Magazine Humeur

Haïti vit à l'heure de la quatrième République française

Publié le 23 novembre 2009 par 509
Haïti vit à l'heure de la quatrième République française

Trois ans, trois gouvernements

Un anachronisme ou une anomalie pour la démocratie? Comment faire pour y mettre de l'ordre?
Par le Dr Frantz Toyo
Vous me permettez d'abord de faire état de ma surprise : sous l'apparent foisonnement des approches et des divergences d'appréciation quant à l'opportunité ou la faisabilité d'un changement de gouvernement, j'ai trouvé dans cette séance d'interpellation beaucoup plus de convergences chez les parlementaires de l'opposition que je ne pensais en rencontrer.
1-Le mot du droit soulevé par les sénateurs Latortue, Beauplan et Hériveaux a montré que cette séance a été préparée à la va-vite. La lecture très critique des institutions de la République, aussi bien au regard des vices imputables au régime politique qu'instaure la Constitution de 1987 qu'au regard des dysfonctionnements du système politique tel qu'il résulte de son interprétation. Alors, nous voilà au chevet d'une République malade, gravement malade, moribonde, on peut dire qu'elle est en situation de '' mort clinique '' . Les intervenants ont rivalisé de talent et de cruauté dans la stigmatisation des maux qui l'affectent, si on veut comprendre les paroles du sénateur Riché, citons- le : «Haiti n'a pas de chance, ce pays ne cherche pas les compétences ».
En effet, si nous voulons sortir ce pays dans cette impasse, nous devons soutenir la proposition de Madame Manigat qui revendique un système présidentialisme. Aujourd'hui, nous avons un model original, inédit, hybride ou bâtard, ce régime apparaît comme de nature parlementariste, mais dénaturé par une interprétation abusivement présidentialiste. Je voudrais aussi mettre en garde les parlementaires et les publicistes sur les taxinomies trompeuses de certains articles de la Constitution de 1987. Deux interprétations sont possibles, en raison de la double équation sur laquelle reposent les institutions. Les articles 60, 88, 107 et 107-1 sont inscrits dans la logique du respect de l'organisation institutionnelle prévue par le texte constitutionnel, mais les articles 95 , 112 et 129-1 peuvent avoir aussi une interprétations stricte. A ces différences d'interprétations classiques s'ajoutent des divergences d'appréciation dans la méthode.
2- Ces maux appellent un changement profond du régime et du système politique à défaut de changer un gouvernement chaque année. Un nouvel équilibre doit être trouvé entre légitimité, responsabilité et pouvoir, ce qui est l'aspiration de toute Constitution démocratique. Certes, pour certains, le nouvel équilibre requiert une refondation radicale et démocratique de notre système politique qui assume pleinement le désir de rupture ; tandis que, pour d'autres, la République doit continuer à fonctionner avec le même système politique archaïque qui rend le pays ingouvernable. A ce titre, je me demande :
• La constitution de 1987 est-elle fille de la Constitution française de 1946 ?
• Quel régime politique voulons-nous pour Haïti ?
• La république peut-elle continuer à fonctionner avec un régime parlementaire rationalisé déguisé ?
• Existe-t-il un pouvoir sans contre- pouvoir dans un système démocratique ou doit-on croire qu'un pouvoir peut arrêter la dérive d'un autre pouvoir ?
• La Rrévision de la Constitution de 1987 est-elle technique ou politique ?
Si la révision de la Constitution est technique, nous devons avoir pour mission, c'est le socle, de travailler à l'évolution du système politique que nous voulons doter le pays. Je n'y reviens pas, c'est essentiel, il faut permettre à la République d'affirmer son identité. Il faut le faire en ayant le souci à la fois de se doter des outils juridiques, qui permettront un processus de décision efficace, claire, mais en même temps de se doter des outils pratiques dont doit disposer l'exécutif pour pouvoir exercer effectivement son rôle lorsqu'il s'agira d'affronter une crise politique. C'est le cas de la Cinquième République française.
Cette révision doit nous conduire à mieux cerner une conception commune de notre sécurité juridique. Elle doit s'inspirer ou fait référence aux quatre piliers sur lesquels s'appuie notre système politique et que je rappelle brièvement.
- Le premier pilier concerne notre régime politique. Aujourd'hui, quel que soit l'expert en sciences politique, il est incapable de dire sous quel régime politique la République fonctionne. Sommes-nous dans un régime parlementaire rationalisé, dualiste ou un régime semi-présidentiel, ou semi- parlementaire ? Nous devons définir clairement notre régime politique.
- Le deuxième pilier doit définir clairement le rôle de chaque pouvoir, l'exécutif, le législatif et le judiciaire.
- Le troisième pilier se rapporte à la conduite de la politique de la nation.
- Enfin, le quatrième pilier se rapporte aux questions de société, de l'Etat de droit, de la gouvernance politique et du respect de la loi mère.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce dernier pilier ne nous éloigne pas du domaine de la défense, car le contexte géostratégique a évolué, et des menaces non militaires pèsent sur notre sécurité. Il s'agit donc de prendre en compte dans le cadre d'une réforme notre système de sécurité. Dans le contexte actuel, il est nécessaire et urgent de dire au peuple si le pays peut continuer à fonctionner sans sa propre force de protection.
Avec cette Constitution, nous pouvons affirmer que l'instabilité est considérée comme le principe et la stabilité comme l'exception. C'est dans cette optique qu'on dit souvent que la Constitution de 1987 a permis à nos parlementaires de se comporter comme des poètes : les pieds à peine sur terre et la tête dans les étoiles. Dès qu'un gouvernement est mis en place, ils commencent à penser à la configuration du prochain gouvernement, c'est le jeu même de la légitimité à temps constant.
A ce titre, on pourrait dire que notre société se mesure à l'évolution de ses jeux télévisés, jeux d'élimination de l'autre, dans lesquels le principe est de faire disparaître l'autre pour triompher seul, tout en pleurant beaucoup après chaque élimination pour faire croire qu'on forme une réelle communauté aimante. Or la vraie démocratie ne consiste pas dans le retour au principe de la tyrannie, mais c'est plutôt la victoire de la solidarité et de la fraternité. Ce n'est pas un combat pour qu'il en reste un à la fin, mais une recherche en commun de l'intérêt du groupe. Je crois que ce n'est pas le changement d'un gouvernement qu'il faut chaque année, c'est le rapport de légitimité entre le pouvoir et le peuple. Aujourd'hui, la seule nécessité est d'avoir des gouvernants dévoués au service public et à l'intérêt des citoyens et de la nation, dans le cadre d'un respect du pluralisme idéologique et d'une attention constante portée aux droits et aux libertés. Là, seulement, ces dirigeants seront légitimes !
D'ailleurs, comment ne pas noter une confusion dans le vote du 29 octobre 2009 portant sur la motion de censure du Gouvernement : comment une majorité stable, discipliné et fidèle a pu sanctionner l'action d'un gouvernement composé des membres de son état-major politique ? C'est un phénomène très rare dans l'histoire politique haïtienne. Est-ce que cette majorité est vraiment celle du président ? Car le partage des tâches est en fait le suivant : le chef de l'Etat est le véritable moteur du système politique ( il donne l'impulsion, détermine les grandes orientations de la politique nationale) ; le gouvernement met en oeuvre cette politique ; les parlementaires de sa majorité enfin contrôlent après coup, c'est-à-dire demandent des explications, critiquent, mais ne peuvent pas sanctionner, je parle pour une majorité cohérente et organisée. Cependant, les sénateurs de la République voulaient faire comprendre aux acteurs politiques que le Sénat n'est pas une chambre d'enregistrement des projets gouvernementaux, les sénateurs sont souverains et libres de leurs actions, c'est tout ce que je peux comprendre à travers ce vote. Alors, dois-je dire aux sénateurs de la République que voter une motion de censure contre un gouvernement n'est pas un crime de lèse-majesté, cependant, il y a des procédures qui peuvent et qui doivent être respectées, autrement dit il y a une façon de le faire.
Aujourd'hui, si notre Constitution fait l'objet de réflexions dans les milieux académiques, universitaires et au Parlement, c'est parce qu'elle pose des difficultés dans son application et son interprétation. Si nous considérons la Constitution comme l'expression juridique d'une société déterminée et organisée en Etat, alors elle doit servir en quelque sorte de miroirs au démos qui l'institue en réfléchissant sur ses caractéristiques propres ou supposées telles. Elle est la loi mère d'un pays. Quelque chose qui semble aller de soi, mais qui n'a pas toujours été respectée par nos concitoyens, c'est donc important de le rappeler.
Si dans l'esprit des pères de la Constitution française de 1946, ils avaient mis en place un régime parlementaire rationnalisé qui devait déboucher à terme sur des crises politiques, ils l'avaient fait pour éviter une nouvelle fois la bêtise du Maréchal Pétain et Laval, éviter une seconde Vichy; avec en particulier un transfert de compétence au parlement. Il faut le rappeler, la France sortait d'une guerre sanglante, les constituants n'avaient pas d'autre choix que de rendre le pouvoir au parlement, ils avaient rendu le gouvernement à la merci du parlement, ce qui avait empêché à cette République de connaître une stabilité politique. Tout comme Haïti sortait d'une dictature sanglante de trente ans, les constituants de l'époque n'avaient qu'un objectif : c'était d'empêcher au président de la République d'instaurer un nouveau régime dictatorial.
Cependant, les classes politiques françaises étaient unanimes à reconnaître que le pays avait besoin de vivre dans la stabilité politique. Ils ont eu la clairvoyance de faire appel à un homme charismatique, '' le Général de Gaulle'', pour remettre de l'ordre chez eux. C'est ainsi, que le général qui avait cette noble tâche a fait appel a un éminent juriste de l'époque M. Débré, afin d'écrire une Constitution qui puisse être acceptée et comprise par tous les citoyens français. C'est ainsi que la cinquième République est née, en apportant des corrections nécessaires qui permettront à la République de fonctionner dans la stabilité. Aujourd'hui, nous autres, vers qui pouvons-nous nous tourner pour arrêter cette dérive ? Vers Madame Manigat, Edouard Alexis, Yourri Latortue ou Jean- Robert Estimé ?
Le système français a eu à connaître un rééquilibre total, en donnant plus de pouvoir à l'exécutif afin d'éviter que le gouvernement soit toujours à la merci du parlement, sans pour autant réduit le rôle de contrôle du parlement et le pouvoir de censurer le gouvernement par un vote de non confiance en obtenant une majorité de voix, ce qui était arrivée en 1962 , avec le renversement du Gouvernement de Pompidou en utilisant l'article 49.3 de la Constitution de 1958.
Toutefois, l'exécutif dispose des moyens pour empêcher les parlementaires de faire n'importe quoi. Les dispositifs dont dispose l'exécutif sont énormes. Citons par exemple quelque articles comme des armes de contre-pouvoir pour permettre à l'exécutif de mieux fonctionner:
1-L'article 5: « « Le président est le garant des institutions » »
2- L'article 8: « Le président nomme le premier ministre dans la partie majoritaire »
3- L'article 12: « « Le président dispose le droit de dissoudre le parlement après avoir consulté les présidents des deux chambres, il faut le rappeler, c'est un avis obligatoire et non impératif, parce que, en droit administratif, il existe trois types d'avis :
1- avis consultatif qui n'est pas obligatoire;
2- Aavis obligatoire qui est une procédure obligatoire, mais qui ne lie pas la décision du Président;
3-avis impératif, qui est non seulement une procédure obligatoire, mais qui lie la décision du président. Cet article, c'est une arme préventive contre un système parlementarisme rationalisé.
L'article 13, le président est le chef des armées dans le cadre d'une majorité présidentielle, en période de cohabitation, il partage cette tâche avec le premier ministre, qui est lui aussi le chef des armées par le biais des articles 20 et 21.
4- Article 16 octroie au président de la République en cas de menace grave et imminente contre le territoire de la République de déclarer l'état d'urgence, là encore, le parlement doit jouer son rôle, il y a une procédure à respecter, cette mesure doit être prise pour une durée bien précise, en cas de prorogation, c'est le parlement qui doit autoriser le gouvernement à le faire.
Article 19, le président a le pouvoir discrétionnaire de signer les traités.
5- L'article 38, le gouvernement peut demander au parlement de gouverner par décret-loi en vue de mettre en oeuvre sa politique pour une période bien déterminée avec une procédure spécifique.
6- L'article 44 autorise le gouvernement à adopter le budget par un vote bloqué au cas où l'opposition veut faire passer le temps de discussion en déposant une série d'amendements futiles.
7- L'article 49-3, le gouvernement peut faire adopter le budget sans qu'il y ait vote en engageant sa responsabilité devant le parlement. Lorsque le gouvernement décide de le faire, le parlement dispose une arme pour le contester, c'est l'article 49-1, qui autorise le parlement à déposer une motion de censure afin de faire entendre la voix de l'opposition.
D'autres articles accordent le pouvoir à l'exécutif dans le domaine de la politique étrangère, c'est le cas de l'article 54 et autres .....
On peut constater que cette Constitution a eu à subir par mal de modifications de 1958 à nos jours, certains disent qu'elle mérite d'être changée pour passer à la sixième République, c'est la plus vieille, après la constitution de la troisième qui a vécu environ soixante-cinq ans. Aujourd'hui, la France vit avec un régime hybride, semi-parlementaire, semi-présidentiel. Qui peut oser affirmer que le régime politique français fonctionne mal en Europe ? Le régime de la cinquième continue à faire ses preuves de stabilité. Même avec la reforme constitutionnelle qui a instauré le quinquennat qui a mis en place un régime présidentialiste déguisé en vue d'éviter de nouvelles cohabitations, la République continue à garder sa stabilité. D'où la quatrième République avait fait beaucoup de tort à la France, mais la période l'imposait.
Par-delà les jugements sur le dysfonctionnement du système, je reste convaincu que tout gouvernement responsable doit comprendre l'ampleur de la distanciation des liens entre gouvernants et gouvernés. Or, la démocratie fonctionne sur le sentiment de compétence et la croyance dans les institutions. Je constate que ce sentiment et cette croyance ont aujourd'hui été brisés. Le citoyen ne sait qui fait quoi, qui gouverne.
Je pense que ce n'est pas une observation utopique de dire que la Constitution de 1987 n'a jamais été appliquée ni dans la lettre ni dans l'esprit des origines et encore moins conformément à l'esprit de ses élaborateurs. Il faudra supprimer le poste de premier Ministre pour pouvoir créer une rupture avec le parlementarisme déguisé.
Aujourd'hui, les citoyens s'interrogent sur l'adéquation du système politique à l'évolution des structures sociales et aux mutations de l'Etat. La réflexion constitutionnelle contemporaine intègre des problématiques nouvelles qui ne se limitent plus au changement de gouvernement, ni à la charte des droits et liberté fondamentaux. Elle touche à des questions diverses mais essentielles : la réforme de la justice, la reforme constitutionnelle, la réforme universitaire, celle du service public, la signification contemporaine de la citoyenneté, la réforme de la police, la question de la défense nationale, la réforme fiscale ect .... Tout ceci va nous permettre d'arriver à la notion de ''bonheur commun'' assigné comme but de la société. Je voudrais terminer avec cette pensée : Un peuple a toujours le droit de revoir, de reformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois, les générations futures''. Mais comment ? Par quelles voies ? Avec quelles catégories d'hommes ?
Dr Frantz Toyo,
Docteur en sciences politiques et Doctorant en Droit
- Professeur de Droit International Public à l'INAGHEI
- Professeur de Droit pénal Spécial, pour la maitrise de criminologie de l'UEH
- Conseiller auprès de l'ONUYon gwo AYIBOBO pou ou men m zanmi m ki vizite lakou sa pou pwan nouvèl zanmi lakay ak lòt bò dlo.

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