Magazine Journal intime

La visite

Publié le 04 décembre 2009 par Lephauste

Anna de sandre et votre serviteur, Lephauste de Mieux, profitant du fait que vue la saison vous vous aprêtez à plonger ferventement dans le sapin, à faire des folies d'épicéas, à saccager les rayons discount's de la grande distribution payante, en avons profité pour nous échanger les places. Elle qu'elle vient ici et que je vais là bas ! Et que ça s'appelle "Les vases communicants" ou les vagues communicantes ? A moins que ...Non, rien. Bonne lecture, voila tout, le reste n'est que littérature.

Ce qui suit donc, nous le devons à la plume de Mlle de Sandre

J'attrape un mauvais jour avec une pince à sucre. Ce n'est pas la première fois que je m'y essaye, et je dois dire que mes précédentes tentatives ont été conclues par des échecs cuisants. Les mauvais jours tombaient systématiquement à côté de mes genoux, et leur explosion me secouait jusqu'à la nuit, où de curieux rêves m'empêchaient de récupérer. Celui-là, je le tiens fermement et le glisse dans l'album où il va sécher et perdre toutes ses heures.

Je bois un verre d'eau au dessus de l'évier et je sors en silence. Avant décembre, les immeubles neufs résonnaient d'échos et de vide entre leurs murs, alors que maintenant, je déglutis pour déboucher mes tympans assourdis par le rien épais de la neige. Le pont gelé perd ses brillants sous les pas de la foule ralentie dans ses chaussures glissantes. Les traces grises et molles mélangent de l'eau sale et le vent enlaidit les visages crispés.

Après trois magasins, une aubette et un kiosque à journaux, il y a une ruelle sur la droite où j'aime aller, et particulièrement dans les hivers durs comme celui-ci. A mi-chemin je m'arrête, et je me plante debout à côté d'un banc trop recouvert pour chasser la neige d'un revers de main. Les flocons recommencent un tourbillon cinglant et j'offre mon visage en tirant sur mon bonnet. J'arrête quand le froid fait presque péter mes oreilles. Quand la douleur est un burin qui tape, je plonge la main dans la poche ventrale de ma doudoune et en sors une durite en métal. Je lui parle bien trois bonnes minutes. Un chien pisse contre le banc et me regarde en souriant de toute sa gueule. Puis il frissonne et s'approche, plein de son espoir de clébard idiot, mais je lève mon arme avec conviction et il déguerpit en sautillant comme un izard. Je termine ma prière, embrasse le bout de métal avec ferveur, et prends la direction de la maison où je passais avant. Où je passais tous les jours.

Quand un de ses occupants entrait ou sortait, j'étais là. Je jetais un coup d'œil à chaque fois pour voir une femme encercler à la poudre d'or le bord d'une assiette en porcelaine. Elle faisait ça tout le temps. Les mêmes gestes, la même application, la même concentration à sa tâche, et moi je pleurais quelques mètres plus loin en hurlant dans ma tête Salope ou Pourquoi tu nous as fait ça.

Le quartier est cossu, le gars des espaces verts payé avec des chèques emploi service, et quelques fois un nouveau résident vient distraire les jours monotones avec son installation. J'avais arrêté de l'espionner un temps. Elle était partie en vacances ou en stage de raku. Le facteur m'avait vendu l'information debout contre un arbre, en tirant sur le nœud de la capote vite refroidie dans le vent. J'étais entrée dans la maison de l'artiste le lendemain vers quatre heures du matin. Je n'avais touché à rien, à l'exception d'un photomaton d'où elle me regarde quand je la sors parfois. Par toutes petites fois.

Il paraît que j'ai ses yeux, mais que pour le reste je suis bien crachée des balustrines de mon père.

Quand j'ai eu six ans, elle a dit Je suis trop fatiguée, et ça a suffit pour qu'elle refasse sa vie. Moi j'ai dit Pars pas maman je t'aime fort, et j'ai gagné une ferme de poche avec tous ses accessoires chez ma première famille d'accueil.

Dans sa maison où je vais entrer avec ma copine à bout métallique, il y a des jumeaux et un bébé.

Là où je vis depuis neuf ans, une vieille croit qu'elle étreint la tête d'un homme en larmes sur son cœur sec, et une ancienne danseuse arrache la peau de ses talons pour ne plus être une femme qui se tient debout.

Je ne sais pas, après, ce que je ferai.


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