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Les Vanupieds (16)

Publié le 07 décembre 2009 par Plume

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Adam tua un lapin avec la fronde qu’il avait fabriquée dès leur entrée dans la forêt et tout fier l’amena à France. Ils s’étaient installés dans une petite clairière, non loin de la route qu’ils suivaient jusqu’alors. France entreprit aussitôt de faire un feu tandis que son frère, assis en tailleur, commençait à dépecer l’animal. Alissa resta à l’écart et, le dos appuyé contre un arbre, les observa en silence, les yeux rouges, sans oser se joindre à eux.

France, sans faire mine une seule fois de remarquer sa présence isolée, déblaya un petit cercle dans les feuilles mortes, l’entoura de petites pierres qu’Abby lui apportait joyeusement et y plaça un tas de brindilles sèches. Mais ce n’était pas suffisant. Débordante d’imagination, France tailla habilement deux petites fourches dans des arbrisseaux qu’elle avait auparavant scrupuleusement choisis, et les planta d’un côté et de l’autre de son cercle. Ceci fait, elle contempla son œuvre. Mais il manquait l’essentiel. Elle repartit tailler une fine branche, suivie pas à pas par Abby, et se mit à la nettoyer avec beaucoup de soin.

A mesure que les minutes s’écoulaient, interminables, Alissa sentait peser très lourd sur son cœur les propos cinglants de sa sœur. La vue brouillée, elle cherchait en vain son regard. France l’ignorait complètement. La punition qu’elle lui infligeait à cet instant était pire que la gifle. Elle aurait préféré de loin subir encore la lanière de cuir plutôt que de vivre cette indifférence.

« Voilà ! Annonça Adam tout à coup. J’ai terminé !

- Moi-aussi, répondit France. Donne, nous allons le faire cuire.

- Mais comment ? Interrogea Adam en la suivant jusqu’au petit cercle de cailloux.

- Regarde ! »

France passa la fine branche à travers le corps de l’animal et la posa ensuite en équilibre sur les deux fourches.

« Nous n’avons plus qu’à allumer le feu et tourner la branche pour que le lapin cuise partout sans brûler ! Expliqua-t-elle enfin.

- Oh ! Fit Adam, saisie d’une admiration sans bornes.

- J’ai vu cela dans une taverne, dit l’aînée, j’ai pensé que je pouvais bien le refaire. En tous les cas, conclut-elle avec un hochement de tête satisfait, l’animal sera bien meilleur cuit que cru ! Dépêchons-nous, je commence à avoir faim, moi ! »

Elle s’agenouilla dans l’herbe, prit les pierres à feu dans la ceinture de son frère et les frappa l’une contre l’autre au dessus du petit tas de brindilles. Rapidement les flammes crépitèrent et vinrent lécher la chair rougeoyante de l’animal.

« Hourra ! » Cria Adam en bondissant de joie.

France contempla un long moment la danse des flammèches et pour la première fois depuis bien longtemps, un sourire apparut sur ses lèvres.

« Tu as souri ? S’écria Adam en éclatant de rire. Tu as souri ! Tu as souri ! C’est merveilleux ! Alors tout va s’arranger, je le sais ! Alissa ! Alissa ! Viens ! Dépêche-toi ! France a souri ! »

Alissa se redressa mais hésita à approcher. France leva enfin la tête vers elle. Quand elle vit l’expression défaite de son visage et l’intense émotion avec laquelle elle la dévorait des yeux, son sourire s’élargit. Elle lui tendit la main.

« Allons, viens, idiote ! Qu’est ce que tu attends ? »

Alissa s’illumina comme une trouée de soleil. Elle ne fit qu’un bond jusqu’à sa sœur et lui sauta au cou.

Le soir les surprit, assis en rond autour du feu dans la petite clairière qu’ils n’avaient pas quittée, appréciant sa fraîcheur et le sentiment de liberté qu’elle faisait naître en eux.

Ils avaient passé le reste de l’après-midi à explorer les environs, observant la vie tout autour d’eux, ramassant des fruits et des plantes pour les emporter, jouant dans les fourrés entre les troncs d’arbres comme les enfants qu’ils demeuraient, malgré la lourdeur de leur choix.

Longtemps, silencieux et émerveillés, accroupis derrière un buisson, ils avaient contemplé la biche et son faon brouter tranquillement l’herbe des taillis, la belette filer dans les feuilles mortes tapissant le sol, ou l’écureuil roux grimper le long du tronc…

Longtemps ils avaient écouté le chant mélodieux de l’oiseau des bois, le sifflement des branches dans le vent ou le craquement des brindilles mortes sous leurs pieds nus. Longtemps ils avaient humé avec délice tous les parfums de la forêt…

France avait mis la peau du lapin à sécher non loin du feu, tendue entre deux branches basses. Et maintenant ils somnolaient auprès du feu dans lequel de temps à autre, l’aînée jetait de quoi le ranimer. Le ciel au dessus d’eux se clairsemait d’étoiles. La fumée s’élevait lentement au-delà des plus hautes branches, dansant sous le souffle léger du vent. Ils avaient étalé leur couverture sur la mousse auprès d’un gigantesque chêne centenaire et Abby venait de s’endormir, épuisée, roulée en boule sur la sienne.

« Il faut que nous parlions de quelque chose ! Déclara France tout à coup en dévisageant son frère et sa sœur.

- De quoi ? Interrogea Adam en croisant les bras sur ses genoux, intrigué.

- De mon autorité. »

Adam et Alissa la contemplèrent avec stupéfaction, bouche-bée.

« Je ne veux pas de malentendus entre nous ! Expliqua France avec gravité. A la maison, mise à part quand le père frappait, c’était chacun pour soi toute la journée, et l’obéissance à mes décisions le soir. Mais nous sommes sur les routes maintenant et nous sommes quatre, veillant les uns sur les autres. Il ne faut pas que mon autorité sur vous, si vous me la laissez, soit contestée… ou dénigrée.

- C’est à cause de moi que tu dis ça ? » Demanda Alissa d’une petite voix.

France haussa les épaules sans répondre. Les yeux d’Alissa se noyèrent de larmes :

« Tu dois nous commander ! Balbutia-t-elle en se tordant les mains. Il le faut, France. Il le fallait à la maison et ton autorité effaçait les disputes, rendait la justice entre nous tous, donnait l’exemple, quoique nous en disions, quoique Andréa ait pu en dire, nous avions besoin de ton autorité. Nous en avons encore plus besoin maintenant. France, nous ne pouvons pas dire : chacun pour soi. Il faut que tu commandes, que tu nous dises ce qu’il faut faire, que tu nous corriges quand nous désobéissons, comme tu l’as fait, que tu sois là pour nous faire comprendre l’importance d’avoir confiance les uns dans les autres pour survivre. Nous avons besoin de toi, France, tellement besoin de toi. Ton autorité ne sera jamais plus contestée, je te le promets. Mais je t’en prie, ne t’arrête jamais de nous montrer le bon chemin… »

Surprise et émue par tant d’estime, France inclina légèrement la tête et se tourna vers son frère :

« C’est toi qui commandes ! Dit-il aussitôt, bouleversé. Nous ne contesterons jamais ton autorité. Tu dois commander pour que nous puissions réussir, voir la mer et revenir un jour chez nous…

- Merci, murmura France d’une voix qui tremblait un peu, visiblement très touchée. Merci. Bon, il en sera donc ainsi. Mais je vous avertis, je serai intransigeante, dure peut-être même parfois mais il ne faudra pas oublier que ce sera pour notre bien à tous. »

Adam et Alissa eurent le même élan au même instant. Ils bondirent vers leur sœur et l’enlacèrent tendrement.

« Jamais nous n’en douterons ! » Affirmèrent-ils en cœur.



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