniques de plus en plus élaborées pour accroître les dimensions des édifices, tout en garantissant leur solidité et leur majesté.
Toutefois c’est surtout grâce à l’ardeur et au zèle spirituel du monachisme en pleine expansion qu’ont été élevées des églises abbatiales où la liturgie pouvait être célébrée avec dignité et solennité et où les fidèles attirés par la vénération des reliques des saints, buts d’incessants pèlerinages, pouvaient s’arrêter pour prier.
C’est ainsi que sont nées les églises et cathédrales romanes, caractérisées par un développement longitudinal, en longueur, des nefs afin d’accueillir de nombreux fidèles ; des églises très solides, aux murs épais, aux voûtes de pierre et aux lignes simples et essentielles.
Une nouveauté est l’introduction de sculptures. Les églises romanes étant le lieu de la prière monastique et du culte rendu par les fidèles, les sculpteurs, plutôt que de se préoccuper de la perfection technique, veillaient surtout à la finalité éducative. Puisqu’il fallait susciter dans les âmes des impressions fortes, des sentiments qui puissent inciter à fuir le vice, le mal, et à pratiquer la vertu, le bien, le thème récurrent était la représentation du Christ comme juge universel, entouré des personnages de l’Apocalypse.
En général ce sont les portails des églises romanes qui offrent cette représentation, pour souligner que le Christ est la Porte qui mène au Ciel. Les fidèles, en franchissant le seuil de l’édifice sacré, entrent dans un temps et un espace différents de ceux de la vie ordinaire. Au-delà du portail de l’église, ceux qui croyaient au Christ, souverain, juste et miséricordieux, pouvaient, selon l’intention des artistes, avoir un avant-goût de la béatitude éternelle dans la célébration de la liturgie et dans les actes de piété accomplis à l’intérieur de l’édifice sacré.
Aux XIIe et XIIIe siècles, un autre type d’architecture s’est répandu, à partir du nord de la France, pour la construction des édifices sacrés. C’était le gothique, qui avait deux caractéristiques nouvelles par rapport au roman : l’élan vertical et la luminosité.
Les cathédrales gothiques offraient une synthèse de foi et d’art harmonieusement exprimée dans le langage universel et fascinant de la beauté, qui suscite aujourd’hui encore l’émerveillement. L’introduction des voûtes ogivales reposant sur de robustes piliers permit d’augmenter notablement leur hauteur. L’élan vers le haut voulait inviter à la prière et était lui-même une prière. La cathédrale gothique entendait traduire ainsi, dans ses lignes architecturales, la soif que les âmes ont de Dieu.
De plus, grâce aux nouvelles solutions techniques adoptées, les murs extérieurs pouvaient être percés et embellis de vitraux polychromes. Autrement dit, les fenêtres devenaient de grandes images lumineuses, très aptes à instruire le peuple dans la foi. Elles racontaient – scène par scène –la vie d’un saint, une parabole, ou d’autres épisodes bibliques. Depuis les vitraux colorés, un flot de lumière se déversait sur les fidèles pour leur raconter l’histoire du salut et les impliquer dans cette histoire.
Un autre mérite des cathédrales gothiques est que toute la communauté chrétienne et civile participait à leur construction et à leur décoration, chacun à sa façon mais de manière harmonieuse ; les humbles et les puissants y participaient, les analphabètes et les savants, parce que, dans cette maison commune, tous les croyants étaient instruits dans la foi. La sculpture gothique a fait des cathédrales une "Bible de pierre", représentant les épisodes de l’Evangile et expliquant les contenus de l’année liturgique, de la Nativité à la Glorification du Seigneur.
De plus, à cette époque, la perception de l’humanité du Seigneur se répandait de plus en plus et les souffrances de sa Passion étaient représentées de façon réaliste : le Christ souffrant, "Christus patiens", devint une image aimée de tous, capable d’inspirer la piété et le repentir des péchés. Les personnages de l’Ancien Testament étaient également présents et leur histoire devint ainsi familière, comme partie de l’unique et commune histoire du salut, aux fidèles qui fréquentaient les cathédrales,.
Avec ses visages pleins de beauté, de douceur, d’intelligence, la sculpture gothique du XIIIe siècle révèle une piété heureuse et sereine, qui se plaît à répandre une dévotion sincère et filiale envers la Mère de Dieu, parfois vue comme une jeune femme souriante et maternelle, mais surtout représentée comme la souveraine du ciel et de la terre, puissante et miséricordieuse. Les fidèles qui remplissaient les cathédrales gothiques aimaient y trouver aussi des expressions artistiques rappelant les saints, modèles de vie chrétienne et intercesseurs auprès de Dieu.
Les manifestations "laïques" de la vie ne manquaient pas ; voici qu’apparaissent, çà et là, des représentations des travaux des champs, des sciences et des arts. Tout était orienté vers Dieu et lui était offert dans le lieu où se célébrait la liturgie.
On peut mieux comprendre le sens qui était attribué à une cathédrale gothique en lisant le texte de l’inscription gravée sur le portail central de Saint-Denis, à Paris : "Passant, toi qui veux louer la beauté de ces portes, ne te laisse éblouir ni par l’or, ni par la magnificence, mais plutôt par le rude labeur. Ici brille une œuvre célèbre, mais veuille le ciel que cette œuvre célèbre qui brille fasse resplendir les esprits, afin que, avec les vérités lumineuses, ils s’acheminent vers la vraie lumière, où le Christ est la véritable porte".
Chers frères et sœurs, je voudrais maintenant souligner deux aspects de l’art roman et gothique qui sont également utiles pour nous.
Le premier aspect est que les chefs d’œuvre artistiques nés en Europe dans les siècles passés sont incompréhensibles si l’on ne tient pas compte de l’âme religieuse qui les a inspirés. Un artiste qui a toujours témoigné de la rencontre entre esthétique et foi, Marc Chagall, a écrit que "pendant des siècles, les peintres ont trempé leur pinceau dans cet alphabet coloré qu’était la Bible". Quand la foi - en particulier quand elle est célébrée dans la liturgie - rencontre l’art, une harmonie profonde se crée, parce que l’une et l’autre peuvent et veulent parler de Dieu, en rendant visible l’Invisible. Je voudrais partager cela lors de la rencontre du 21 novembre avec les artistes, en leur proposant à nouveau cette amitié entre la spiritualité chrétienne et l’art, souhaitée par mes vénérés prédécesseurs, en particulier par les Serviteurs de Dieu Paul VI et Jean-Paul II.
Le second aspect est que la force du style roman et la splendeur des cathédrales gothiques nous rappellent que la "via pulchritudinis", la voie de la beauté, est un chemin privilégié et fascinant pour s’approcher du Mystère de Dieu. Qu’est-ce que la beauté - que les écrivains, les poètes, les musiciens, les artistes contemplent et traduisent dans leur langage - sinon le reflet de la splendeur du Verbe éternel fait chair ? Saint Augustin affirme : "Interroge la beauté de la terre, interroge la beauté de la mer, interroge la beauté de l’air qui se dilate et se diffuse. Interroge la beauté du ciel, interroge l’ordre des étoiles, interroge le soleil, qui avec sa splendeur éclaire le jour ; interroge la lune, qui avec sa clarté atténue les ténèbres de la nuit. Interroge les bêtes sauvages qui se déplacent dans l’eau, celles qui marchent sur terre, celles qui volent dans les airs : âmes qui se cachent, corps qui se montrent ; visible qui se fait conduire, invisible qui conduit. Interroge-les ! Tous te répondront : Regarde-nous : nous sommes beaux ! Leur beauté les fait connaître. Cette beauté changeante, qui l’a créée, sinon la Beauté Immuable ?" (Sermo CCXLI, 2 : PL 38, 1134).
Chers frères et sœurs, que le Seigneur nous aide à redécouvrir la voie de la beauté comme l’un des itinéraires, peut-être le plus attirant et le plus fascinant, pour parvenir à rencontrer et aimer Dieu.

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